Revue des questions historiques (1927) Charles de Flahaut et la reine Hortense | article de J. Ruinaut

Revue des questions historiques (1927)
Charles de Flahaut et la reine Hortense
article de J. Ruinaut
(extraits)




Charles de Flahaut et la reine Hortense

… En refusant de le suivre en Hollande, Hortense n’avait certainement pas obéi à la seule appréhension du tête-à-tête conjugal non plus qu’à la crainte de voir sa santé définitivement compromise par l' »air épais » du pays. Une raison plus spéciale la retenait à Paris. C’était la même que celle qui rendait pénible à Caroline son départ pour Naples, dont Murat, à la suite de l’accession de Joseph au trône d’Espagne, devenait roi. Un attachement passionné s’était insinué dans le coeur des deux reines et y avait pris une place prépondérante. celui qui en était l’objet était un jeune et brillant officier de cavalerie du nom de Flahaut.
Flahaut, qui passait pour être le fils naturel de Mme de Souza et de Talleyrand, résumait en lui les grâces de l’ancien régime et l’héroïsme des nouvelles générations. De tournure élégante, spirituel et doué d’une voix prenante à laquelle on ne résistait pas, il traînait littéralement tous les coeurs après lui. Ses premières rencontres avec Hortense remontaient au temps du Consulat. Louis l’avait pris sous sa protection et fait entrer dans son régiment d’où il était passé comme aide de camp à l’état-major de Murat. Une sympathie réciproque s’était formée entre lui et Hortense. Mais elle avait été longue à quitter le domaine du sentiment pur, traversée qu’elle était par les nombreuses absences du bel officier qui était de toutes les guerres et aussi par les soins qu’il donnait à d’autres amours. Capable, en effet, d’inspirer de vives passions, Flahaut, en vrai Don juan, les ressentait peu pour son compte et semblait n’attacher de prix qu’au plaisir ou à l’orgueil de la conquête. En 1806, pendant la campagne de Pologne, il avait trouvé le temps d’amorcer à Varsovie sa liaison avec la comtesse Potocka. Caroline Murat avait toujours été en coquetterie avec l’aide de camp de son mari et ne s’était pas cachée de ses sentiments à Hortense. Hortense longtemps balancée entre un penchant irrésistible et la crainte de se donner à un volage, marque à l’année 1808, au moment où Louis regagnait seul la Hollande, la date de sa défaite. « Le penchant que j’avais tant combattu, écrit-elle, me parut alors être devenu une tendre amitié nécessaire à mon coeur et capable de me consoler de l’injustice qui commençait à s’attacher à moi. Qui me connaîtra mieux que celui que j’ai tant aimé, qui m’appréciera plus que celui que j’ai fui si longtemps malgré la force de la plus vive affection ! »…

Flahaut était alors chef d’escadrons de chasseurs à cheval et il allait devenir aide de camp de Berthier. Les dernières campagnes de l’Empire lui valurent de nouvelles et justes promotions. Waterloo le trouva général. Pendant ce temps, la fortune d’Hortense subissait un éclipse…

… Au cours de ses tribulations elle avait retrouvé Flahaut qui s’était vaillamment conduit pendant la campagne de Belgique et, après le désastre, avait, grâce à la protection de Talleyrand, échappé aux représailles qui frappaient un grand nombre de ses camarades restés fidèles à l’Empire. Ils s’étaient, à la fin de 1815, rencontrés à Aix-les-Bains. Flahaut était sur le point d’entreprendre un voyage en Angleterre. Après son départ, plusieurs lettres qui lui étaient adressées furent ouvertes par Hortense. Ces lettres prouvaient à l’évidence l’intimité de leur destinataire avec Mlle Mars. Ce fut un coup terrible pour Hortense que les explications de l’infidèle n’arrivèrent pas à détromper. Mais elle fut longue à arracher de son coeur un sentiment qui paraissait indéracinable. Un an s’était écoulé. Louis la conviait avec instance à une démarche commune en vue d’obtenir en Cour de Rome l’annulation de leur mariage. Un semblable projet lui ménageait en cas de réussite la possibilité d’épouser Flahaut dont les sentiments, à ce qu’il disait, n’avaient pas changé. Aussi mit-elle une certaine complaisance à l’examiner. Mais elle sentit que Flahaut s’était détaché d’elle et qu’un simple souci d’élégance inspirait ses protestations. De fait, lorsqu’elle lui eut rendu sa liberté complète, il épousa à Edimbourg miss Margaret Mercer Elphinstone.
Avant l’adieu final, Hortense que tant de malheurs avaient mûrie, fit un profond retour sur elle-même. Sa passion douloureusement refoulée n’était pas entièrement morte, mais déjà la voix impérieuse du devoir se faisait entendre…