Talleyrand et Madame de Flahaut (Souza)
Première rencontre
Talleyrand au Louvre, chez Madame de Flahaut
La Révolution
Emigration
M de Talleyrand à Hambourg
retour
Influences
Notice généalogique et bibliographique (Madame de Flahaut)
sources : « Madame de Souza et sa famille » Baron André de Maricourt
Le 21 janvier 1747, en la chapelle de Longpré,
Marie-Irène-Catherine du Buisson, fille de Jacques du Buisson, seigneur de Longpré et de Dame Marie-Elisabeth-Irène de Séran,
épousa
Charles-François Filleul, fils de Jacques Filleul, marchand à Falaise et de Catherine Mauban.
Les habitants de Falaise, et d’autres ! prétendirent que la mariée était une des victimes de Louis XV, au Parc-aux-Cerfs.
Elle eut quatre enfants :
La première fille, Marie-Françoise-Julie Filleul, naquit le 15 juillet 1751, épousa le Marquis de Marigny, frère de la Marquise de Pompadour.
Puis naquirent deux garçons, qui moururent jeunes ou vécurent obscurément.
La deuxième fille, Adélaïde-Marie-Emilie Filleul naquit le 14 mai 1761.
Orpheline à l’âge de 6 ans, Adélaïde sera placée dans un couvent de Paris. Sa personnalité en sera marquée à toujours : « Dans l’atmosphère calme et pure du cloître, elle recueillit comme un précieux dépôt qu’elle livra sans jalousie au public, en les plaçant dans ses livres plus que dans son orageuse existence, ce je ne sais quoi de très délicat, très frais et très reposant qui se pourrait appeler l’estampille de la vie conventuelle. »
Chaque année, elle se rendait au Mesnil de Longpré pour les vacances, chez un vieil oncle. Ce fut l’école de la nature, développant ses émotions et sa créativité.
Elle quitta la pension à l’âge de 15 ans et fut accueillie par deux femmes : Mme de Séran et Mme de Marigny ; elle apprit les bonnes manières, mais aussi la corruption des moeurs. La vie tumultueuse des époux Marigny ne fut pas un exemple de premier choix, et elle assista à leur violente rupture. Elle suivit sa tutrice à l’Abbaye-aux-Bois, asile pour veuves de haut rang et femmes délaissées.
Mme de Marigny tenait salon à l’Abbaye-aux-Bois. Parmi les hôtes assidus, se trouvait une homme d’une cinquantaine d’année : Alexandre-Sébastien de Flahaut de la Billarderie, comte de Flahaut, né à Nesle au diocèse de Beauvais, le 18 janvier 1726, maréchal de camp et enseigne des gardes du corps de Sa Majesté dans la compagnie de Villeroy.
Il fut séduit par la jeunesse d’Adélaïde, et déclara sa flamme auprès de Mme de Marigny qui profita de l’opportunité en encourageant ce projet d’alliance entre un officier général, jouissant des honneurs de la Cour et sa jeune soeur, sans naissance et sans fortune.
Les éventuels désagréments liés à la différence d’âge et de condition sociale furent dissipés, et le mariage fut célébré à Paris en l’église Saint-Jacques du Haut-Pas, le 30 novembre 1779..
Peu de récits existent au sujet des circonstances de la rencontre entre Adélaïde de Filleul et Talleyrand.
Ils se seraient rencontrés à plusieurs reprises, vers 1780, dans les salons du monde aristocratique et littéraire.
Le baron de Maricourt évoque la possibilité d’une rencontre des « causeurs les plus aimables de l’époque » organisée par Talleyrand, réunion à laquelle participait aussi Marmontel, ami d’enfance d’Adélaïde qui joua peut-être un rôle d’intermédiaire.
Dès lors, Talleyrand fut un invité assidu du salon tenu par Adélaïde.
Talleyrand au Louvre, chez Madame de Flahaut
On ne s’ennuyait pas dans ce salon. Outre les discussions mondaines et littéraires d’usage, on aimait jouer.
Le jeune abbé, attiré à la fois par l’appât du gain et celui du plaisir, avait tout pour séduire : pétillant d’esprit, il possèdait un nom, de belles manières. Son infirmité le rendait même attendrissant !
En fait cette rencontre unissait deux êtres en révolte : une mariée obligée et un prêtre ordonné malgré lui.
Leur liaison devint très vite une habitude et fut bientôt de notoriété publique : le 21 avril 1785, la jeune comtesse eut un fils qu’elle appela Charles comme son amant.
