CHAN 565 AP 9
Correspondance familiale
Lettres de Madame de Souza à son fils Charles de Flahaut
Dossier 4
Trente-deux lettres du 1er janvier au 15 novembre 1817
avec un post-scriptum de Le Duc (p. 61) et son témoignage sur
l’exécution des prisonniers anglais
durant la campagne d’Egypte (p. 62)
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 59)
1er janvier 1817
Mon enfant, mon cher enfant, je te souhaite une bonne année, d’abord meilleure que la dernière, ce qui ne sera pas difficile, et puis meilleure que toutes celles que tu as déjà passées où tes malheurs n’étaient cependant que des contrariétés et où nous nous plaignions, insensés que nous étions ; que nos chagrins d’alors nous paraîtraient légers aujourd’hui. Que cette année, par toutes les séparations, toutes les pertes que nous avons éprouvées, a été plus cruelle que toutes les autres. Enfin, résignons-nous et peut-être est-ce déjà un grand bien que d’avoir mis la résignation à la place de l’impatience. Cependant je me pendrais si je croyais passer toute cette année sans te voir, mais je désire fort que ce ne soit pas encore dans quelques mois.
M. de R. est très irrité contre toi, mais on travaille à l’éclairer. Je te manderai quand on y aura réussi. En attendant, la société est affreuse, les partis plus séparés plus exaspérés que jamais. M. de Girardin A. m’a fait dire qu’il avait parlé à M. de Cases. J’ai des raisons pour en douter mais je saurai cela la semaine prochaine et je te le manderai. En attendant, voici une lettre de lui que sa femme m’a apportée en me disant qu’elle contenait les choses les plus importantes et qu’elle me priait de l’envoyer par une occasion sûre et point française. Quand tu auras lu cette lettre, je présume que tu penseras comme moi que l’important était qu’on ne vît point à la poste qu’il t’écrivait. Ah! mon Dieu, ce que c’est que le monde ! Et encore si l’on veut y vivre tranquille faut-il bien prendre garde à reconnaître les gens quand on les rencontre dans la rue, et ne pas les connaître quand on les voit dans sa chambre. Mais quittons ou plutôt étouffons toute cette misanthropie.
J’ai eu un vrai chagrin, le beau Franconi est mort. Je t’avouerais que je lui ai accordé quelques larmes. C’est toi qui me l’avais donné. C’est le premier présent que tu m’avais fait. Je l’avais tant soigné ; enfin, il n’y a plus les petits chevaux dont on parlait avec tant de respect . Papa veut vendre le normand pour acheter deux gros boul… que je ne me … ni d’aimer ni de soigner et qu’il puisse faire attendre à la comédie tant que bon lui semblera. A la bonne heure ! Mais c’est toujours une grande ingratitude de vendre ce pauvre vieux normand qui nous a si bien servi. J’aimerais mieux le faire tuer que de le savoir malheureux et peut-être de le rencontrer un jour à un fiacre. Si jamais je suis riche, j’aurais mes prés où mes vieux chevaux finiront tranquillement leurs jours.
Après cette homélie en l’honneur des petits chevaux, je te dirais que je t’envoie ci-joint un almanach pour M. Debourck, et que je porterai demain matin à Lignereux mon petit encrier en bronze et malakite que Mme Demidoff m’a donné pour mes étrennes et qu’il me semble que tu placeras très bien sur la table de cette personne si noble, si aimable, et que je voudrais bien connaître. Il est impossible de trouver ici la boîte que tu désires pour Mme de Bourcke ; j’en suis désolée mais on a fait tous les m. de Paris.
M Becquet, conseiller d’état chargé de défendre la loi sur les élections, a été avec le Conseil d’Etat faire la révérence du jour de l’an au Roi et à la famille royale. M. le duc de Berri lui a dit : La loi sur les élections est détestable, et si elle passe, elle ne tiendra pas. Voilà, j’espère, de l’indépendance d’opinion qui s’établit jusqu’au neveu du Roi qui dit sa pensée publiquement.
Le Roi a reçu, mais assis, sa goutte ne lui permet pas encore de se lever ni marcher.
Réponds-nous donc si Mr T… t’a remis une lettre et s’il t’avait reçu celle que M. Gal… avait laissé chez lui, pour qu’il la portât en Angleterre. Nous sommes inquiets de cela et M. Gal… te prie instamment de répondre tout de suite.
Ce M. Miot auteur de la campagne d’Egypte est frère du Miot ami de J.B. C’est un fort honnête homme qui était commissaires des guerres en Egypte. Son ouvrage est estimé. L’ami de J… est aussi un fort honnête homme, et tous deux gens d’esprit, d’instruction et versés dans les affaires.
Aug… te souhaite une bonne année et dit : Mon ami Charles, viens donc. Voilà toute son éloquence.
Ton premier cheval a les jambes et les cuisses si gorgées que malgré 7 sétons (je ne sais pas comment s’écrit ce beau …) il est impossible qu’il revienne .
Le gros greffenelle dit que l’emprunt se fera en Angleterre ; d’autres disent que non. Qu’en penses-tu ?
Mon Dieu mon enfant que je t’aime, c’est plus que ma vie. Adieu ma vie ; papa vivra à Palmela . Gabriel a donné à Auguste plein la maison de joujoux et le petit en croisant ses mains, a crié : Voilà un homme … !
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 60)
5 janvier 1817
Non mon bon enfant, je n’entends pas si mal la plaisanterie, mais dans trois lettres consécutives, tu m’as écrit sur la finesse de la mousseline, enfin j’ai cru que cela ne venait pas de toi et j’ai grogné. Lady Holl. a-t-elle reçu la robe que Mme Pattle lui a portée ? La trouve-t-elle jolie ? Elle m’a donné une peine de chien à faire faire et ici cette robe a eu un succès prodigieux.
Venons à ce que tu proposes à papa. Les Lesserts (?) consultés sont de l’avis que la chose ne se fera point et que si elle se fait il ne faut pas y mettre un sou. Voilà ce que disent tous les Lesserts à commencer par l’aîné . Baguenaut consulté pense de même. Nous avons un terrible antécédent, lorsque Papa était en Hollande . M. Labouchere se mit à la tête d’un emprunt pour l’Espagne et à la pointe de son éloquence il persuada à papa d’y mettre des fonds (C’est le jeu de tout banquier qui fait de ces sortes d’entreprises) Immédiatement après, papa à son retour ici dit à André la bonne affaire qu’il avait faite et André le força à vendre aussitôt cette inscription ; il y perdit quelque chose et fut trop heureux ; car 6 mois après, cette affaire alla à tous les diables et l’on y perdit tout.
C’était cependant Labouchere. Du reste, je t’écrirai tout ce qu’il y aura de fait sur ce point et nous agirons conformément à tes ordres, cependant consultant un peu l’avis des éclairés qui sont sur les lieux. La première petite amie est liée plus que jamais avec Met… et je suis plus que jamais dans l’avis de Vincent. Je compte sur lui au mois de février.
Le Miot dont tu me parles était des archimécontents et à fait une seconde édition où il me semble qu’il traite un fait très désavantageusement au général en chef d’alors. Ce n’est point l’ami de J… Il avait fait une première édition de son ouvrage il y a longtemps et où ce fait était déjà consigné mais moins fortement. Bonaparte le trouva sur la cheminée de Murat à Boulogne et se mit dans une colère horrible, le niant et l’expliquant comme il le fait encore aujourd’hui et dès lors il ne fut pas employé. Du reste j’en saurai davantage pour demain que part le courrier.
Ce 6
Ce ne sera que jeudi que je te répondrai sur M. Miot, j’en ai fort rabattu depuis deux jours mais jeudi je saurai bien ce qui en est.
Je ferai faire tes souliers.
Je t’aime, je t’embrasse de toute mon âme.
Le duc de Well… est arrivé et avec lui 50 officiers logés par billets de logement dans notre municipalité. Tu juges l’épouffement de notre beau parleur de maire, qui au surplus est venu cette année me souhaiter la bonne année ce qu’il n’avait pas fait l’année dernière.
Adieu encore cher ami. La famille se porte bien. Mon Dieu comme je t’aime, mon bon et cher ami.
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 61)
16 janvier 1817
Voilà mon ami, ce que Le Duc t’assure sur son âme et conscience être l’exacte vérité. Il y était, et cet événement, jusque dans ses moindres détails est très présent à sa mémoire.
« J’interromps, mon cher général, madame votre mère qui veut bien me permettre d’ajouter quelques lignes à sa lettre. Je profite de cette permission pour me rappeler à votre souvenir et pour vous renouveler l’assurance de l’inviolable attachement que je vous ai voué. La lettre que Madame votre mère vous envoie contient la vérité toute entière . Vous pouvez vous en rapporter à un témoin occulaire. Je vous …
Lesry (?)
Voilà ce qui est parfaitement vrai. Ensuite la nécessité fut la vraie raison car si l’on avait pu les envoyer à Rosette ou à Danisette, on l’aurait fait, mais cette armée de 5 à 6 mille hommes entre ces prisonniers et M. Jean d’Acre était trop exposée, l’infraction aux lois de la guerre fut l’excuse, la nécessité, le motif. Mais Le Duc dit qu’en son âme et conscience voilà les faits tels qu’il les dirait s’il devait paraître devant Dieu ou devant tous les Rois de la terre, ce qui est bien une autre affaire pour ce monde corrompu.
Belliard était resté dans la haute Egypte. Du reste, ce bon et honnête Le Duc me paraît bien malheureux .
Adieu cher ami. Je suppose lady Holland encore à Woburn. Je lui enverrai les détails sur ses lampes par le prochain courrier.
J’ai la main lasse d’avoir écrit car j’ai gardé pour moi la première dictée de la note que je t’envoie et il se fait tard.
Adieu encore mon minou, mon cher minou le bien-aimé de mon âme ou plutôt l’amour de ma vie.
Quand tu voudras d’autres détails, dis-moi toujours à qui je dois les demander car je n’aurais jamais pensé à cet excellent homme.
témoignage de Le Duc sur l’exécution des prisonniers anglais durant la campagne d’Egypte
(pièce 62)
16 janvier 1817
La garnison d’El-Arish composée d’environ 12 à 1500 hommes s’était engagée par la capitulation à ne pas servir contre l’armée française , et à se retirer dans l’intérieur de l’Egypte huit jours après, à la prise de Jaffa ; la garnison composée de trois mille hommes des troupes d’élite fut faite prisonnier sans capitulation à la suite de l’assaut. Ces hommes restèrent trois jours sous la garde et au milieu du camp de l’armée française composée au plus de six mille hommes (il n’y avait que deux très faibles divisions) on paraissait disposé à laisser rentrer dans l’intérieur de l’Egypte ces prisonniers lorsqu’on reconnut qu’environ un tiers de ces trois mille hommes appartenait à la garnison d’El-Arish qui huit jours auparavant s’était engagée à ne plus porter les armes contre l’armée française. Le général en chef obligé de suivre le cours de la campagne, ne pouvant se priver d’une portion de sa faible armée pour escorter ces prisonniers ; ne pouvant non plus laisser en liberté un nombre de troupes d’élite aussi considérable et que d’après l’exemple d’El-Arish , il était bien sûr de retrouver dans les rangs ennemis, ou ce qui était plus dangereux de voir revenir sur les derrières de son armée en marchant sur Saint Jean d’Acre , le général en chef réunit en conseil les principaux généraux de son armée et il fut décidé que l’infraction aux lois de la guerre dont la garnison d’El-Arish s’était rendu coupable et que la garnison de Jaffa avait partagée en les admettant, devaient être punis suivant la rigueur des lois militaires. Dans ce conseil étaient entre autres les généraux Alex. Berthier , Kleber, Lannes, Bon et Caffarelly.
On partagea en deux bandes de 1500 ces 3000 prisonniers. On les conduisit au bord de la mer. La première fut fusillée sans qu’il s’en échappât un, et la seconde prévoyant le sort qui l’attendait se révolta en chemin et parvint à désarmer un certain nombre de soldats français. Ce fut même une espèce de combat et il s’en sauva environ douze cents . L’on sut d’une manière positive qu’ils se réfugièrent à Saint Jean ‘Acre. Avant de se décider à cette mesure extrême, la délibération fut très longue et ne fut prise qu’après la certitude que le salut de l’armée française en dépendait.
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 63)
19 janvier 1817
Je suis de la plus mauvaise humeur ; le courrier qui devait arriver lundi n’arrive qu’aujourd’hui jeudi et encore me fait-on dire : Il n’y a rien pour madame. D’après cela, je vous envoie monsieur une chanson qui enchante tous les libéraux, je ne puis te dire avec quelle impatience, quelle anxiété j’attends ce jour de poste, et quand il ne m’apporte pas de lettres, j’en ai un chagrin que je serais tentée de fermer toutes mes fenêtres et d’essayer de dormir jusqu’au courrier suivant.
Bonsoir, bonjour Charles, je ne t’aime pas du tout aujourd’hui.
Ton cheval est toujours sur la litière. Mme de Cogny me charge de mille compliments. On dit qu’une dame qui louche demandait à M. de Tall… Réellement comment trouvez-vous que vont les affaires ? Mais, répondit-il, comme vous voyez.
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 64)
20 janvier 1817
Mon pauvre ami, je n’ai pas eu de lettres de toi par le dernier courrier, cela m’a attristée. Nous n’avons aucune nouvelle.
Sinon que les Princes ayant manifesté leur désapprobation de la loi sur les élections s’apprêtaient à aller à la Chambre des pairs pour s’y opposer ; le Roi l’ayant appris a fait défendre d’y paraître (par la charte, les Princes ne peuvent aller à la Chambre des pairs qu’avec permission du Roi) Alors les Princes ont écrit à Sa Majesté pour se plaindre de cette défense et motiver leur opinion sur la loi. – Madame a remis leur lettre . Voilà tout ce que l’on dit.
Madame de Boine (Boigne ?). est ici (je ne sais trop comment s’écrit ce nom célèbre , mais enfin la fille de M. d’Osmont) Elle est très ministérielle. Mme de Staël qui l’est encore plus est l’objet de la haine des ultras ; ils en disent des horreurs, n’en vont pas moins chez elle, et avant-hier, à sa grande assemblée, la rue Royale entière était pleine de voitures. M. Rostopchin qui y était la nommait dans tous les coins la pie de la révolution ; elle n’en prétend pas moins être en correspondance très réglée et très active avec l’Empereur de toutes les Russies.
Du reste, c’est sa dernière assemblée actuellement, elle va attendre les couches de sa fille.
On attendait hier MM. Labouchere et Baring , je ne sais pas s’ils sont arrivés.
Louise a écrit à papa qu’Henriette avait eu bien lieu d’être mécontente du premier depuis qu’elle était malheureuse.
M. Eden t’a-t-il remis la lampe que je t’ai envoyée par lui ; quand il y a de l’huile et une petite mèche dans la petite tasse, le transparent fait un très joli effet ; tu la donneras à qui il te plaira, mais si tu trouves que l’encrier soit assez pour Mlle Joly, offre la lampe à lady Holland, mais en tout fais comme tu l’entendras et suivant ton bon plaisir.
Mme de Coigny que j’ai vue hier me charge de te dire mille choses.
