lettre de Madame de Souza à la comtesse d’Albany | septembre 1817 ?

La Comtesse d’Albany
Lettres inédites de Madame de Souza (et d’autres…)
(Le Portefeuille de la comtesse d’Albany : 1806-1824, par Léon-G. Pélissier)


 Les annotations (en italique) sont de Léon-G. Pélissier ; Les passages [entre crochets] sont dans Saint-René Taillandier ; « Néné » est le surnom que Mme de Souza a donné à Charles de Flahaut, son fils ; les sujets concernant Charles de Flahaut sont reproduits en rouge ; l’orthographe ancienne est respectée.

 lettre de Madame de Souza à la comtesse d’Albany
septembre 1817 ?

 

[Ma très chère amie, je vous prie de mettre dans votre bibliothèque le livre que M de Souza vient de faire imprimer à ses frais, et qui ne doit pas être vendu. C’est un pur hommage qu’il offre à son pays, qui n’avoit pas encore fait une belle édition du poète (Les Lusiades de Camoëns parurent chez Didot en 1817, 1 vol. in-4°, avec un grand luxe typographique, avec de belles gravures et des caractères fondus exprès, et d’après une édition princeps du poème portugais appartenant à lord Holland. Mais M de Souza, qui était un amateur sans méthode, ne s’avisa pas que Camoëns avait donné une seconde édition revue et corrigée de son épopée. Il eut le courage de recommencer son travail, qui parut de nouveau en 1819.) qui a si bien célébré la découverte de l’Inde et les tems de sa gloire. Si vous pouviés lire le dernier paragraphe de l’avertissement, vous y jugeriés quels ont été ses sentimens.

C’est mon mari qui vous l’offre.] Si vous lui écrivés, je vous supplie ne lui parlés point de toutes les bêtes de calomnies qu’on vous a écrit sur lui, car rien ne le fâcheroit plus. Moi je ne vous reproche que de nous avoir jugés de si loin. Quand vous viendrés, quand vous nous entendrés, que vous verrés par vos yeux, vous reconnoitrés que personne n’avoit été plus prudent que nous. Mais je conçois que, M de Tall[eyrand] et ses amis nous ayant poursuivis même dans le Moniteur et les choses se grossissant encore dans l’éloignement, vous ayés pu être trompée, et l’étant, je vous sçais même bien bon gré de nous avoir moins blâmés que plains et de nous avoir toujours aimés. Mais mon mari, qui dit que vous deviés connaître ses opinions et sa prudence, seroit bien affligée (sic) si vous lui parliés dans le sens où vous m’avés écrit.

Que je serai aise de vous revoir ! Cependant je pense que ce ne sera pas l’hiver que vous viendrez chercher à Paris. Ainsi je ne vous espère qu’au primptemps. Comment M Fabre pourra-t-il se résoudre à quitter son musée ? Je crois que si jamais mon fils et sa femme vont en Italie, j’aurai plutôt fait de les accompagner, et ce sera bien vous seule que j’irai chercher. Car je vous aimes toujours, et même quand je ne vous le disais pas, et que j’attendais que le tems eut remis toutes choses à sa place, je vous aimais de tout mon coeur.

Le nouveau ménage écossois me paroit fort heureux. Mon fils s’est mis à la tête du faire valoir des biens de sa femme, et avec beaucoup de succès. Cela l’a rendu très populaire en Ecosse. Ils doivent y rester l’hiver, et j’ai lu une lettre du duc de Bedford qui dit que Charles s’est fait tout à fait écossais et que cela lui a très bien réussi dans le pays. Une autre lettre dit : Bientôt il sera plus populaire que toute sa famille. Dieu veuille que cela ouvre les yeux du beau-père. Mais comme je n’y peux rien, j’ai mis cette espérance hors de ma tête, et je jouis du bonheur de la femme qui écrit et dit à tout le monde qu’elle est parfaitement heureuse. Adien ma bien chère amie, je vous aime de tout mon coeur et je n’aspire qu’au moment de vous revoir. Mille complimens à M Fabre.

[Notre Camoëns n’aura que deux cents exemplaires, et c’est pour être envoyé dans toutes les bibliothèques publiques de l’Europe, et ensuite donnés au petit nombre d’amis qui apprécieront cette noble et patriotique entreprise. Enfin depuis cent cinquante ans, personne ne l’avoit faite, et je ne crois point qu’il y ait d’exemple de particulier peu riche qui ait fait une si belle édition, sans permettre qu’un seul exemplaire soit vendu. Enfin j’en suis fière, j’en suis heureuse, et tous les éloges qu’on donne ici à mon mari me font tellement redresser que j’aurai bientôt une tête altière et une taille de quinze ans. Toute à vous ma très chère.]

[Le portefeuille de Mme d’Albany]