Voici le témoignage de quelques contemporains et chroniqueurs :
« Pendant les trois premières années de son mariage, le comte ne voyait guère sa femme qu’aux heures des repas. Encore cela n’arrivait-il pas tous les jours. L’abbé, au contraire, ne la quittait presque point. Il la suivait comme une ombre, l’entretenait agréablement lorsqu’elle restait chez lui, lui enseignait le monde, l’accompagnait dans ses visites, à la promenade, au concert, au bal, au spectacle. Enfin, il faisait auprès d’elle tout ce qu’aurait fait un jeune mari … » (Charles-Maxime de Villemarest, M. de Talleyrand, Paris, Paris, J.P. Roret, 1834-1835)
« Ce jour de mai 1789,, je vais au Louvre. L’évêque est chez Mme de Flahaut. Il a demandé à dîner avec son fils. C’est bien un dîner de famille. »
« Mme de Flahaut se trouvait souffrante. Sa femme de chambre lui donnait un bain de pieds, tandis que M d’Autun s’affairait à réchauffer le lit avec une bassinoire. Je regardais, car il est assez curieux de voir un Père de l’Eglise se livrer à cette pieuse opération. »
(Journal de Gouverneur Morris)
Gouverneur Morris, agent des nouveaux Etats-Unis à Paris, habitué du salon, espérait lui aussi les faveurs de la belle Adélaïde. C’est ce qui explique ces mots durs à l’égard de Talleyrand : « Pour la première fois, elle laissa tomber un mot, qui est cousin-germain du mépris. Je peux, si je le veux, la détacher de lui complètement. Mais c’est le père de son enfant et ce serait injuste. La raison secrète est qu’il manque de fortiter in re, quoique abondamment pourvu de suaviter in modo. »
Concurrence avec le salon tenu par Madame de Staël
Toutes deux écrivaient, chacune selon ses qualités. Talleyrand préférait chez Madame de Flahaut sa finesse, son naturel et son imagination romanesque.
Toutes deux se connaissaient, se fréquentaient parmi les rencontres d’une même société et recevaient les mêmes hommes au nombre de leurs fidèles. (Ségur, Chastellux, Gouverneur Morris etc…)
Frédéric Lolliée, dans son ouvrage « Talleyrand et la sociéré française » rapporte cette anecdote :
Désireuse, une bonne fois, d’ avoir le cour net au sujet de sa préférence, Madame de Flahaut en posa la question directement à M de Périgord. Il fallait qu’il se prononçât entre elles deux. Comme elle ne parvenait pas à le faire s’expliquer, à cause des habiles détours par où se dérobait sa galanterie :
« Avouez, lui dit-elle enfin, que si nous tombions toutes deux ensemble dans la rivière, je ne serais pas la première que vous songeriez à sauver.
• Ma foi, madame, c’est possible, vous avez l’air de savoir mieux nager. »
Dès le début de la Révolution, de nombreux royalistes quittent le sol français. Adélaïde ne trouve pas nécessaire d’émigrer, militant pour une monarchie constitutionnelle. Elle persuade alors Talleyrand de persister dans sa modération.
Mais celui-ci prend peur ; il reçoit des menaces de mort, suite à la mise en place de la Constitution civile du Clergé. Dans la soirée du 23 février 1791, il dépose chez Madame de Flahaut une lettre testamentaire, l’instituant légataire universelle de ses biens ! Peut-être reconnaissait-il là son amour pour la belle comtesse et la paternité de son fils Charles ? Durant toute la nuit, elle court à sa recherche, persuadée qu’il veut se suicider.
Face aux menaces persistantes, elle profitera de l’obtention d’un passeport pour rejoindre Boulogne, puis Londres (Richmond). Elle y retrouve Talleyrand, qui vient d’arriver grâce à un passeport que lui a fourni Danton. Elle n’en obtiendra aucun soutien : il prétexte de mauvaises spéculations. « Il vit sur l’argent que lui a procuré la vente à Londres de sa superbe bibliothèque. Il passe son temps en mondanités et à. pêcher à la ligne. » (Jean-Marie Rouart / Morny, un voluptueux au pouvoir)
Madame de Flahaut poursuit l’écriture de son roman, Adèle de Senanges , rédigé en six mois, corrigé par Talleyrand, publié avec l’aide d’une souscription organisée par lord Wycombe. Cette édition lui rapporte 40.000 francs.
Mais Talleyrand, voyant arriver Germaine de Staël à Londres délaisse à nouveau Adélaïde, avant de l’abandonner tout à fait en partant pour l’Amérique. Adélaïde tire un trait définitif sur cette liaison : « Je le vis s’éloigner sans regret ni amertume. Il n’existait désormais pas plus pour moi que je n’existais pour lui. »
Mais l’amitié subsistera. Ils auront plusieurs fois l’occasion de se revoir « en famille »
A cette époque, Madame de Flahaut apprend que son mari, le comte de Flahaut, resté en France, vient d’être guillotiné à Arras.
Son exil se poursuivra à Bremgarten, Kiel, Hambourg, Altona
Madame de Flahaut avait fait la connaissance de l’un de ses admirateurs, M de Souza, ambassadeur du Portugal en France. Elle rêvait alors de reconstruire sa vie sentimentale, et rêvait d’un mariage avec M de Souza. A Hambourg, elle apprend que Talleyrand, de retour d’Amérique, s’apprête à débarquer. Elle redoute des confidences de son entourage et de la petite socité des émigrés sur leur liaison passée.