Auguste devient un vrai diable pour le jeu, grimper, courir, mais son caractère reste doux et charmant.
Duplas (?) que j’ai consulté pour acheter d’autres chevaux m’a parlé de toi avec les larmes aux yeux.
Adieu, cher et bien cher ami. Que je regrette ces temps passés loin de toi, mais que je m’endors tranquille lorsque je te pense dans la libre et l’heureuse Angleterre.
Adieu mon bien-aimé, mon bien cher ami. Mande-moi quand tu auras reçu mes petits présents et ce qu’ils t’auront…
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 65)
22 janvier 1817
Mon très cher ami, d’abord pour que je ne l’oublie point, dis à lady H… que ses bas ne sont pas arrivés de la manufacture et qu’ainsi je n’ai pu les donner à lord W…
Sois bien sûr que si ton cheval meure comme il mourra, André fera le diable et qu’il n’y aura pas un moment de repos ni rien de sûr.
Baring m’a envoyé ta lettre en me disant qu’il viendrait me voir, papa se réserve de causer avec lui de ton affaire, mais lord W… te dira qu’ici on n’y a aucune confiance et que lui-même m’a dit que je ferais bien mal d’y mettre du fond. Enfin il t’expliquera notre situation.
En attendant, voilà des chansons et un portrait, je te prie de ne les chanter qu’à Mlle Joly.
Thomès (?) successeur de Lignereux a envoyé le petit écritoire à M. Matis à Calais pour être envoyé à son correspondant à Londres. J’ai donné l’adresse de lady Holland ne sachant pas très bien la tienne ; ainsi prie la, s’il vient une petite boîte de payer les droits et te la remettre. Je n’avais point dit à Thomès successeur de Lignereux de prendre cette voie, mais comme il avait envoyé ainsi le flambeau, il a cru faire un miracle d’envoyer là ton encrier à la diligence accoutumée du dit Mates ; tu l’auras peut-être l’année prochaine.
As-tu reçu la lampe et n’était-elle point cassée ?
M. de Tall… doit être en furieuse colère de voir M. Pasquier ministre de la justice ; les ultras en sont furieux et disent que toutes les places vont être données aux Jacobins. Or M. Pasquier est le plus aristocrate des hommes, il a l’aristocratie de la robe qui est la plus empesée de toutes. On assure qu’il sera sec et dur ; je le crois .
Voici un mémoire sur les cotons. Je le donnerai à lord W… pour le remttre à M. Brougham. Cela rendrait mon paquet trop gros. Je te dirai que n’ayant pas encore de chevaux, j’étais avant-hier en fiacre avec Sally et Auguste ; en passant sur le Carousel, le petit a dit à Sally : Pourquoi n’entrons-nous pas dans la cour de l’Empereur ? – Parce que les fiacres n’entrent point dans la cour Royale, a répondu fièrement Sally – Mais, a repris Auguste, les vieilles femmes y entrent bien ! Sa petite tête ne voit dans les fiacres qu’une vieille voiture ; dans les vielles femmes que la laideur, enfin tout cela allait de pair dans sa petite tête et m’a paru drôle. Sally qui riait et qui se sentait personnellement offensée dans l’apostrophe aux vieilles femmes lui a dit : Je vous conseille de parler ainsi des personnes respectables et de là ils se sont tous deux battus, pelottés, embrassés, car Sally l’adore, l’élève très bien et il l’aime de toute son âme. Du reste il t’a écrit une lettre si charbonnée, si malpropre que je ne te l’envoie pas, mais qui disait : Mon ami Charles je t’aime beaucoup , je mange tous les matins le chocolat de papa. Reviens donc, je suis Auguste. Voilà toute la lettre à laquelle tu répondras une petite lettre adressée à lui et cachetée si tu veux le voir porter de joie. Du reste il est un peu surpris que tu ne lui envoies pas ses étrennes.
Voici l’adresse du correspondant de M. Thomès: M. Michaud doreur n° 7 Buckingham Street … Vas-y réclamer.
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 66)
24 janvier 1817 – 8h du matin
Lord W… part dans deux heures, mon cher enfant, mais je veux encore te dire un petit bonjour. Je vois qu’il y a quelque anicroche à l’emprunt car Beugnot devait faire son rapport sur le budget demain, et il a écrit hier à un de mes amis que non seulement il ne le ferait point mais qu’il ne savait plus quel jour il aurait lieu et les fonds français baissent étonnamment , vue la hausse extraordinaire qu’ils avaient éprouvées en deux jours au premier bruit de l’emprunt.
M. de Tall… a subi le 21 une humiliation qui a dû le blesser sensiblement, il a imaginé d’aller à Saint-Denis pour représenter comme grand chambellan avec tous les autres grands officiers de la couronne qui entouraient le catafalque de nos Rois ; lorsqu’il a paru, là, sur place, et devant toute la cour, M le grand maître des cérémonies a été lui dire que l’ordre du Roi était qu’on ne le laissât point avec la cour dont il ne faisait plus partie et qu’il allait se ranger avec les pairs s’il le voulait, ce qu’il a été faire ; mais les cent mille francs d’appointement attachés à cette place sont consolants.
Le chancelier d’Ambrag (?) a été fort étonné et fort affligé lorsqu’on est venu lui demander la démission de sa place de la part du Roi pour la donner à M. Pasquier. Les ultras disent que dans un an, si le Roi vit, toutes les places seront données aux agents de l’usurpateur. Du reste, rien n’a été plus affreux que l’exhumation de tous ces corps de Rois quand la Terreur avait jetés dans la même fosse, l’un criait : voilà une jambe, l’autre : voilà un crâne et l’on a mis tout cela dans trois caisses larges de trois pieds et demi chacune et longues de 12 . La trompette du jugement dernier rendra à tous son petit bruit, mais je crains que dans la grande mêlée, il y ait bien des têtes sens dessus dessous.
Adieu encore, cher et bien-aimé ami.
Mme de Rumford prétend que ses lettres lui affirment que ton mariage est sûr. Je t’aime de toute mon âme mon bien cher ami.
On fait une histoire à Paris qui n’est pas vraie je crois, mais qui est drôle, on prétend que M. de Blacas demandant au pape de casser le Concordat, lui disant qu’il n’aurait jamais dû traiter avec l’imposteur, alléguant qu’il devait savoir qu’un des droits de la légitimité était d’annulet tout ce qui avait été fait sans elle . – Mais, répondait le pape, Napoléon était reconnu par presque toutes les puissances ! – Mais, reprenait toujours le Blacas : la légitimité !!! Alors le pape s’écria : votre légitimité n’est rien auprès de mon infaillibilité, savez-vous ce que c’est que mon infaillibilité ? C’est quand j’ai tort d’avoir toujours raison. Que de gens aujourd’hui qui n’ont tort que parce qu’ils ont eu raison. Te rappelles-tu que ma première querelle avec M. de Tall… fut pour n’avoir pas voulu qu’il te menât aux courses et cantates que le Directoire faisait faire au Champ de Mars le 21 janvier en réjouissances et fééries et festoyement de la mort du tyran. (Alors il admirait cette cour !) Cette fête me paraissait digne de sauvages, je l’avais en horreur, ces exhumations me semblent dégoûtantes, et comme cela je ne suis point le principe de Pythagore : qu’il fat adorer l’écho. Bien des érudits croient que cela veut dire : qu’il faut vivre à la campagne et n’entendre que de loin le bruit de la ville, mais je pense élégamment que cela signifie d’hurler avec les loups. Tu décideras. J’ai reçu tes patins, je t’en ai remercié et t’ai prié d’en remercier mademoiselle.
Adieu encore mon bien-aimé ami, mon cher et bien cher enfant je t’aime de toutes les forces de mon âme.
Mes compliments à Palmella. Thomis m’a dit avoir écrit à M. Matès d’envoyer ton écritoire à M. Michaud son correspondant. S’il ne le recevait pas, que le dit correspondant veuille bien écrire à M. Matès, négociant à Calais, pour savoir ce qu’il en a fait.
Je ne vois plus Casimir. On dit qu’il n’est plus l’ami de toutes les heures chez M. de Talleyrand, et que Mme Edmond l’a en déplaisance sans compter que sa ci-devant épouse y est toute la journée et ne veut pas le rencontrer.
Je cherche si je n’ai pas encore quelques ragots dans mon sac, il ne me vient rien.
As-tu reçu Saute paillaisse (?) C’est de toutes les chansons celle dont le petit Car… . fait le plus de cas. Ce qui est drôle c’est qu’il pleut des chansons contre eux, et qu’il n’y a point dans leur parti une seul personne capable de faire un couplet.
Le journal d’aujourd’hui annonce le rapport du budget pour demain, cependant je suis sûre de la lettre de Beugnot. Je n’ai pas encore vu Baring. Papa ne conçoit point qu’il consente à mettre son … à côté de celui d’Ouvrard qui a refusé attendre la garde nationale alléguant qu’il était en banqueroute et ne pouvait faire partie de cette honorable association.
Papa a arrêté hier 200 bouteilles de vin de Bordeaux très bon, pour Palmella.
Adieu encore, mon unique ami.
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièces 67-68)
27 janvier 1817
J’ai reçu hier au soir la lettre par la poste et j’ai envoyé tout de suite celle pour Casimir. On dit ici que M. Corbié arrive demain, tu dois le savoir. On prétend que c’est son oncle qui l’a demandé pour être son bras droit dans le procès de la famille.
On m’a tiré les cartes ces jours-ci et l’on m’a dit de trois côtés différents que l’amant de mademoiselle Joly était bien malheureux parce qu’il avait fait un enfant ; ce qui est sûr, c’est qu’il y avait toujours une grossesse et comme je ne crois pas que ce soit moi, préviens ce pauvre jeune homme.
Voici un ouvrage très bien fait qui déplaît beaucoup à bien des gens surtout la capitulation inutile et l’alinéa sur la Prusse et l’Autriche qui occupent à présent notre territoire. L’emprunt n’est pas fait, on ignore même s’il le sera ; mais j’aimerais mieux acheter du bois qu’ils seront obligés de vendre que d’acheter des rentes. On regarde l’affaire de … comme consentie par lui sans l’usurpateur puisqu’alors non seulement il a été liquidé mais que son agent a touché les intérêts et que s’il n’y a pas consenti, son recours doit être sur l’agent. Voilà pour toi mais laisse les commissaires anglais lui en dire la nouvelle car elle m’a été confiée.
Mme Nareschin m’a dit : que le d. du R. était dans la dernière irritation contre toi qu’il lui avait dit : que tu disais le diable de lui, elle a répondu que c’était impossible parce que tu partageais certainement la reconnaissance que je ne cessais de manifester pour la tranquillité que je lui devais. Il a répondu : alirs il est bien différent pour moi de sa mère. D’après cela, elle m’a conseillé de le voir ce que je lui demanderai quand la fin des débats sur le budget et les élections sera un peu passé. On s’étonne beaucoup ici que M. de la Tour du Pin y soit arrivé hier au soir ; Lady Holland m’a écrit une lettre pleine de tant de compliments sur la dernière robe que je lui ai envoyée qu’il me semble que tu lui as dit que je les aimais. En effet c’est assez agréable et enfin je suis arrivée à l’âge où l’on ne peut guère plus me louer que sur ma bonté. En parlant de bonté, tu vas voir cet excellent lord W… que plus on le connaît, plus on aime. Il te dira que je suis toujours à la même place. Papa a acheté hier deux chevaux (j’ai manqué écrire deux cheveux tant je pense à toi) 1500 f. et le normand en retour, pauvre normand que je le regrette ! Quelle ingratitude de renvoyer ainsi ce vieux ami qui vous a toujours si bien servi ! J’en ai le coeur serré, il n’y a qu’un homme capable de cela. Nos deux nouveaux chevaux sont alezan, il y en a un charmant et que Carb… dit qu’à lui seul vaut 1500 f. L’autre est un peu rustaud et Thomas dit : Quand le général sera ici il n’aura pas de cesse qu’il n’ait appareillé celui-là qui est bien coquet.
Le chapitre de l’écurie fini, je te dirai que nous commençons à grogner sur la douceur du temps, on craint que les vignes ne portent, et comme il est certain que nous aurons encore des gelées, nous n’aurions pas plus de vin cette année que la dernière.
Auguste a fait un trait charmant : Fine, c’est la vieille chienne de Peter, qu’Auguste aime beaucoup . Fine avait mangé le dîner de Sally et Sally, furieuse, voulait battre Fine. Auguste a d’abord couru à Peter lui dire de cacher Fine dans l’écurie ; puis rassuré sur cela, il est venu tout pâle et pleurant me dire : Bonne mère, Sally veut donner des coups de bâton à Fine. Empêche-le, car je lui ai dit qu’elle n’avait qu’à manger mon dîner et que moi je ne mangerai que la soupe et du pain sec ; Fine n’a pas mangé cela ; j’ai été arrangé cette grande affaire, mais le petit que je tenais par la main offrait toujours la viande de son dîner pour apaiser Sally et répétait : Je mangerai du pain sec tant qu’on voudra. Gabriel qui est arrivé sur ces entrefaites en était aux larmes.
Dis-moi si tu as un moyen d’envoyer à Henriette une robe que j’ai brodée ; d’abord elle est si jolie que je désire la faire passer par toi pour que tu l’admires, la fasse admirer, et que tu m’en fasses des compliments. J’ai pris une passion pour les compliments, qui tient je crois à mon âge où l’on n’en entend plus qu’on ne les demande . J’ai pris pour remplacer Mme Marelle une allemande qui avait servi Mlle Barette et dont je suis fort contente. Je ne la gâte point. Je ne conçois point que tu dises que mes lettres deviennent rares, je n’ai point passé un jour de courrier sans t’écrire, excepté lorsque M. Eden est parti et qu’il t’a porté une lettre. J’ai avoué à lord W… que je t’avais mandé le tour que je lui avais fait en lui envoyant un vers de Mme d’Houdetott, mais j’ai juré que je ne t’avais pas dit le nom de la dame.
Adieu, mon bien-aimé ami, mon enfant, mon frère, que je voudrais te revoir. Quelle joie, quelle illumination dans la maison le grand jour où tu y rentreras. Ce sera peut-être plus tôt que tu ne le penses, mais rapporte-toi à mon désir sur ce point et attend que je t’en prie. Ton vieux cheval est toujours bien malade.
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 69)
19 février 1817
Je t’envoie par M. Baring 4 boites de chocolat. Les unes aux armes d’Angleterre, les autres avec des pensées . Enfin il y en a pour 40 f. et j’espère que tu en seras content, plus une boîte de buis en charnière en bois pour Mme de Bourcke , on l’a faite exprès et elle coûte 20 f. Je la trouve un peu grande mais j’imagine que c’est pour Mme de Bourcke. Le dernier courrier ne m’a pas apporté de lettres de toi, cela m’a désolé.
Le général Foix part dans peu de jours pour l’ Angl… et m’a demandé des lettres pour toi après avoir proclamé la différence de ta franchise, de ton honneur, avec le Prince Fata (?) Car il est si content de lui ce Fata que Prince ne suffit pas et un de ces jours on l’appellera sa hautesse. Le général Gérard et sa femme sont arrivés avant-hier à Paris. Il paraît que l’exaspération des Belges est à son comble, enfin j’espère que l’on mettra en problème de savoir qui est satisfait.
Notre cousin Balin… a tiré de son escarcelle 16000 f. pour arranger l’affaire du diamant de Mme Junot.
Dis à Auguste qu’Ouvrard a dit à Gabriel (d’un air sur la hanche) : Je donnerai à Auguste (car il ne l’appelle que par son nom de baptême) un intérêt sur l’emprunt. Je serai bien … de faire que …cher pour lui. Le discours de la fille fait un bruit terrible et tout le monde dans les affaires en est mécontent et ceux qui doivent payer l’admirent et le proclament même … ne fera plus de pain de quatre livres… mais seulement du pain de deux livres (qui n’en pèse guère qu’une et demie) et coûtent 14 sous Cela n’empêche pas qu’il y ait des bals partout et tous les jours.
Envoie-moi ma baptiste d’Ecosse pour la robe d’Henriette.
M. de S… donne ce soir un bal de 100 personnes où il a dicté qui y serait…
Je t’écrirai lundi…
[7 lignes illisibles]
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 70)
24 février 1817
Mon cher enfant, tes deux dernières lettres m’ont fait une peine que je ne puis t’exprimer. Il y règne un sentiment de tristesse si profond que j’en ai pleuré, ah oui ! J’espère nous revoir, et plus tôt que tu ne le penses, mais pas avant que je ne te l’écrive. J’ai des raisons pour cela que le col. Stanhope te portera car elles seraient trop longues à écrire par le courrier.
Mme de Staël est malade mais sans aucun danger, c’est notre petit Moreau qui la soigne.
M. Corbie ne voit personne et ne sort jamais, il est tout à ses affaires domestiques.
Stanislas Girardin te dit mille choses. Les Anglais qui viennent ici assurent qu’Auguste va se marier. Il y a-t-il quelque chose de vrai dans ce nouvel émoi, car c’est un bruit général.
Je t’envoie par le courrier de Gabriel deux étuis de chocolat de 17 f. pièce, je ne te les avais pas envoyés d’abord parce que l’homme qui peint ces velours est mort, qu’il n’y avait plus que ces deux-là et que je trouvais qu’ils vendaient les autres un peu trop communs tandis que seuls ils paraissaient jolis. J’ai fait parvenir à M. de Case l’aimable conduite de M. d’Osmont relativement aux fêtes données par les ambassadeurs. M de Richelieu l’a saura aussi, et je lui ferai demander de ne pas croire sur toi un mot de ce que dira M. d’Osmont. Qu’ils sont nobles, généreux, quand ils triomphent ces messieurs !
Adieu, mon enfant, je t’aime de toute mon âme et je finirai ma lettre tantôt, car le courrier est arrivé mais les paquets ne sont pas encore défaits. J’attendrai mes lettres pour savoir s’il y a une réponse à te faire, en attendant je t’aime et le répète pour mon plaisir.
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 71)
24 février 1817
Après l’arrivée du courrier, pas de lettres de toi mon cher ami. Me voilà retombée dans mes mauvaises humeurs et surtout tes dernières lettres étaient si tristes.
Crois que Vincent propose quelques tracasseries, j’en ai les preuves, je sors de chez Mme N… Je verrai cette semaine le duc de Richelieu pour toi. Il est fort aigri et ton passeport pour revenir ici doit venir de lui, sans quoi tu n’en aurais pas , mais que dira la dame au chocolat ? Je sais bien ce que je dirai , moi, et juge si je serai heureuse de te voir; pendant quelques temps il me suffira de te regarder, ce sera ssez de bonheur.
Adieu le bien chéri, le bien-aimé, j’attends avec impatience ma baptiste d’Ecosse et mon tulle. Ne parle point de ce dernier à lady H. J’ai reçu une lettre d’elle aujourd’hui, je vais faire ses commissions des blondes. Je lui en écrirai jeudi. Adieu mon bien chéri, que je t’aime, que je serais heureuse de tout faire pour toi. L’ami de papa est charmant mais cagneux à me désoler. Je vais lui donner un maître à danser mais je ne sais à qui m’adresser pour en avoir un bon . Eclaire-moi sur ce point , ce qui lui vaudrait mieux serait de nager si tu étais ici. Ne réponds pas sur la cagne car papa prend pour une personnalité tout ce que je trouve d’imparfait dans son ami , et me gronderait de t’inquiéter, mais ce serait bien laid si cela restait ainsi.
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 72)
Lundi 10 mars 1817
Voilà deux courriers que je n’ai pas de lettres de toi mon bien aimé ami, je ne te gronde pas, je ne te le reproche pas, mais cela me laisse dans une tristesse, un abbatement (sic) que je ne puis t’exprimer. Avant le 1er avril tu auras de mes nouvelles et de celles d’André, sois en sûr et j’espère bien passer avec toi le 21 avril. N’as-tu pas été bien triste de la mort de M. Horner ? Je voudrais qu’il pût entendre comme il est regretté par les hommes de tous les partis ; quel hommage on rend à son caractère, à ses vertus, ce serait assez mais ce devrait être la récompense d’une vie si pure.
C’est chez M. Gautier qu’André doit commencer son procès, je doute qu’il le gagne, mais d’après tous ses moyens, et son entêtement, et son esprit de chicane, sa famille doit s’attendre à le voir plaider longtemps.
Nonore est une vraie madame Chicaneau, elle est de feu dans cette affaire. Pour moi, je laisserais la famille se quereller sans m’en mêler d’aucune manière, pas même opiner du bonnet.
M. Bathurst est venu me voir hier, ainsi que lord Charles Fitzroye ; le premier m’a dit avoir le plaisir de te connaitre, il trouve ton portrait bien ressemblant et qu’aussi nous nous ressemblons beaucoup.
Le colonel Stanhope part demain en 8, je le chargerai d’une grande lettre pour toi. Mme de Staël est d’une faiblesse qui ne laisse rien augurer de bon pour la fin de sa maladie ; Moreau son médecin en espère peu.
Ornano est marié avec cette polonaise Mme… (je ne puis trouver son nom) enfin, l’ancienne amie de l’usurpateur ; elle est arrivée ici avec son nouveau mari et grosse : je ne sais pas pourquoi toutes ces grossesses me causent des ébahissements comme pourrait les éprouver ma tante Aurore.
Mes nouvelles, c’est qu’aujourd’hui 10 de mars la rivière est si grosse que l’eau est dans mes cuisines, dans mes caves, ce qui ne s’était jamais vu à cette époque de l’année.
Mme Princetot était l’autre jour à un bal et tous les jeunes gens s’étaient mis devant les femmes qui ne voyaient que les épaules de ces messieurs. Mme Princetot les avait fait prier de se séparer un peu et Edmond a cru devoir à son oncle de se regimber et de s’écrier : Ah ! c’est trop fort si la police arrive jusqu’ici. Alors Mme Princetot s’est levée, preste, et a couru dire très haut à Edmond : Il ne s’agit pas ici de police mais de politesse. Edmond cherche depuis lors un impromptu pour lui répondre, mais rien ne lui vient encore.
Mon Dieu que je t’aime, que je suis triste de n’avoir pas de tes nouvelles et que je voudrais qu’il fût permis aux mères de mourir pour le bonheur de leurs fils.
Lundi soir
Voilà le 3ème courrier sans lettre de toi ! Allons, souffrons, mourons d’inquiétude, mais ne grognons pas. Deux lignes cependant sont si vite écrites à celle qui n’existe et n’a jamais existé que pour nous ! Papa a depuis huit un de ces gros rhumes qui le laisse sans force, c’est pour cela qu’il n’a pas répondu aux deux dernières lettres de Palmella, fais-le lui dire ! et tout de suite. Attends que je t’écrive pour revenir et crois que je désire te revoir plus que tu ne peux avoir l’envie de revenir !
Adieu mon enfant, tu aurais pu me donner aujourd’hui le seul bonheur dont je puisse jamais jouir en ton absence, un mot qui dit : je me porte bien de corps et d’esprit.
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 73)
13 mars 1817
Que tu serais en colère contre notre maison mon bien cher ami, la Seine est tellement débordée qu’il y a de l’eau dans mes caves jusqu’à la hauteur des fenêtres qui donnent sur la rue et dans le jardin jusqu’auprès des saules. Ce qu’il y a de pire, c’est que cette eau a une odeur fétide qui fait mal au coeur ; du reste tout le quartier est dans la même situation ; il n’y a qu’Auguste qui en est charmé ; il saute, il rit en voyant la rivière dans le jardin. Il a demandé à papa de lui acheter un bateau pour aller dans le jardin , et papa s’y étant refusé, il m’a dit : Si mon ami Charles était ici, je suis bien sûr qu’il m’en donnerait un. Il lui est resté dans la tête que tu lui donnerais tout ce qu’il voudrait.
Toutes mes violettes étaient en boutons, elles seront pourries, enfin c’est une désolation. Toutes les plaines autour de Paris sont sous l’eau.
C’est demain la poste, aurai-je une lettre de toi ? Voilà ma seule pensée, mon seul désir ; après qu’un courrier m’a manqué, je saute d’un jour à l’autre comme une aiguille de montre, d’une heure à celle qui suit, l’intervalle ne m’est rien.
M. de Vintimille est mort, cela t’est bien égal, mais il faut te tenir au courant. J’ai lu l’Edimbourg Review avec …
[une ligne manquante]
… prête le livre que M. G. lui a envoyé par le frère de M. Horner. Il fait un tapage terrible à Paris parmi les diplomates.
La rivière a monté de deux pieds hier dans la journée. J’ai une certaine frayeur que cette quantité d’eau ne mine les fondations de notre maison ; Dethan(?) dit que non, mais le petit pavillon où est ma chambre me paraît déjà affaissé ; se noyer dans de l’eau claire ne me semble qu’un bain un peu froid, mais tomber dans un égout serait une mort affreuse, ma propreté s’en offense.
Je laisse la ma lettre et la finirai tantôt ; à présent, je ne pouvais te parler que d’inondation et signaler d’avoir été trois courriers sans lettres de toi ! Toutes mes provisions sont perdues, farine, pommes de terre, et puis quand l’eau sera retirée, que de bouteilles cassées à la cave, c’est vraiment désolant ! Papa prend cela plus courageusement que je ne l’aurais été ; les crues d’eau sont terribles, il n’y a qu’à regarder venir le malheur, au moins le feu on travaille à l’eteindre.
Rien de nouveau depuis ce matin, sinon un noble bas breton qui me disait fièrement il y a une heure : madame, on nous excuse en province, le peuple ne veut plus de noble à la fin …
[une ligne manquante]
… la Mayenne il y a 8 jours, les paysans disaient à mes gens : c’est un truand que votre maître, il s’en va parce que nous allons le jeter tous à l’eau. Je crois cela un peu exagéré, mais il se remuait sur son fauteuil comme si lui aussi voulait tout tuer.
Nonore est dans les plus belles espérances pour le procès qu’Etienne Gautier va suivre. Enfin je vois que ces pauvres gens auront de quoi vivre.
Adieu mon bien chéri ami, quand il plaira de croire que tes lettres sont ma seule consolation, tu m’écriras rien que deux lignes si cela t’ennuie. Je t’embrasse, je t’aime de toute mon âme . Depuis ce matin l’eau est arrivée à mon saule et pour juger la hauteur, c’est qu’au bas du jardin on n’aperçoit plus le haut du banc. Je te dis que nous croulerons dans l’égout et que j’en ai une peur affreuse.
Mille compliments à lord W.
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 74)
20 mars 1817
Je ne t’écrirai qu’un mot pour te dire que M. Stanhope ne partira que dimanche parce qu’il veut voir Germanicus samedi . Je compte aussi y aller, c’est une représentation où l’on annonce beaucoup de bruit, beaucoup d’esprit de parti, , et il est assez curieux de voir cela par la fenêtre.
Envoie-moi mon tulle dans une lettre, je t’en supplie, je l’attends pour finir ma robe et l’envoyer de la part de M. de Morny à qui de droit.
Mme de Staël va plus mal depuis hier au soir. Moreau n’en augure pas bien, et malheureusement je n’ai guère vu ses fatales prédictions manquer. Je me souviens tristement de la manière positive dont il avait condamné M. Horner.
Tu auras un paquet immense par M. Stanhope, et encore du chocolat.
L’inondation est finie, et toute l’eau de mon jardin de mes caves retirée, mais elle a laissé un tel froid dans la maison que je ne puis me réchauffer et ne suis bien que dans mon lit. Du reste, à l’heure que je te parle, il neige comme au mois de janvier. Je n’ai jamais vu pareil temps. Le rhume de papa va mieux, quoiqu’encore très fort ; il enverra à Palmella une immense lettre qui est toute prête, aussi par M. Stanhope. La montre à réveil pour M. H. Fox est en argent. Cela lui convient-il ? En or, ce serait beaucoup plus cher que le prix qu’il veut y mettre. Réponds à cela tout de suite. Mets mon tulle dans une lettre, je t’en prie, le plus tôt le mieux car je languis après.
Je t’aime, je t’embrasse de toutes les forces de mon âme.
Mme d’Arjuzon a marié sa fille avant-hier à M. d’Espagnac. Mme Dulauley disait au déjeuner du lendemain : Ah ! comme l’époux a l’air triste ! J’avais cru que ce serait la mariée. Il est vrai que cet époux représenterait fort bien un chevalier de la triste figure.
Adieu cher ami, attends ma grande lettre.
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 75)
25 mars 1817
Mon cher Charles, notre bon Saucier (?) te portera cette lettre, il te dira tout le bruit qu’a fait Germanicus, on ne parle que duels et coups de bâtons. Je t’écrirai avant le mois de Mai. Je suis toujours dans les idées de Nonore, mais n’en parle pas à Saucier . Il va en Angleterre sans savoir un mot de la langue, et je crains bien qu’on ne le garde à la douane, aussi, je ne lui confierai même pas de chocolat.
Je t’aime, je t’embrasse de toute mon âme, je n’existe que pour toi et quand je ne désire pas que tu viennes me retrouver , c’est que je crois le moment détestable. Cette dernière affaire a ranimé les ultras pire qu’au premier jour. La fièvre de calomnie est plus ardente que jamais.
Adieu, je t’écrirai jeudi. Souviens-toi que les lettres signées Adèle sont au nom de Vincent et de moi. Ainsi pense toujours à ces jolis vers : Lorsque sur cette terre on se sent délaissée, et dis m’en un mot de ton côté .
La nouvelle de notre maison est qu’Auguste a dit hier à papa : J’ai envie de brûler ta maison et d’y mettre le feu avec une allumette, comme cela serait beau ! Papa a pris cela au grave , moi je l’ai raisonné, et il ne voyait là-dedans qu’un feu d’artifice comme chez Franconi. Juge où conduit le voir et le savoir ? Heureusement qu’on nous en décarême (?) tous les jours.
Mme de Staël est mieux aujourd’hui.
Adieu mon enfant, mon ami, adieu ma vie.