Elle envoie alors un émissaire pour supplier son ancien amant de ne pas venir gâcher son bonheur. Mais il ne prêta aucune attention à cette affaire : « Je voulais, avant de rentrer en France, savoir ce qui s’y passait. Mme de Flahaut, qui était à Hambourg, me parut peu disposée à me l’apprendre, car elle m’envoya, lorsque j’étais sur l’Elbe, un message dont M de Riccé eut la simplicité de se charger, pour m’engager à ne pas descendre à terre et à retourner en Amérique. Son motif, disait-elle, était qu’elle passait pour m’avoir été fort attachée et elle craignait que pour cette raison je ne fusse un obstacle à son mariage avec M de Souza. Je crus pouvoir sans indélicatesse résister aux singulières raisons que me faisait valoir M de Riccé et je restai un mois à Hambourg, entouré de personnes qui ne nuisirent pas plus que moi au mariage qu’elle contracta depuis avec le bon M de Souza. » (Mémoires de Talleyrand)
La situation s’étant calmée en France, Adélaïde entreprend des démarches pour organiser son retour en France. Talleyrand est nommé le 18 juillet 1797 ministre des Relations extérieures le 18 juillet 1797. Il facilite ses démarches.
Elle écrit un nouveau roman, Emilie et Alphonse . Elle consolide ses relations.
Mais elle commet une imprudence Désireuse en effet de toucher l’héritage d’un vieil oncle de Longpré, Adélaïde sort de l’ombre en prenant le risque de s’exposer à une enquête de police. Or, celle-ci révèle que tous les documents qu’elle a produits sont des faux, qu’elle a émigré et qu’elle vient de passer deux ans à Hambourg. Adélaïde juge plus prudent de disparaître quelques mois ; et puis l’active protection de ses amis, au premier rang desquels Talleyrand, Gallois et Le Roi, qui réussissent à faire enliser l’enquête dans les sables de l’administration, lui permet non seulement de reparaître un an plus tard, mais même d’entrer en possession de l’héritage du vieil oncle. (Michel Carmona /Morny, vice-empereur)
Pendant toute cette période d’exil, elle n’a jamais abandonné l’éducation de son fils Charles, qui maintenant parle parfaitement trois langues (français, allemand et anglais) ; elle l’initia de même à l’équitation, la musique et le chant.
En 1802, elle épouse enfin M de Souza. Talleyrand, pour cadeau de mariage, fera bientôt pression sur Napoléon pour éloigner le couple et faire nommer l’ambassadeur à Saint-Petersbourg. Mais il refuse ce poste.
Rappelons les « faveurs » principales accordées par Talleyrand à Madame de Souza :
– il intervint à plusieurs reprises dans la carrière du fils de Madame de Flahaut : Charles de Flahaut (engagement, promotions etc…)
– il aida Madame de Flahaut à quitter la France à la Révolution et facilita son retour d’exil.
– il sauva Charles de Flahaut du peloton d’éxécution lors de la chute de Napoléon
De son côté, elle eut une influence politique sur Talleyrand :
– « Quoiqu’il (Talleyrand) mêlât en ses libres propos, déjà, la politique et les amours et qu’il eût entrevu dans l’un de ses tête-à-tête avec Mme de Flahaut le jour où à eux deux ils remanieraient les assises gouvernementales de la France… « (Frédéric Lolliée / Le duc de Morny)
– En ces temps agités, l’influence d’Adélaïde de Flahaut est grande sur Charles-Maurice. Le 1 er décembre 1789, Talleyrand soumet comme d’habitude à sa maîtresse le discours qu’il doit prononcer le lendemain à l’Assemblée. (André Castelot / Talleyrand ou le cynisme)
Il lui fait part de ses réunions secrètes et lui transmet de nombreux courriers :
– « Tout a été définitivement réglé au château, malgré l’absurde décret. Si nous ne pouvons accepter de plans ostensibles, aucune loi n’empêche le roi de nous employer comme conseillers privés. Toutefois, à l’avenir, le gouvernement reposera totalement entre nos mains. Le général La Fayette doit avoir le ministère de la Guerre ; le Dauphinois (Barnave), celui de la Justice et de l’Intérieur ; l’ Aîné (Charles de Lameth), la Marine ; le Cadet (Alexandre de Lameth) les Finances ; le ministère des Affaires étrangères doit être pour moi. C’est à dire, ma chère amie, que rien ne sera fait dans ces ministères respectifs sans notre assentiment. Il nous faut maintenant hâter d’achever notre ouvre constitutionnelle, qui seule peut rendre notre pauvre prisonnier à la liberté. » (André Castelot / Talleyrand ou le cynisme)