Mille compliments au bon Frecki (?) Henry Webster n’est pas encore arrivé à Paris. Dis-le à lady Holland . A-t-elle reçu des rubans dans une lettre, que je n’ose pas lui en envoyer d’autres avant de savoir s’ils arrivent. M. Stanhope a dû te remettre de la blonde pour elle. La lui as-tu fidèlement remise ?
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 76)
? mars ou avril 1817
Ta lettre du 4 que j’ai reçue lundi soir m’a fait un bien extrême et je me suis bien reprochée de t’avoir tant grondé, grogné, mais tu sais qu’une ligne, un mot, un regard de toi m’adoucit toujours ; enfin, excuse ma grande colère par le grand intérêt de ce moment décisif.
Mme de Rumford est venue me voir hier, tu ne te fais pas d’idée du vif intérêt qu’elle prend à ton mariage, à ton bonheur, et l’éloge qu’elle fait de toi en toute occasion. Elle m’a conté que pendant qu’elle était en Angleterre, M. d’Osmont lui avait confié la résolution où il était d’empêcher ton mariage et qu’il était important au repos de la France que l’homme qui s’érigeait en chef du parti bonapartiste n’épousât point l’amie de la Princesse Ch… – Mais, lui a dit Mme de Rumford, vous ne pourriez pas l’empêcher de se marier même en France, comment le ferez-vous en Angleterre ? – Ah ! nous verrons, a-t-il répondu, mais j’y ferai tout ce que je pourrai. Je vois, moi, qu’il a fait comme Basile, et qu’il a trouvé dans son sac la calomnie … je ne désire que cela non plus et leur méchanceté et leurs basses calomnies éloignent du Roi tous ceux qui ne voudraient que le repos.
M. de la Boudere (?) qui te porte du chocolat me paraît un ultra de la première force. Il m’a dit cent bêtises sur Henriette , ne lui en parle point, mais compte là-dessus. Pas plus de M Henry Webster qui, s’il n’y en avait jamais eu, ma baptiste et mon tulle coiffent quelque donzelle, tu n’as pas d’idée comme cela me désole. Je ne sais plus que faire de mes dix doigts, de mes vingt-quatre heures ; et n’ayant plus cette occupation mécanique, je reviens sur le passé, j’examine à la loupe tout ce que l’avenir peut amener de peine, rien ne m’échappe des malheurs de cette triste vie. L’ouvrage est pour les femmes comme le rond, rond, de la chanson des nourrices qui endort les enfants du même ton, à pareille heure, chaque jour. Rousseau, qui avait copié de la musique, savait bien cela lorsqu’il disait : Le travail des mains rafraîchit l’esprit ; il fait mieux, il l’éteint, et quand je prends mon métier, c’est comme si j’arrêtais l’aiguille de ma pendule, ma pensée reste où elle était.
[une ligne manquante]
… par l’autre. Je t’assure que dans la disposition d’esprit où ces derniers événements m’ont laissé , c’est du bonheur tout … cette apathie, ce sommeil de l’âme, que j’aurais dû …
Quelqu’un me disait l’autre jour : vous ne dites rien ! Je manquai répondre gracieusement : je n’en pense pas moins davantage. Mais je m’arrêtai parce que c’était trop vrai, et si vrai que cela devient un secret de famille que je te confie. En reconnaissance de cette abnégation de moi, envoie-moi du tulle et du fil dans une lettre.
Tu sauras que le ministre de Portugal ici a donné une fête pour l’anniversaire du jour où le Roi du Brésil est monté sur le trône. Papa a déployé les diamants, l’épée, et un habit rouge si râpé, si tirant sur le jaune, que Manuel indigné a été dans tes armoires chercher ton habit de velours ciselé brun, et l’a endossé à papa qui était superbe avec et qui riait de paraître sous l’habit de l’élégant Charles ; Auguste l’a trouvé si beau, si beau qu’il disait : Sans ta figure je ne t’aurais pas reconnu, mais après avoir bien tourné autour de lui, il a demandé pourquoi était le petit sac de charbon derrière la tête, et c’était la bourse à mettre les cheveux.
As-tu reçu enfin ton encrier ? Si tu ne l’as pas reçu, M. L… m’en donnera un autre, car il m’en a répondu. Réponds à cela.
… du prix à la vie. Que j’adorerai la personne qui répondra de ton bonheur, celle sur qui ma dernière… mon dernier regard se portera pour lui confier mon Charles. Oh ! Qu’elle me remplace, et tu seras bien aimé, qu’il y ait toujours dans son coeur ce fond inépuisable de tendresse qui fait que tu as été tout pour moi.
Alexandre Girardin est venu me parler de ton mariage. J’ai dit que j’ignorais d’où venaient tous ces bruits, il n’a pas voulu me croire, enfin impatientée, je lui ai dit : Charles sait bien que j’approuve tout ce qu’il a fait et que j’admire tout ce qu’il fera ; ainsi il est fort tranquille et moi aussi, et après nous avons parlé des chasses, des princes, et des gardes du corps qui ne veulent plus être commandés par un d’Ondenarde (?)
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 77)
14 avril 1817
M. Freecki a-t-il reçu une lettre de moi ? (écrit à l’envers en début de lettre)
Mon bon enfant, dans 7 jours ce sera le 21 avril, jour le plus heureux de ma vie, le seul jour que je veuille fêter. Je prie Mlle Joly de te donner une violette ou une rose de ma part, et ce jour je réunirai nos amis et nous boirons à ton bonheur, ce sera bien boire à ma santé.
J’attends de tes nouvelles avec impatience. J’ai un de ces gros rhumes que tu me connais et dont je ne puis me défaire. Je ne puis t’écrire longtemps parce qu’à peine y vois-je, mais je ne t’en aime pas moins de toute mon âme.
J’avais écrit parce que c’est l’usage en France que la mère du parrain prévienne par visite ou écriture la marraine. Je n’ai pas la force de t’en écrire plus long aujourd’hui mais la duchesse de Wellington partant mercredi, je t’écrirai une grande lettre par un des aides de camp.
Je te prie de finir bien vite ce que tu dois finir car tant qu’on espère l’empêcher tu n’as pas d’idée comme on cherche à te nuire dans l’esprit de lord K. T’ôter un cheveu serait une vraie jouissance ; quand ce sera fait, on t’approuvera, te prônera, voilà le monde. Mais les compliments de M. d’Osmont comme si tu les croyais rien ne lui nuira plus ici, qu’après avoir écrit, et écrivant tous les jours du mal de toi, on le vice d’ agir autrement, c’est le plus grand menteur que je connaisse mais ils croient que c’est permis en diplomatie.
Enfin dépêche-toi car j’ai le contre coup de ces méchancetés et c’est affreux.
Adieu, je t’écrirai demain.
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 78)
17 avril 1817
Comme tu l’avais deviné, M. d’Os… a répondu cent mensonges , entre autres que ce n’était pas lui qui avait demandé au corps diplomatique de ne pas te recevoir, que c’était le grand duc qui avait exprimé la volonté de ne pas te rencontrer, et que même lorsqu’on t’avait présenté à lui, il avait dit : Ce n’est pas Flahault qu’on doit le nommer, c’est fléaux ; que tu allais partout tenir des propos infâmes sur le Roi etc… Si tu avais écrit au duc de R. et M. de C. quand et comme je te l’avais demandé, cela n’aurait fait aucune impression. Tout ceci est un secret confié par Mme Narischin et que tu ne dois pas savoir. Cela lui ferait une tracasserie. Si tu écris à M. de R. et à M. de C, envoie-moi tes lettres, et qu’elles soient comme je te les ai demandées. Je n’ai pas la prétention de juger ta position en Angleterre, ne vois pas non plus de la juger mieux que moi ce qu’il faut ici. N’entre pas dans ces détails, méprise cette conduite, . Si M. d’Osmont veut te faire politesse, reçois-la parce qu’il est ton ambassadeur et que tu ne dois pas savoir ce qu’il a répondu. Il a craint d’être blâmé et il a menti. Qu’il y-a-t-il de surprenant à cela ? de sa part. ce qu’il faut, c’est prouver ici le mensonge et je m’en charge.
Je suis bien touchée de ce que Mlle … t’a chargé de me dire, que j’aime la personne dont le caractère si noble, si élevé, si généreux, te promet tant de bonheur, et comme je mourrai tranquille lorsqu’à ma dernière heure mes yeux se porteront vers elle pour lui confier mon Charles et pour être sûre que son affection remplacera la mienne. Enfin, je me dis sans crainte aujourd’hui : Je puis mourir. Du reste, pour son repos comme pour le tien, si le mariage doit avoir lieu, qu’il soit le plus prochain possible. Tant qu’on espérera l’empêcher , on y travaillera par les plus basses intrigues ; c’est elle, c’est toi, c’est moi qu’on attaque ici, et lorsque cela sera fait on l’approuvera, parce qu’on approuve tout succès. Parce que j’ai vu les mêmes abominations lorsqu’il a été question de mon mariage.
Adieu, Monsieur Auguste Charles Joseph de Flahault de la Billarderie, né le 21 avril 1785. La loi est positive ici ; ton mariage (s’il a lieu) fait suivant les lois anglaises suffit et est valide ici.
(Le texte de la loi est : que tout mariage fait en pays étranger est valide ici ; lorsqu’il est fait suivant les lois du pays où l’on se trouve.)
Quant à la cérémonie catholique, la chapelle catholique à Londres, ou même celle de Palmella suffirait aussi. J’aimerais mieux la première. Mais en présentant le passeport que tu as reçu, tu pourrais te faire marier par l’ambassadeur de France. Car il faut bien distinguer l’homme que tu méprises de l’ambassadeur qui est là pour faire les affaires quand tu es en règle.
Adieu, cher et bien cher ami, je t’aime de toutes les forces de mon âme, je n’existe que pour toi, et tous ces mensonges, toutes ces calomnies me dégoûtent de la vie au point que j’en ai le mal de mer quand je songe qu’il faut avoir un lendemain à chaque jour ! Que je déteste la bassesse des heureux d’aujourd’hui. Le Roi ignore le mal qu’ils font et M. d’Os… le sait bien mal
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 79)
18 avril 1817
Mon enfant, je t’envoie ton extrait de baptême parce que lord K. verra du moins qui étaient tes père, grand-père et oncle et puis cela pourra t’être nécessaire. Cependant le copiste a oublié de mettre à moi la haute et puissante dame qui est dans l’original, mais je te le renverrai mardi.
Briqueville n’est en prison que pour une péccadille . Il en sortira bientôt. Je te raconterai que M. d’Ambrijeac (?) (ou Bertillac) a trouvé l’autre jour le général Woronsov qui sortait de la Comédie au commencement de … , il lui a demandé où il allait ? – Je m’en vais parce que je n’ai pu avoir de place – Hé bien, je vais vous mener dans la loge de Mme d’Aumont – Je ne la connais pas – Je vous présenterai. Et en effet les voilà dans cette loge la présentation faite. Mais Mme d’Aumont qui est un peu sourde n’entend point le nom de M. de Woronsoz qui, après les révérences prend la première place auprès d’elle sur le devant de la loge. Deux minutes après, entre le maréchal Victor et Mme d’Aumont impatiente de ce que M. de Woronsov ne dui donnât point de place lui dit : Monsieur, c’est le maréchal Victor. Et le Russe de se lever, saluer, et de s’asseoir. Monsieur, reprend la dame, c’est un maréchal de France. Et le Russe de se lever, saluer, et de s’asseoir. Alors Mme d’Aumont hors d’elle lui dit : Monsieur, si vous veniez à côté de moi, vous verriez aussi bien et Monsieur le maréchal serait placé convenablement. M. de Woronsov obéit, reste deux secondes auprès de Mme d’Aumont et s’en va. Quand il est parti, Mme d’Aumont demande à M. d’Ambrijeac : Quel est l’homme mal appris que vous m’avez amené ? Madame, c’est le commandant du contingent Russe. A ces foudroyantes paroles, voilà Mme d’Aumont au désespoir qui court chez la Princesse Bagration raconter ce qu’elle appelle son malheur et lui demander à dîner avec M. de Woronsov pour s’excuser.
Le dîner a lieu et la Princesse y invite plusieurs ultras ; les excuses se font, l’on se met à table, mais voilà que tout ce monde entre même leurs opinions pour plaire au vainqueur du Nord , et M. d’Aumont lui dit : N’est-il pas vrai général qu’on aurait dû chasser hors de France tous ces brigands de l’armée de la Loire ? Depuis que je me suis … répond M. de Woronsov, j’honore et respecte l’armée française , et je plains bien les Français qui n’ont pas servi dans ses rangs devant la gloire de leur patrie. Et aussitôt après le dîner, il s’en va conter cela à Mme Demidoff qui me l’a dit, mais ne le raconte pas car m’a-t-elle ajouté, il en serait fâché.
J’attends avec impatience ta lettre à M. de R. et à M. de C. Envoie-les moi ouvertes, qu’elles servent de base à ma conversation. Baring, à qui j’ai conté toutes les bêtises et sottises de M. d’Osmont doit leur dire comment tu es en Angleterre. Tu ne dois pas savoir qu’on a dit à lord K. que tu n’étais comte que de la façon impériale.
Adieu, cher ami, va voir M. Bathurst qui te porte cette lettre, c’est un homme chamant qui aime tant son père, sa mère, qu’il me fait venir les larmes aux yeux en m’en parlant. Je l’aime assez pour avoir été au moment de l’appeler : mon enfant.
Tu sais que c’est tout ce que je puis dire de mieux. J’oubliais de te dire que deux jours après ce dîner, M. de Woronsov a été sans même y avoir été invité au convoi du maréchal Masséna.
Adieu mon fils, mon frère, mon ami, l’âme de ma vie.
… fonds ont baissé de 40 sous depuis hier. On ne sait pourquoi. Papa te demande de prier Palmella de lui envoyer le Camoëns (qui lui sera adressé de Lisbonne) le plus tôt possible. Il languit après. Il est impossible d’être meilleurs pour nous que M. et Mme Baring et de mieux parler de toi.
Si tu as à faire de ton extrait baptistaire, uses-en, car tu ne pourrais pas avoir l’autre avant 15 jours parce que je ne pouvais te l’envoyer que jeudi prochain à cause du visa.
M. Cranford est venu me voir ce matin et s’est attendri comme s’il était revenu exprès à Paris pour moi. Mes compliments au bon M. Frecki.
Mon Dieu, mon enfant, comme je t’aime, comme je désire ton bonheur et comme j’aimerais tout ce qui te rendras heureux .
Ton cheval est fort malade.
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 80-81)
1er de Mai 1817
On a fait tant de difficultés pour le passeport de Mlle Jollivet qu’elle ne partira que mardi. Je crois que lady Grey en sera très contente ; elle sera peut-être moins alerte que Mlle Jolie parce qu’elle est très timide, mais en l’encourageant un peu, elle prendra de l’assurance. Elle tient à une famille très honnête et, quant à dîner avec les domestiques, elle m’a dit : Je me conformerai à tous les ordres de milady et à tous les usages du pays . Enfin, je crois que j’en serai contente et assurément, je ne le serais point si lady Grey ne l’était pas. Je ne sais qui m’a dit qu’elle serait chargée d’apprendre le français à une petite-fille , mais je l’en ai prévenu afin qu’elle ne rechignât point à tout ce qu’on lui ordonnera.
Je suis enchantée de ce qu’a fait la duchesse d’York et je crois que le général Hampton pourrait te présenter à son époux. Les ultras vont de portes en portes excuser, justifier, et même louer Mme d’Os… Ils disent que le Prince était ivre et lui a fait des attouchements indécents, de manière qu’il n’y a que moi qui défende le Prince , et comme on sait que je n’aime pas les d’Os… je prêche dans le désert. C’est une d’autant plus ridicule manière à eux de s’excuser que l’extrême politesse du Prince est bien connue et que la figure et l’âge du spectre ne soient pas objets attrayants. Le vin aurait beau faire voir double, que le spectre serait ancore trop mince, j’ai manqué mettre platte (?)
Tu n’auras les actes dont tu as besoin que lundi parce qu’il faut les légaliser ; ne t’inquiète pas sur les noms qu’il a fallu y mettre, Boileau les a portés lui même et a fait tous les actes de manière que les signataires des légalisations ne voient point ce qu’ils contenaient et l’écriture tellement continuée que ce ne soit que sur l’envers des feuilles qu’ils posent leurs signatures. Ainsi, excepté Boilleau qui par son état même ne peut ouvrir la bouche de quoi que ce soit qui regarde ses clients, personne n’aura vu ton nom. Mais sans ces actes, tout mariage aurait été nul. Lady H. m’a écrit par le dernier courrier qu’il y avait 8 jours qu’elle ne t’avait vu ; cela m’a étonnée , et pour ceux qui lisent le blanc entre le noir il ne m’a point paru qu’elle en fut contente quoiqu’elle m’ait dit le fait sec et dénué d’ornement sans un regret ni une réflexion mais seulement pour ne pas me donner de tes nouvelles.
Sais-tu ce que j’ai fait ce matin ? J’ai passé mon temps à relire toutes tes lettres ; que celles que tu m’écrivais de Stolpe étaient tendres ! Je veux qu’on les mette dans mon cercueil, je veux les emporter avec moi ; j’ai pleuré en les lisant, je les ai pressées contre mon coeur et j’ai sangloté. Ah ! mon enfant comme je t’aime, comme tu es ma vie, mon seul bonheur. Sois heureux si les prières et la reconnaissance et la tendresse d’une mère peut arriver jusqu’au ciel. Papa dit : que si tu le désires, que si sa présence est nécessaire pour avoir un oeil paternel le grand jour, il ira en Angleterre , mais ce lui sera bien difficile. D’abord le Camoëns ne sera fini que dans deux mois, ensuite il a refusé à son fils d’aller le voir en Angleterre. Il refuse tous les jours à sa famille, aux gouverneurs de Lisbonne, d’aller au Portugal, et il en donne pour motif que sa santé est devenue trop faible pour entreprendre le moindre voyage. D’ailleurs si nous partions tous les deux, peut-être ne nous laisserait-on pas revenir, qui sait ? Si tu veux de moi seulement, j’irai passer 15 jours avec toi, et Nonore soignerait papa (qui se plaît avec sa jeunesse plus allante que moi) Nonore coucherait dans mon appartement et le soignerait. Mais si pour lord K. la présence de papa avec moi t’est le moins du monde utile, il surmontera toutes répugnances et ira, voilà son dernier mot .
Adieu encore, le bien-aimé de mon coeur, adieu toi à qui depuis ta naissance, je n’ai pas respiré sans penser, prier, regretter, prévoir tout ce qui avait pu te nuire, tout ce qui pouvait te rendre heureux.
Dis à Frecki de m’écrire. M. de R. ne m’a point répondu, ne m’a point donné l’audience que je lui avais demandée. Je vois qu’il est embarrassé entre les accusations positives de d’Os… et tes négations plus positives encore. Qu’est-ce que cela te fait ? Marie-toi, sois heureux et tout le monde sera pour toi.
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 82)
8 Mai 1817
Que je voudrais pouvoir te porter cette lettre en un quart d’heure mon cher ami. Je sors de chez M. de Case . Il dit que la démission serait prise en mauvaise part ; qu’il faut commencer par demander l’autorisation, en conséquence Carb… fera une lettre de toi ce soir qui sera remise au ministre de la Guerre demain mais M. … préviendra le Roi ce soir, je l’ai prié de dire à sa majesté que si je l’avais osé, je lui aurais demandé son agrément. M. de Case m’a dit qu’il s’en chargeait et que ta demande faite ce soir tu n’avais qu’à te marier en attendant la réponse qui pourrait tarder par les négligences des bureaux. Il a été parfait, de toutes perfections . Il m’a dit qu’il fallait que la demoiselle te raccomodât avec son père. J’ai répondu qu’il n’aurait jamais eu de préventions contre toi sans les calomnies de M. d’Osmont ; que je préférerais cent fois que tu eusses eu des torts réels parce qu’alors un aveu et un regret suffiraient pour réparer, mais que contre la calomnie, je ne voyais ni moyen de s’y opposer ni possibilité souvent de la connaître. Il ne m’a pas dit qu’il ferait cesser tout cela, mais je l’ai vu. Quand je suis entrée chez lui, le maréchal Oudinot y était, qui a fait de toi un éloge excellent, car il lui a dit : Flahaut est éminemment un homme de coeur, et frappant sa main sur sa poitrine, il a ajouté : adressez-vous à son coeur et il sera mieux qu’aucun autre. J’ai vu que cela avait très bien préparé ma visite. Ta demande en autorisation sera remise demain par Foy à M. de M… pour la faire activer comme si tu la lui avais envoyée de Londres.
Adieu cher ami, fais mes excuses à Mlle M. si je n’ai pas encore été chez Mme Cassano , mais la tête me tourne de tout ce que j’ai eu à faire cette semaines, des lettres à toi, à M. de Case, tes actes notariés à faire viser, un envoi de mode de chez le Roi pour Mme Rodrigue de Souza, grande maîtresse de la nouvelle Princesse du Brésil, enfin je ne sais où j’en suis. Elle a fait demander à mon bon goût des livres choisis, j’ai envoyé les miens. Que dis-tu de cela ? Mais il ne paraît rien qui vaille ici. Et enfin cette dame est la cousine, la commère de mon mari et elle entend la plaisanterie.
Papa demande à genoux à Palmella de lui envoyer l’ex. du Camoëns qui lui a été adressé de Lisbonne il y a déjà longtemps. Lady Holland devrait bien l’adresser à M. Stuart.
Adieu cher ami, je t’aime, je t’embrasse de toutes les forces de mon âme et ce que je suis pour Mlle M… est de la vénération et une espèce de religion . Quelle âme noble et élevée. Elle croit n’épouser qu’un mari, mais elle trouvera papa et moi pour la chérir autant que tu pourras le faire. Dis à Frecki de m’écrire pour les détails que tu n’as pas le temps de me mander. Lui qui n’est pas amoureux peut me raconter toutes les niaiseries pour et contre que tu négligerais et qui nous font vivre dans ce petit coin.
Lord Castelreagh a toujours été si bien pour toi que je trouverais convenable que tu lui demandes un rendez-vous et lui dire que tu as l’agrément du Roi. M. de C. m’a dit qu’il le lui demanderait ce soir, et il faut que sur la lettre que je lui ai écrite il y a trois jours, il ait pris les ordres de S.M. puisqu’il m’a dit que tu pouvais te marier en attendant l’autorisation et la demande se ferait ce soir au ministre.
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 83)
15 Mai 1817
T’exprimer à quel point j’ai été triste hier mon cher enfant est impossible, et ce matin même, je ne sais pas trop ce que je dis car j’ai passé ma nuit à pleurer. Ce jour de ma naissance où tu me chantais, où tu étais si gai, où j’étais si heureuse, je l’ai passé si tristement que je ne pouvais ni respirer, ni parler, je ne m’en remettrai pas de longtemps. Que de petits bonheurs qui nous échappent mon enfant et cependant tous ces jours nous seront comptés… Enfin je ne veux pas te dire toutes les pensées tristes qui m’oppressent. Puisses-tu être heureux mon bon ami, l’être autant que mon coeur le désire et puissai-je voir encore mes petits-enfants.
Frecki m’a écrit une lettre charmante, il s’offre à parier qu’avant très peu de temps lord K. bénira le choix de sa fille. Dieu l’entende.
Le petit Moreau vient d’être bien mal d’un crachement de sang, l’accident est diminué, mais pas cessé, on est très inquiet de lui, c’est un véritable ami que nous perdrions. Et de plus un très bon médecin.
Lord Romeley est venu me voir, je l’ai beaucoup connu autrefois. Son changement de nom m’empêchait de me le rappeler. Gabriel veut me donner un grand dîner chez Robert le jour de ton mariage. Alex… Girardin est le seul qui ne soit pas venu me féliciter. C’est encore de ces amis précieux dont la présence est comme l’arc en ciel qui se montre après l’orage, peut-être fais-tu une exception dans son coeur, mais je l’ai trouvé bien changé, enfin je ne l’ai pas vu quatre fois depuis ton départ, du reste, je ne dis cela qu’à toi, se plaindre des gens est s’abaisser soi-même et les empêcher de s’amender.
J’ai encore relu ta lettre ; papa dit qu’il faut que je commande les robes, et c’est ce que je vais faire ; elles partiront la semaine prochaine ; pourvu que Mme C… sache l’adresse, sinon renvoie-moi une.
Mlle Jollivet est partie hier. Bien timide et si pauvre que j’ai été obligée d’engager M. de Vaux à lui prêter 200 francs pour qu’elle put avancer les frais du voyage, j’en ai ajouté 50 pour qu’elle s’achète une robe. Cette pauvre femme restait dans la chambre qu’Henriette lui avait laissée à pleurer toute la journée sans aller demander d’appui, ni parler de ses peines à personne. On l’y auait trouvée morte un matin ; la misère est à son comble ici, le pain renchérit tous les jours.
On dit que M. d’Osmont va aller à Vienne, car M de Caraman est nommé ministre de la maison du Roi. Du reste les ultras sont plus méchants que jamais. Ton mariage a renouvelé toute leur rage contre nous. Sais-tu que je m’avise d’être comme le valet du pauvre chou et que je suis affligée que tu ne l’aies pas vu, quoique papa dise que tu as très bien fait. Moi qui voudrais que tu joignis aux avantages de la prudence tous les honneurs du courage, j’aime les impossibles, quand il est question du Roi.
Mon pauvre enfant, mon cher ami, comme je t’aime ! Tu es ma vie ! Parle de moi à Mlle M…
Le mariage de la petite Detilles (?) paraît sûr. Elle sera malheureuse !
Auguste a échappé un malheur qui l’a frisé de si près que c’est un miracle. Un jour qu’il faisait grand vent, il est rentré et tenait encore la porte de l’escalier du perron, lorsqu’il est tombé du toit une des corniches de la maison qui lui a presque rasé le nez, une demi seconde, une demi ligne de plus il était écrasé. Cela m’a ébranlé tous les nerfs.
On pourra ôter l’alcove de ta chambre quand tu l’ordonneras et faire un tambour sur l’escalier pour entrer dans le salon.
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 84)
22 Mai 1817
J’ai un peu moins mal à la tête et j’en profite pour te réécrire un mot. Dépêche-toi donc de te marier. Le duc d’York a écrit ici que tu allais définitivement épouser M… mais que cela faisait tant de bruit qu’il croyait que c’était le pape qui épousait la fille du grand Turc. Du reste, la tendance de sa lettre était bienveillante pour toi. Marie-toi légalement ou illégalement pour la France, c’est-à-dire chez le Consul ou seulement chez un prêtre catholique, parce qu’il y a ici une loi faite pour favoriser les mariages faits en émigration qui ordonne que sur une simple réclamation faite par les Français mariés en pays étranger, on les inscrit sur les registres civils et leur mariage est valide non seulement pour eux mais pour la légitimité de leurs enfants. Ainsi finis-en car on ne fait que perdre et gagner des fièvres bilieuses à être tenu sur le chapitre si longtemps. J’attends le courrier de demain avec impatience car je n’ai pas eu de nouvelles le dernier courrier. As-tu reçu les pièces légalisées que je t’ai envoyées, tu ne m’en as jamais accusé réception, elles étaient trois.
As-tu vu mon ami M. Bathurst ? M. Stanhope ne m’a pas répondu, m’a-t-il oublié ? Le duc de Feltre n’a pas encore répondu à Mme de Fezensac. Je crois que l’on serait charmé ici que cela t’arrêtât (on, c’est-à-dire les ultras) mais suis le conseil de M. de Case et dès que tu as demandé l’autorisation cela suffit. Marie-toi en l’attendant. Je n’ai point donné ta lettre. D’abord parce que tu m’avais mandé et sous-ligné si c’est nécessaire, et puis parce qu’elle n’avait pas le protocole nécessaire , sans cela elle était bien.
Adieu toi que j’aime plus que ma vie. Finis-en sans quoi je me fâcherai et dirai : mille …
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 85)
31 Mai 1817
Je n’ai reçu qu’hier au soir ta lettre du 23 qui me … faire partir ta caisse avec deux grandes croix comme … sont parties depuis quatre jours, il m’est difficile d’y faire … ces croix, ainsi préviens Mme de Lieven qu’elle arriveront sans marque distinctive. Il y a dans l’une six robes et des rubans, dans l’autre 6 bonnets ou toques , dans la trosième de la musique ; ton nom est sur les livres.
La personne qui te fait le plus de tort ici est lady Mansfield à qui il prend des attendrissements pour lord K. qui irritent tout le monde contre toi surtout et contre M. M. Ah ! si c’est là une amie de Mlle … , je ne sais pas comment est faite l’amitié dans ce pays-là. J’ai reçu une lettre de lady H qui me mande qu’elle ne peut me donner de tes nouvelles, car il y a quinze jours qu’elle ne t’a vu, mais qu’elle suppose que tu te portes bien, car tu vas beaucoup dans la société. Quoiqu’elle soit un peu despotique ne te brouille pas là, car Dieu sait ce qu’on en dirait après toute l’amitié qu’ils t’ont témoignée à ton arrivée ; on ne saurait point les raisons que tu peux avoir et ce serait une occasion de tomber dans les attendrissements de lady Mansfield. Finis-en donc car j’en mourrai ici si cela dure. Le meilleur et plus chaud défenseur que tu aies est Foy . Lord H. est si bon, l’a été tant pour toi, que je serais désolée si tu étais en refroidissement dans cette maison. Lady Hamilton m’a raconté qu’à un grand dîner chez lord Bathurst plusieurs Ecossais jetaient les hauts cris sur ce que tu allais épouser leur héritière et que lord Bathurst dut leur dire : allons, allons, calmez-vous, nous mettrons un … avant Flahault et vous serez tous contents.
Adieu mon enfant, je t’envoie… je t’aime de toute mon âme.
Dis donc si M. Maxwell t’a remis la boîte avec …et la lettre qui était dans la boîte. Papa s’étonne que tu ne lui dises pas que cela te fait plaisir . Quand partiras-tu en Ecosse ? Ton bonheur, je ne le sens qu’à demi ; d’abord il n’a jamais été complet, mais tes peines, je les sens plus toi-même. J’en souffre, je m’en désole, enfin, finissons-en. Je voudrais que M. M. écrivît un mot à lady Hamilton, car elle a été très bien pour vous deux ici. Puisque M. M. est absente, je suis fâché de ne vous avoir pas permis de lire ma grande lettre à lord C. et véritablement la drôle d’amitié de lady Mansfield a besoin de contrepoids. Mme de Staël décline lentement. M. Cranford est très mal cela a d’abord été un cathare et aujourd’hui l’on dit que la poitrine est mortellement attaquée. Je trouve que vous et M. M. avec vos lambineries, vous êtes comme deux chandeliers sur une table, chacun va en dire son avis et telle qui se diviserait pour courir après un homme ne comprend pas qu’on attriste son père un moment pour épouser celui qu’on aime.
Enfin finissons-en et l’on ne parlera plus de … on finira même par vous approuver.
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 86)
8 juin 1817
La démission a été datée. Le grand Carb… et moi ne manquons à rien. (ligne ajoutée à l’envers en début de lettre)
Comme tu m’as grondé mon cher ami, dans ta lettre du 3 juin. M. M. a raison, tu es un juge beaucoup plus sévère qu’elle, et j’aime beaucoup le mot de formidable qu’elle a employé en parlant de ta seigneurie ; au surplus elle m’a écrit une lettre charmante et si tu continues à gronder, je n’écrirai plus qu’à elle. J’ai reçu aussi une lettre bien aimable de lord W. qui me dit espérer qu’avant que les roses de mon jardin soient passées, mes deux aimables fils et leurs épouses m’entoureront de leurs soins et se trouveront à ma table hospitalière ; enfin sa lettre est si bonne si charmante que papa l’a gardée en disant : Voilà des détails ! celui-là; nous savons ce qu’il fera dans 15 jours, ce n’est pas comme notre pédant . Si par hasard, tu devines quel est notre pédant, engage-le à pardonner la familiarité.
Oui, sûrement ma lettre du 31 pouvait être d’une personne irritée, car je le suis fort ; ce qui est personnel me touche peu, il y a longtemps que j’ai sauté par-dessus moi pour ne sentir que ce qui t’est relatif ; je te l’ai peut-être déjà dit, mais il y a des gens que j’aime et qui ne s’en doutent pas ; seulement parce qu’ils m’ont demandé de tes nouvelles pendant que tu étais à l’armée, d’autres à qui je ne pardonnerai jamais parce qu’il m’est revenu qu’ils avaient fait quelques mauvaises plaisanteries sur ton compte. J’admire ton superbe dédain sur la méchanceté ; moi, je me fâche, je garde rancune, et si je te ressemblais, je me trouverais une Romaine comme les oies du Capitole . Non, jamais je ne pardonnerai à M. d’Os… et à bien d’autres ! A moins qu’ils ne se noient pour me faire plaisir.
Vous ne me dites seulement pas à qui il faudra adresser mes lettres quand lady Holland sera partie, apparemment que vous ne vous souciez pas de ma correspondance. Ah ! Si vous avez grogné je suis fort décidée à vous le rendre aujourd’hui.
J’ai revu M. Webster, il a fait les voyages des environs de Paris qu’il trouve superbe ; il ne sait pas du tout qu’Holland House va voyager ; il dit que tu es le seul Français contre lequel lord K ne devrait pas avoir d’objection, enfin il est très bien.
J’ai pris en résolution d’adresser mes lettres à Palmella toujours par le courrier de M. Stuart. Mme de Coigny qui est parfaite pour toi, a écrit à lady (Je ne sais pas écrire son nom , enfin la mère de lord Yarmouth) qu’elle était charmée de ton mariage et qu’elle espérait que lord K. finirait par se raccomoder avec toi, et ne pas déshériter sa fille, que tu étais dans une exception unique, que tu avais donné ta démission au Roi dès 1814. Que tu n’avais trompé ni trahi personne, que peut-être on pouvait tout au plus te reprocher une reconnaissance exagérée, mais que cette faute, si c’en était une, était si rare, et provenait de si nobles sentiments qu’on devait t’en estimer ; et que tu y ajoutais d’être le plus agréable et le plus aimable du monde. La mère de lord Yarmouth a répondu fort sèchement : Je ne suis point de votre avis sur le retour de lord Keith vers sa fille, et je crois qu’il tiendra sa promesse. Je ne connais point du tout le général Fl… je l’ai rencontré deux fois par hasard, et elle a parlé d’autres choses , mais en aigre-doux. Dis cela à M. M. car on dit ici que M. d’Os… a mis en avant une volonté plus considérable que celle de lord K. Peut-être M. d’Os… a-t-il aussi fait parler des gens qui n’avaient montré qu’une humeur toute explicable contre un étranger, mais qui n’avaient point chargé cet ambassadeur de lui nuire. Enfin il est bon que M. M. sache cela, et juge d’où vient l’orage, mais qu’elle n’en compromette pas Mme de Coi…
Adieu Pekin (?) tu m’as tant grogné dans ta lettre du 31 que j’ai envie de ne pas finir comme toujours par te dire que je t’aime plus que ma vie, et que je n’existe que pour toi. A demain, je t’ai voulu écrire un petit mot d’avance aujourd’hui. Dis à Palmella que papa a reçu une lettre de la comtesse de Linarès qui croit que l’insurrection de Fernambouc n’aura pas de suite. Elle écrit de Lisbonne, ainsi il saura cela, mais dis-le lui toujours.
Es-tu content de la repasseuse ? C’est une bonne fille qui sait son état en perfection. Les robes sont parties et si elles arrivent sans être chiffonnées, les trois de parure sont fort jolies. Cette Jeanne qui m’avait plu en pièce ne m’a point paru garnie assez étoffée, mais Mme C. m’a dit que c’était la dernière mode.
Lady Morley (?) est toujours à la campagne ; la marque de défaveur d’avoir refusé l’autorisation a éloigné un peu les oiseaux qui me revenaient, mais le moindre petit succès les rapprochera. Ce n’est pas d’elle dont je parle.
Lord W. vivra-t-il avec la mère Rowdon (?) C’est une personne qui me paraît beaucoup aimer sa fille ; mais elle est si bavarde qu’on lui désirerait de prendre du tabac pour être un petit moment sous entendu le son d’une voix monotone. Je n’en crois pas moins que lord W. sera fort heureux, d’abord il l’est par son caractère, et puis la personne qu’il épouse est charmante.
Papa, pour sa satisfaction particulière te prie de nous mander quel tour lady H. t’a joué.
Pour le coup, à demain.
Ce 9
J’ai vu hier Casimir. C’est positivement une lettre de M. d’Osmont au Roi qui a fait refuser cette autorisation. M. d’Osmont lui demandait au nom de lord Keith et en mémoire de tous les services qu’il avait rendus à sa cause de faire tout au monde pour empêcher ton mariage. Ensuite ily mêlait pour son compte le danger qu’un Bonapartiste épousât l’amie de la Princesse et puis la déplaisance du Prince Régent, enfin tout le fiel de la haine délayé dans la plus basse flatterie, et quoiqu’on trouvât ta lettre très bien, qu’on en fut content, on s’est résolu au Conseil à refuser cette autorisation. On croit ici que lord Keith en sera fort reconnaissant. S’il savait le considérant du Conseil d’Etat sur lequel la loi est fondée, il en serait furieux car certes le mariage de sa fille n’est pas un mariage inconvenant et qui dégraderait l’uniforme, comment n’avoir pas prévu qu’après les sacrifices que M. M. avait fait à son attachement pour toi, tu donnerais plutôt mille démissions que de renoncer à elle, que tu trouverais même une orgueilleuse et secrète satisfaction à lui faire un sacrifice aux yeux du monde entier, et lorsque le premier feu de la colère sera passé chez lord K. il sera je crois fort fâché de s’être livré à cet intriguant de d’Os… C’est affligeant pour un whig, un tory en rougirait !
La farine est en grande abondance à Paris, car les fermiers des environs craignant d’être pillés par le peuple y ont fait refluer tout ce qu’ils en avaient.
Adieu, cher ami, je t’aime et t’embrasse de toute mon âme. M. Cranford est sauvé, il commence à sortir. Ses idées de mort lui sont si désagréables qu’il ne supporte point qu’on dise qu’il a été bien mal.
La conduite de Sigismon envers toi ne m’étonne pas ; ils sont tous comme cela.
Ma récolte de roses s’annonce devoir être superbe. Mon saule a été fort malade, mais il est mieux.
La belle duchesse de lord W. est ici. Son mari et elle sont pleins d’attachement pour toi, il n’en sort que de bien qu’ils n’en disent , le mari dit que tu es le noble, galant, enfin l’idéal chevalier français. Enfin ce sont des gens sur lesquels tu peux compter et dans ce temps-ci cela n’est pas peu dire. Mme Nareskin (?) est parfaite pour moi, mieux que toutes les ladys du monde.
Adieu encore, je t’embrasse de toute mon âme. D’Ecosse tu enverras mes lettres à Palmella sous l’enveloppe de M. Stuart, et Palmella les enverra au bureau des Affaires étrangères pour qu’elle m’arrivent par le courrier comme ferait lady Holland.
Tu dois t’en faire d’autant moins de scrupules que la cour paye les ports de Palmella.
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 87)
? juillet 1817
Je n’ai pas eu de tes nouvelles par le dernier courrier mon cher enfant, et je le conçois fort bien, mais ce n’en est pas moins une grande et douloureuse privation.
Lady Grey m’a écrit pour me congratuler sur ton mariage et m’invite fort à aller à Howich with my children , tu ne peux imaginer combien cette expression qu’elle a soulignée m’a fait de plaisir.
Les grandes chaleurs sont passées, les nuits commencent à être froides, et le temps pluvieux. Jusqu’ici les moissons s’annoncent admirables, mais il ne faudrait pas que les pl… continuassent.
La maison de Mme Burell est-elle près des terres de Mme de Flahault , y as-tu été ? Puis-je en avoir quelques vues pour reposer la mienne ?
Voici une lettre des deux Car… Le grand est parti pour Chavanine. Lady Hamilton et lady Jersey sont venues me faire compliment sur ton mariage. La première souhaite savoir positivement comment s’appelle ma belle-fille, et si tous deux vous avez mis le nom de Mercer avant celui de Flahault comme vous le deviez. Moi je dois savoir si vous avez mis dans vos lettres et contacts celui de La Billarderie après celui de Flahault. Là c’est vrai qu’il est dans toutes les généalogies de votre famille.
Mon enfant je t’aime de toute la force de mon âme…
[une ligne manquante]
… mais elle est bien fâchée qu’il ait lieu un vendredi. Je l’ai rassurée en lui disant que c’était très proche du samedi. Le protégé de papa a été un peu malade d’un gros rhume, mais il est bien. Moi j’ai souffert d’ … on m’a mis les sangsues et je suis bien. Papa est à Marseille, il engraisse un peu. Petit Moreau s’est cassé le doigt. Mme de Staël se pleure devant tout le monde et avec tout le monde . Moi je ne pleurerai qu’avec mon fils et ma fille et je ne regretterai qu’eux. Je vous embrasse tous deux.
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 88)
Ce 3 août 1817
Mon bien cher Charles, j’ai reçu hier ta lettre sans date souivant ta louable coutume, mais elle n’en a pas été moins bien venue, car il y avait trois courriers que je n’en avais eu. Que la pensée de ton bonheur me console de ton absence ! Mais rien ne peut me rendre raisonnable sur ton silence parce que cette peine me vient de toi seul, et quand c’est ta paresse qui me prive de mon unique consolation dans ce temps qu’il me semble que si Dieu était juste ne serait pas compté dans ma vie. Ah ! mon enfant, quel cri de douleur me serait échappé si à mon dernier adieu, si la dernière fois que je t’ai embrassé, j’avais prévu que je serai des années sans te revoir ! Actuellement, monsieur, il me faut un détail très circonstancié de votre maison de campagne, un dessin du jardin, un mot des voisins, un compte de la distribution de vos journées ; que je puisse me dire à tout moment : mes enfants déjeunent, dînent, se promènent, montent à cheval, enfin que je vive un peu avec vous. Moi ! tu sais où me prendre, ma vie est si uniforme qu’il ne faut que te rappeler pour prévoir ; mais il me faut tant de détails que je veux savoir jusqu’à la manière dont les meubles sont placés et à leurs couleurs .
Il faut t’avouer que j’ai perdu l’adresse du négiociant à Calais où il faut t’adresser tes lampes ; renvoie-la en grosse vitesse.
Lors de l’affaire de Nonore, j’ai brûlé beaucoup de papiers, et il faut que cette lettre m’ait échappée, quoique j’ai gardé avec soin tout ton écriture. C’est mon bonheur que de relire tes lettres. Enfin renvoie-moi cette adresse car les lampes sont prêtes et fort jolies.
Lord Jersey a passé la soirée hier chez moi, nous étions seuls et nous avons causé, nous nous entendons très bien , il me paraît avoir une véritable amitié pour toi et une grande estime. Lady Jersey était chez lord Marley dont le fils de sa première femme a un vaisseau cassé dans la poitrine et est fort mal. Nous avons parlé de lord K. J’ai pris la contenance et même le son de voix que tu m’as prescrits pour plaindre les préjugés des nations, et je n’ai témoigné ni désir ni inquiétude pour les suites de cette haine. Du reste je n’en parlerai plus que pour répondre à ceux qui m’en parleront et j’éviterai même cette conversation tant que je le pourrai. Je vois pas mal ici une lady Elisabelle Vernon qui me paraît charmante, mais ce qui l’est plus que tout pour mes enfants et pour moi c’est Sir Hugh Hamilton et sa femme. Il est impossible d’être mieux, et le mari et la femme ont dit qu’ils chercheraient lord K. pour lui parler de moi et de toi suivant nos mérites.
Adieu cher ami de mon coeur, je vais m’adresser à ma fille.
Je vous prie my dearest friend de faire une belle révérence à votre mari de bien l’embrasser et le féliciter car dans sa dernière lettre il y avait une faute de français ! Oui, une véritable traduction construction anglaise ce qui prouve qu’il pense dans cette langue. Mon mari en a été charmé. Moi j’en ai souri mais ce rire du sage qui se voit et ne s’entend pas car je ne veux point qu’il oublie le français, seulement qu’il le conserve comme la langue maternelle.
Je suis bien contente que vous ayez reçu les robes et que vous en ayez été contente. Je vous prie cependant de ne porter la jeanne que le jour car cette couleur paraissant blanche à la lumière, elle aurait un peu l’air tricolore, ce qui n’est point à la mode chez vous. Je vais me mettre en course pour vos bonnets qui étaient élégants et charmants et qui coiffent peut-être quelques dames douanières.
Dès qu’il partira un courrier portugais , je vous enverrai des mouchoirs brodés et des gants. Charles a bien raison : disposez de moi comme d’une chose à vous, dites-vous bien, répétez-vous que mon plus grand désir est de vous plaire et qu’à ma dernière heure vous me regrettiez comme une vraie mère et la plus tendre amie. Je désirerais bien être avec vous, mais j’espère que l’hiver prochain j’irai vous faire une visite si le séjour de la France n’est pas encore favorable à la santé de Charles. Permettez-moi de vous embrasser, de vous bénir, et de vous offrir les tendres hommages de mon mari. J’ai envoyé votre lettre à lady Marley. Nous attendons ici le Roi de Prusse .
Je vous prie d’ordonner à Charles de m’écrire tous les courriers un petit mot, c’est ma seule consolation car son absence m’est bien sensible, une lettre de vous ou de lui me ravive jusqu’au prochain courrier et je n’ai que cette seule joie au monde.
Adieu encore ma fille, ma chère fille. God bless you.
Madame de Souza
à Margaret Mercer Elphinstone, Countess of Flahaut, sa belle-fille
(pièce 89)
25 août 1817
La lettre ci-jointe qui est adressée à votre mari est aussi pour vous ma chère fille. Comme vous avez changé déjà trois fois pour la femme de chambre (ce qui prouve votre bonté car dites à Charles qui n’est que juste n’est pas assez bon et qu’un peu de faiblesse sied bien à notre nature si faible) mais enfin comme vous avez déjà changé trois fois je ne regarderai cette affaire comme terminée, décidée, qu’à la réponse de cette lettre du 25 août. Je ne puis vous dire cependant comme je serais fâchée pour vous que vous perdiez l’occasion d’avoir une femme de chambre que je regarde comme un véritable trésor. Active, travailleuse, polie, adroite, douée et gaie ; au lieu que celle que vous aviez est bavarde, col… et ces deux défauts sont fort dangereux dans votre situation. N’oubliez point de me mander si vous persistez dans la volonté de garder Any… Combien vous voulez que je donne de dédommagement à mon trésor. Je n’en ai pas reçu de confidences positives parce que les anglaises nouvellement mariées n’avouent ces sortes de choses que le plus tard qu’elles peuvent, mais je crois lady W. grosse et elle s’est mariée le 21 juin. A la vérité, le duc de Bedford a positivement défendu qu’elle affrontât le vendredi. Veuillez dire cela à Charles ; cependant cette pauvre petire lady W. est fort souffrante.
Nos gazettes disent aujourd’hui que le comte Palmella va être ministre des Affaires étrangères au Brésil, que je le plains, et comme il en sera affligé, je le regrette aussi pour Charles.
Adieu ma chère fille, mon coeur ne vous sépare point de ce Charles, je vous aime comme si vous étiez ma fille depuis que vous êtes au monde. J’espère bien aller vous voir cet hiver à Londres, il serait assez important à mon mari que l’Edimburgh Review parle avec éloge de notre édition du Camoëns pour fixer les admirations portugaises, tant sur la beauté de l’ouvrage que sur le patriotisme qui fait dépenser 60000 f. pour une édition dont il n’y aura pas un seul exemplaire de vendu, mais qui est un monument à la gloire du poète qui a si bien illustré son pays, qui jusqu’ici n’avait fait imprimer que de mauvaises éditions sur mauvais papier. Enfin c’était une honte.
Ce dernier paragraphe est adressé à Charles . Mais j’y tiens beaucoup à cause du Portugal et du Brésil.
God bless you mes enfants.
Madame de Souza
à son fils Charles de Flahaut
(pièce 90)
22 septembre 1817
Quel bonheur pour tous les Souza que la mort de cet abominable Aranjo. Voilà Louis nommé ambassadeur en Angleterre, papa rétabli dans sa place de conseiller des finances avec 12000 f. d’appointements, Bezessa (?) qui le lui écrit , ajoute : et j’espère bien que ce sera pas le seule grâce que vous obteniez.
Palmella lui en écrit autant et je crains bien qu’on ne le nomme un jour un des Régents du Royaume de Portugal. Ce serait pour moi un triste établissement, et comme à mon âge on ne regarde plus un établissement comme un passage, mais comme pouvant y finir ses jours, la pensée de les terminet loin de toi m’attriste plus que je ne puis te dire. Que cet Aranjo était un abominable homme, il détestaient tellement tous les Souza que son dernier acte a été de faire refuser par l’Autriche la Comtesse de Linarès (veuve de Rodrigue Souza) que le Roi de Portugal avait nommé pour accompagner l’archiduchesse Léopoldine en qualité de grande maîtresse. Il a envoyé à Florence le même Navarro qui nous avait joué le même tour en Russie. Enfin Dieu veuille avoir son âme. Certainement nous n’irons pas en Portugal (si nous y allons) sans passer par l’Angleterre .
Mme de Rumford m’a dit que tous les Ecossais disaient qu’il fallait que ce fût la popularité en Ecosse qui ramène lord K. Que depuis que tu avais l’air de t’y plaire, commencent à le trouver injuste et que si tu … d’y rester cet hiver sans penser revenir à Londres, tu serais regardé comme un véritable Ecossais et qu’alors tout était bien. D’ailleurs beaucoup de gens doivent se raccomoder m’a-t-elle dit par la peine que cela ferait à la famille. Enfin reste en Ecosse et j’irai t’y voir, cela est sûr. Papa commence à dire oui.
Cet avis que Mme de Rumford m’a dit de répéter dans toutes mes lettres, je te le dis, bien entendu, que tu le juges et n’en fasse que ce qui plaira à ta femme et te conviendra. Mais elle m’a dit que tout le monde en Ecosse le lui avait dit. C’est la chose la plus importante pour toi. Elle a été comme ravie des yeux de ta … , enchantée de ta bonne réception et trouva le parc charmant. La maison excellente, enfin elle parle de toi ici et de ta position comme je le voulais.
Je t’ai répondu sur Baring. Il faut attendre l’emprunt qu’on va faire parce que naturellement l’immensité de la dette fera beaucoup tomber les fonds, c’est l’avis du frère… D’ailleurs tu n’as pas d’idée de l’agitation … point les élections nationales à l’ étranger y mette une telle activité qu’on ne peut voir personne, pas même …
Augustine a dit à la femme de chambre de Mme Rumford : Je m’en vais car il n’y a plus rien à faire ici . Ne répète pas cela mais la fille de Mme de R… qui est attachée à elle en était toute scandalisée.
Adieu mon minou que j’aime de toutes les forces de mon âme.
Madame de Souza
à Margaret Mercer Elphinstone, Countess of Flahaut, sa belle-fille
(pièce 91)
19 octobre 1817
Voici une lettre de la maîtresse de votre blanchisseuse pour la remettre à la raison. (ligne située en tête de lettre et écrite à l’envers)
Voilà votre départ pour Howick qui m’inquiète bien pour le trésor que je vous ai envoyé ma chère fille , où Palmella l’enverra-t-il ? Et si elle tombe à Meiklour sans que vous y soyez, qui la recevra ? Pauvre créature qui ne sait pas un mot de la langue, enfin Dieu ait pitié d’elle en attendant que vous la protégiez.
Je ne puis pas venir à bout de trouver l’adresse de votre cordonnier et vos pieds nus me désolent. J’avais fait demander son adresse chez Mme la duchesse d’Orléans , la personne à laquelle je m’étais adressée à tant à faire dans ce moment qu’elle m’a oubliée. Enfin de mon petit coin je remue ciel et terre et cet homme célèbre est introuvable. Je continuerai cependant mes recherches, car je suis bien fâchée quand je manque à rien de qui vous est agréable .
Vous voilà donc à Howick. Est-ce que vous n’aurez pas vu S. H. Hamilton et sa femme ? L’un et l’autre vous sont cependant bien dévoués et puis les ayant beaucoup vu ici, je ne doute pas qu’en disant simplement la vérité ils ne détruisent toutes les bêtes de calomnie que l’on s’était plu à débiter sur nous pour empêcher votre mariage. Je sais qu’en partant d’ici, ils désiraient beaucoup vour lord K. pour lui parler de mon mari et de moi ainsi qu’il convenait. Je les avais prié de vous consulter auparavant, car de si loin on ne peut juger ce qui est bon ou nuisible. Voilà aussi nos ex… du Camoëns pour Edimbourg qui vont arriver à Meiklour sans que vous y soyez. Dieu veuille qu’on ne les égare pas.
J’ai beaucoup vu ici M. Clerke avocat qui porte à mon fils son fusil anglais, c’est-à-dire qu’après l’avoir fait passer à vos douanes, il le mettra dans je ne sais quelle voiture et l’adressera à Howick, car lui va directement à Edimbourg.
Mande-moi si Palmella vous a envoyé une lettre de moi qui renfermait des manches, que je vous priais de remettre à Mme Frederik. Je serais bien fâchée qu’elles fussent perdues.
M. de Souza a fait présenter au Roi de France un ex. du Camoëns et pendant 3 jours Sa Majesté l’a montré à tous les courtisans en admirant beaucoup le sentiment qui avait animé mon mari dans cette entreprise.
Charles, ne me réponds pas ; s’il croit qu’un ex. eut été agréable à lord Landerdole , c’est-à-dire s’il a le goût des belles éditions comme il n’y aura au monde que 200 exemplaires, et pas un seul de vendu, nous ne voulons en donner qu’à ceux qui y mettront du prix, et à qui nous seront réellement sûrs de faire plaisir. Veuille aussi penser si ayant beaucoup connu lord Castlereagh à Paris en 1792 il ne serait pas bon que je lui envoyasse un exemplaire, c’est-à-dire si cela ne serait pas une manière aimable de renouveler sa connaissance, et si par la suite ce renouvellement de connaissance fait si naturellement n’ajouterait pas à sa bienveillance tant pour Charles que pour Louis. Je soumets cela à votre sagesse, et je vous prie de me répondre, car ce Charles est si heureux qu’il ne peut se distraire même jusqu’à écrire plus de quelques lignes.
Lors de votre mariage, dans ma colère contre M. d’Osmont, j’avais écrit une lettre terrible à lord Castlereagh, Charles l’a trouvée trop forte et l’a jetée au feu, il a bien fait, mais je n’en ai pas écrit une seconde, et à cette gracieuse occasion du Camoëns, (si vous jugez que je ferais bien de lui envoyer) j’écrirai peut-être un billet un peu plus doux.
Adieu, ma chère fille, croyez que je désire bien vivement vous voir, et passer quelques mois avec vous, aimez-moi un peu, car mon coeur vous chérit et vous bénit comme si vous étiez ma vraie fille. Mille hommages de mon mari, il dit qu’il ne désire plus qu’une seule chose, mais qu’il vous la laisse à deviner.
Actuellement, je parle à Charles.
Mon bon et cher enfant, ta lettre du 1er octobre m’a fait un sensible plaisir et papa a presque pleuré en lisant les lignes où tu parles de cette petite faveur qu’il a reçu de son pays. Ce n’est qu’une justice qu’on lui a rendue, mais dans le meilleur des mondes , la justice est encore plus rare que la faveur. Je ne puis te dire avec quel plaisir j’attends la visite de Palemella avec sa famille, de Louis avec la sienne, et comme je serais heureuse que Charles et sa femme fussent des nôtres, mais tout le monde dit que votre séjour en Ecosse encore cette année est un trait de sagesse qui vous fera aimer de tous les Ecossais, et doit faire impression à lord K. alors je te regretterai sans désirer que tu reviennes et lorsque Louis sera bien établi à Londres, c’est nous qui irons te chercher , en attendant, papa compte lui proposer d’occuper ton appartement pendant qu’il sera ici. Ce sera pour Sally (dit-elle) un fier crève-coeur que ce ne soit pas toi et ta femme. Lady W. Russell avance dans sa grossesse. Ils sont à Cambray .
C’est mercredi 15 que Nonore doit être jugée à Lyon. Dieu veuille qu’il en soit de cette affaire comme de l’épingle noire.
Vous occupez-vous autant en Angleterre de l’affaire de Rhodès qu’on le fait ici , on ne parle d’autre chose.
Mon bon, mon cher enfant, je t’embrasse et t’aime de toutes les forces de mon âme.
Ceci est à M. Frecki : Mon cher comte Frecki, que je suis aise de vous savoir chez mes enfants, donnez-moi de leurs nouvelles et des vôtres, il y a si longtemps que vous ne m’avez écrit ! et vos lettres ont été ma meilleure consolation dans le temps où Charles était jeune et maigre. Parlez-de nous à lord et lady Grey, croyez que nous nous verrons ici avec une affection toute maternelle , je ne puis rien dire de mieux. God bless you et malgré votre répugnance à écrire, soyez bon comme vous l’avez toujours été pour moi, et parlez-moi en grands détails, de vous et de mes enfants . Que je voudrais vous tenir ici.
Mme S.Antonio est ici elle est venue, je n’y étais pas.
Lady … m’a prié de t’écrire qu’elle trouve ton portrait très ressemblant.
Madame de Souza
à Margaret Mercer Elphinstone, Countess of Flahaut, sa belle-fille
et à son fils Charles de Flahaut
(pièce 92)
6 novembre 1817
J’ai reçu ta lettre où tu m’annonces l’état de ma fille, que j’en suis heureuse ! Qu’elle se ménage bien car toute la santé du reste de la vie dépend de cette première grossesse. Mon Dieu que je suis contente de ma dignité de grand’ mère et comme j’aimerai mon petit. Ma place sera de le bien gâter, de bien l’aimer. Toutes les rigueurs de l’éducation vous regarderont, monsieur et madame, moi je n’aurai qu’à sourire et caresser. C’est une jolie place que celle de grand’ mère !
Quant aux dispositions de lord K. elles sont déjà meilleures, et avec le temps elles redeviendront tout à fait bonnes quant aux revenus, voilà ce que je crois, s’il vit. Du reste je ne veux pas y penser, et je n’en parle jamais
Lady Holland a dit à M. Gal. qu’elle avait reçu une lettre de Londres qui lui annonçait la grossesse de ta femme, et qu’elle avait donné l’ordre à Londres de lui louer une maison pour le mois de Mars afin d’y faire ses couches. Tu me donnes comme cela des secrets à garder, que tout le monde sait, et j’ai l’air d’une bête lorsqu’on m’en fait compliment.
As-tu reçu le Camoëns ?
Je joins ici les rapports de l’Institut. Tu n’as pas d’idée comme on trouve cet ouvrage beau, et comme on admire ici la générosité de papa. . Lis le dernier alinéa de l’avertissement.
Actuellement, je parle à ma fille.
Que je suis heureuse ma chère fille de la bonne nouvelle que mon fils m’a annoncée. Ah ! Croyez-moi, que le plus grand bonheur est d’être mère, et sûrement le fils de mon Charles rendra la sienne heureuse, ce sera le meilleur des fils !
J’irai certainement en Angleterre pour ce bien heureux moment et vous soigner comme la garde la plus affectueuse et la plus assidue. Avez-vous reçu vos souliers ? Est-ce ceux de la mesure ? En voulez-vous d’autres ?
Adieu ma chère fille, je ne puis écrire beaucoup parce que je me suis donné un effort au bras ce qui ne sera rien du tout mais me fait assez souffrir en écrivant. Veuillez le dire à lady Grey, c’est pour cela que je ne réponds pas à sa très aimable lettre. J’ai aussi reçu celle de M. Frecki, mais je lui répondrai la semaine prochaine.
Nonore a été acquittée à Lyon le 2 à 10h du soir , mais après 8 séances publiques de 6 heures chacune devant la cour prévotale. La pauvre enfant a bien souffert. Elle n’était accusée que de non-révélation et le procureur du Roi avait conclu à 5 ans de prison et deux mille francs d’amende pour avoir reçu une lettre imprudente ; elle se trouvait placée (pour ne l’avoir pas révélée) entre l’infâmie si elle la dénonçait ou la prison ; enfin après 5 mois de souffrance, la voilà acquittée.
Adieu encore, ma chère fille, ma bien aimée fille, mon coeur vous bénit et je vous aime comme mère, comme grand’ mère enfin je vous aime avec tous les sentiments qui donnent du prix à la vie.
Mais je ne puis plus écrire.
Mon mari est dans la joie de son âme, d’être aussi grand’ père.
Il y a ici un neveu du duc d’Athol qui dit mille biens de Charles.
Aimez-moi, ma chère fille et je n’aurais rien de plus à demander à Dieu.
Mille compliments à lord et lady Grey.
Je vous embrasse et mon Charles de toutes les forces de mon âme.
Madame de Souza
à Margaret Mercer Elphinstone, Countess of Flahaut, sa belle-fille
et à Charles de Flahault, son fils
(pièce 93)
Ce 8 novembre 1817
Tu es enchanteur, tu me recommandes bien de ne point parler de tes espérances de paternité, et voilà que tout le monde m’en fait compliment, Lady Holland, Son Excellence l’ambassadeur d’Angleterre, que sais-je, tout le monde, et moi, j’ai l’air d’une bête ; que de fois tu m’as donné comme cela des secrets que je gardais religieusement, et qu’à ma première sortie je trouvais dans la bouche de tout le monde, et comme malheureusement plusieurs ne voulaient pas me croire bête (réputation bien commode) on me faisait une sotte mystérieuse. J’envoie une bague à ma fille, elle me vient de la meilleure personne qui ait été au monde, l’imp. Jos. (impératrice Joséphine) Je la prie de la porter parce qu’il faut porter du rose sur soi tout le temps de la grossesse si l’on veut avoir un garçon.
J’enverrai le Camoëns à lord Landerdole par le premier courrier portugais qui partira.
Ma chère fille, voici votre chocolat, je vous en envoie peu parce que lady Holland emporte déjà tant de paquets qu’elle ne saurait se charger d’un envoi plus considérable. Je n’ose pas vous dire, car je vois que vous n’aimez pas qu’on vous en parle, combien je suis heureuse de votre situation et combien mon coeur vous bénit. J’ai été toute étonnée et toute flattée que lord Landerdole ait gardé cette tasse jusqu’à présent ; quand je la lui ai donnée, mon fils avait deux ans ; par le premier courrier je lui enverrai un Camoëns, veuillez le lui annoncer afin qu’il ne croie point que c’est un oubli si le sien n’arrive pas. M. de Souza m’a promis d’aller en Angleterre pour le temps de vos couches ensuite nous reviendrons tous voir mes roses et je crois sans inconvénient pour Charles.
Je vous embrasse tous deux de tout mon coeur. Lady H. dit que vous auriez dû faire part de votre état à lord K. avant que personne l’eut su. Moi je ne dis rien, je lève seulement mes yeux au ciel pour qu’il comble de bonheur mon fils et ma fille et je serai bien joyeuse d’être grand’ mère. Etes-vous toujours à Howick ? On dit que la fièvre scarlatine y est, Dieu en préserve mes enfants et que ces bons et excellents lord Grey et lady Grey ne soient pas inquiets des leurs. Ménagez-vous bien, ma chère fille, faites-vous soigner pendant votre grossesse afin d’avoir des couches moins douloureuses et puis ne le faites pas si le médecin de chez vous ne le veut pas, mais laissez-moi vous faire tous mes radotages de vieille femme et de grand’ mère. Je vous prie de porter la petite bague que je vous envoie. Encore mille bénédictions et mille voeux pour votre bonheur. Vous ne saurez jamais ni l’un ni l’autre combien … comme vous chérir et avec quelle joie je donnerais ma vie pour vous.
Mille compliments à lord et lady Grey je leur écrirai lundi ainsi qu’à M. Frecki.
C’est moi qui ai rouvert cette lettre pour vous dire que votre chocolat n’arrivera point. Je vous l’enverrai par Mlle Fox dans deux jours.
Madame de Souza
à Margaret Mercer Elphinstone, Countess of Flahaut, sa belle-fille
et à Charles de Flahault, son fils
(pièce 94)
9 novembre 1817
Je ne t’ai pas écrit hier mon enfant parce que Palmella partant pour Londres demain, je préfère t’écrire par lui. Toutes les lettres qui arrivent d’Ecosse ne parlent que de ta popularité dans le pays ; on commence à blâmer lord K. et j’espère que sa femme sentira que tout le monde dit que c’est elle qui entretient ce courroux qui n’est point dans le coeur d’un père et d’un père qui aimait tant sa fille ! Je t’envoie un papier qui parle de papa et du Camoëns de manière à te faire plaisir.
Nonore est revenue de Lyon après avoir été acquittée comme je te l’ai mandé. Les horreurs que le général Ca. a fait dans le pays font frémir Le duc de Raguse y a fait beaucoup de bien. Il lui a du reste demandé de tes nouvelles avec beaucoup d’intérêt et je crois qu’il n’est pas à se repentir de tout ce qu’il a fait. Conçois-tu que le Régiment Suisse qui était à Lyon y a commis de telles horreurs que par exemple de ses soldats ont pris la tête d’un jeune enfant de 16 ans qui venait d’être guillotiné et l’on portée chez sa mère et la lui ont jeté dans son tablier. Enfin c’est une horreur, tout ce que l’on raconte ; quand le duc de Raguse est arrivé, il y avait 1200 personnes dans les prisons . On avait espéré pendant quelques temps que l’on ajournerait la loi sur le Concordat, mais les ministres ont déclaré qu’elle était l’ouvrage du Roi et qu’il fallait absolument q’elle soit adoptée. Ainsi après la loi du recrutement et celle du Concordat, on s’occupera du budget.
M. de Fitz-James a tellement parlé contre les ministres hier dans la Chambre des pairs, que M. de Richelieu qui y était présent, comme pair, a dit à ses voisins, mais assez haut pour que l’opinion l’entendît : Quand un duc, un gentihomme de la Chambre de monsieur traîne ainsi sur la claie (?) les ministres, ils ne doivent plus le recevoir chez eux. En tout, les partis sont plus en présence et plus animés que jamais.
L’abbé de Montesquiou a dit des choses incroyables l’autre jour que Mathieu de M. même l’a rappelé à l’ordre en lui disant que la modération était la première vertu de son état. Enfin l’irritation est extrême, tout le monde dit que ceci ne peut pas durer comme cela et qu’il faut que le ministre prenne enfin la résolution d’adopter un parti ou l’autre. Je doute qu’il ait ce courage et qu’il y tienne … même que l’humeur ou l’embarras du … le lui ferait prendre aujourd’hui . Quoique j’eusse été ravie de te voir, je n’en suis pas moins bien contente que tu ne sois pas ici dans ce moment et jusqu’à ce que les lois d’exception soient rapportées, ce qui sera avant la fin de la session. M. Lainé voudrait faire renvoyer du ministère MM. Pasquier et Molé pour y mettre M. Villelle de Corbiere. Il a été proposé à M. de Cases qui a bien senti que s’il restait seul de son bord il serait bien facile de le déplacer après et s’y est refusé. Mais il y a une telle agitation qu’il faudra bien un changement quelconque. Tous les partis disent également : cela ne peut pas durer comme cela.
J’ai dîné avant-hier avec le comte Schouwalof qui t’a connu et qui a fait de toi un si grand éloge a parlé de ton honneur si brillant si loyal en des termes qui ont fait venir les larmes aux yeux à papa et à moi. C’est à ma fille que je dédie cela et par elle que je vais finir cette lettre.
Comment êtes-vous ma chère fille, ce froid ne vous fait-il pas du mal ? Ménagez-vous bien, et si mes lettres ont été perdues, croyez que je n’en ai pas moins vivement senti la perte de nos espérances. Comme j’aurais aimé ce petit ! Moi qui n’aurait eu qu’à le gâter, heureux état d’une grand’ mère, je vous envoie un petit souvenez-vous de moi pour vos étrennes et à Charles une montagne pour la bibliothèque de Mecklour , je vous enverrai par l’entreprise de contrebande une petite lampe de porcelaine qui a un charmant paysage et très bien dessiné . Enfin j’ai là une grande caisse pour Charles de la part de Gabriel. Je ne sais pas trop comment la lui envoyer. Ce sont des étrennes.
Mon Charles, ma fille, je vous aime de toutes les forces de mon âme . Voici de la mousseline brodée par moi. Je vous prie de dire à Mme Frederick de vous en faire un fichu ou un bonnet.
J’attends avec impatience de vos nouvelles.
15 novembre 1817
Que je voudrais savoir comment est ma fille et quel effet lui a fait cette terrible mort. J’ai reçu hier sa lettre du 7 et j’ai pensé tristement, bien tristement, que le lendemain, elle apprendrait cette fin prématurée tout en redoutant l’affliction qu’elle en aura. J’espère que son bon esprit l’empêchera de se frapper d’une mort qui en quelque sorte était déjà prévue car je ne sais pourquoi personne ne pouvait croire que la Princesse CH. put amener cet enfant à bien.
Le quatre, Mme Riwdon (?) me disait que le duc de Cumberland répétait toujours : elle n’aura pas d’enfant, elle a beau être grosse, elle n’aura pas d’enfant. Et c’est le 6 que nous avons appris par le télégraphe l’affreuse nouvelle. D’ailleurs la Princesse Charlotte était si grosse que … était devenue effrayante. Au surplus il faut rendre justice à la générosité de notre nation, c’est qu’il n’est pas une âme de France qui n’ait pris part à cette perte qui n’ait regretté tant de jeunesse et d’espérance . La mort ne respecte pas le bonheur, ne distingue pas de nation , et les Français ne se souvenaient plus d’avoir été ennemis à la vue d’un si grand malheur . Enfin, je ne puis penser à autre chose.
Mon enfant, je te remercie bien de m’avoir donné tant de détails sur les remèdes du docteur Scot, mais je ne sais pas pourquoi Moreau a la plus grande répugnance à ce que je l’entreprenne et dit que j’ai une extension du foie et une constante inflammation à cet organe. C’est sur ce dernier point surtout qu’il faudrait me rassurer, car j’en ai si horriblement souffert que j’en ai pris peur et cependant je t’avoue (mais n’en parle pas dans ta réponse car papa est dans une disposition si triste que tout l’inquiète) que ce foie augmente beaucoup et que je commence à respirer avec difficulté, c’est-à-dire à avoir un peu d’oppression. Si ce remède ne pense pas irriter trop cette bile qui me brûle comme de l’eau forte dès qu’on l’agite, je le commencerai tout de suite, car pour me faire quelque chose, je sais qu’il en est temps. Ajoute au docteur Scot que depuis 30 ans, je n’ai pas passé un mois sans inquiétudes, sans chagrins de toute espèce. Et depuis deux ans, que de peine.
Ninon (?) disait : Si, quand je suis née, l’on m’avait montré tout mon avenir, je me serais pendue. C’est bien moi qui pourrais en dire autant mais laissons ma… pour répondre à ma fille.
J’ai été aux informations pour votre porcelaine , ma chère fille. Le vieux Sèvres est hors de prix. On demande 8 à dix mille francs pour un service et encore ne le trouve-t-on pas. Il serait plutôt … d’en faire faire du neuf sur les dessins du vieux Sèvres si vous tenez de force à ces vieilles et vilaines formes que de chercher ce qui est introuvable. Hier j’ai trouvé ma tasse de vieux bleu de Sèvres. On me l’a faite 10 louis . Ne pourriez-vous pas vous passer de cette porcelaine jusqu’à votre arrivée à Paris où vous déciderez et choisirez tout par vous-mêmes. Moi je n’ose pas décider.
J’ai une table charmante que Mlle Fox a trouvé digne de vous être offerte et qu’elle a beaucoup admirée. Elle est toute en porcelaine comme du vieux lacqué fond gros rouge avec des chinois en or dessus. Je vous la destinais, monsieur Charles la refusa et je reste … triste que mon petit présent ait été si mal accueilli. Je deviens un peu comme une enfant, tout m’afflige. Ah ! comme il faudra que vous me gâtiez pour me rendre un peu de gaieté ma fille, ; il faudra que vous m’aimiez, me soigniez comme votre enfant.
Il partira un courrier d’ici à 8 jours qui vous portera 6 paires de souliers noirs. Ah ! ma bien chère fille que j’ai été occupée de vous depuis quinze jours, que je crains que vous n’ayez souffert, que j’aurais voulu être près de vous ; il n’y a pas de consolation à offrir pour les peines du coeur, les partager, les sentir, c’est tout ce que j’espère et c’est ce que je fais de toute mon âme.
Vos lampes ne sont parties qu’il y a quatre jours, parce que dans les premiers temps de la douleur de M. de Souza, je ne l’ai pas quitté et qu’il m’a été impossible d’aller chez ma chère amie . Après cela, l’emballage ne m’a pas convenu, enfin de petites difficultés en petites difficultés, elles ne sont parties qu’il y a quatre jours.
Mon fils, ma fille, je vous bénis de toute mon âme. Puissai-je avoir pris la part de peine destinée à toute la famille et le bonheur venu combler mes chers enfants jusqu’à la quatrième génération. J’ai assez souffert pour vous racheter tous.
Lady Holland est partie et la veille de son départ, elle a repris toutes ses grâces pour moi de manière que les my dear ont recommencé de part et d’autre. Cependant je sais qu’elle a parlé à M. G. de la médiocrité de mon esprit et que j’étais éteinte ; elle n’a pas vu que dans les circonstances présentes il n’y a pas un succès d’esprit qui me consolât ou dire ce que je ne peux point ou de risquer de compromettre la tranquillité de mon mari. Que font ces discussions où chacun ne cherche qu’à briller et l’on se quitte plus entêté de son opinion et plus isolée contre celle des autres . A présent , lorsqu’il m’arrive de ces phrases toutes réduites si faciles à répéter , je les donne aux gens qui souvent n’y ont jamais pensé mais les prennent sans hésiter et elles me reviennent au bout de 8 jours. Alors j’ai bien de la peine à ne pas rire ; par exemple en 1814, lorsque la cour détestait cette charte et en parlait au moindre bruit : c’est moi qui ai trouvé que la charte n’était plus qu’un paraphepe contre l’orage. Cela a couru. Lord R. s’en est emparé, je me suis rangée, et depuis excepté de toi qui trouve que c’est bien peu de chose, je n’ai pas manqué de sourire à l’idée qu’on me l’a raconté.
Mais adieu mes enfants, brûlez cette lettre.
Par exemple, Pozzo est bien étonné d’avoir dit que les ultras étaient une petite nation qui tiendrait dans ses deux mains et qui voulait enfermer la grande. Le duc de Richelieu … dans la cour était un enfant qui faisait des petits mouvements constitutionnels. Enfin je m’amuse contre les Anglais qui ne rient qu’en dedans. Allez, mon fils, ma fille, brûlez toutes ces folies, je vous l’ordonne maternellement.