lettre de Madame de Souza à la comtesse d’Albany | Paris, le 25 octobre 1823

La Comtesse d’Albany
Lettres inédites de Madame de Souza (et d’autres…)
(Le Portefeuille de la comtesse d’Albany : 1806-1824, par Léon-G. Pélissier)


 Les annotations (en italique) sont de Léon-G. Pélissier ; Les passages [entre crochets] sont dans Saint-René Taillandier ; « Néné » est le surnom que Mme de Souza a donné à Charles de Flahaut, son fils ; les sujets concernant Charles de Flahaut sont reproduits en rouge ; l’orthographe ancienne est respectée.

 lettre de Madame de Souza à la comtesse d’Albany
Paris, le 25 octobre 1823

 

J’ai reçu votre lettre avec bien de la reconnaissance, ma très bonne et très chère amie. Le nom de cette galerie que vous n’avez pu lire est Arese. (Madame de Souza avait cependant écrit ce nom très lisiblement) Espérons que Dieu me découvrira l’auteur de mon tableau comme il m’a envoyé la gravure, au moment où je m’y attendois le moins. J’écris encore le nom de cette galerie que le prince Eugène avait achetée, pour voir si par hasard vous en auriez entendu parler : Arese.

Mon côté va assez bien pour moi. Car je suis un peu comme vous, je m’arrange avec mon mal comme avec une situation, et je me soummets à tout ce que je puis supporter sans crier. Mais ce qui m’inquiette bien douloureusement, c’est qu’il me semble que mon mari s’affoiblit à vue d’oeil. Il ne peut plus se promener à pied ; la moindre chose le fatigue ; s’il écrit une lettre, il est obligé de se jetter sur son lit après ; enfin je tremble pour les froids de l’hiver ; je ne me sens pas de courage contre le malheur de le perdre. Il a été pour moi si bon, si excellent, que c’est avec une sorte de religion que je le respecte et que je l’aime. Cependant Moreau me rassure et dit qu’il n’a aucune maladie réelle.

Que je serais heureuse et gaie, si vous m’annonciez le projet de revenir ici ! Notre climat vous vaut mieux que les grandes chaleurs d’Italie : elle ne sont point bonnes pour vos parties folles comme vous les appelez, ma très chère amie. Parlez-moi de cette idée, qui est très sage, quoique ce soit moi qui vous la présente, et quoique je jouirois bien du résultat, s’il vous rendoit à ma tendre affection et à mes soins.

Félicité en seroit bien heureuse, car je vous crois le premier objet de son attachement. Plus on la connoit, et plus on admire sa raison et sa modération. Occupée uniquement de ses enfans, se résignant à passer ses beaux jours dans une retraite assez ennuyeuse, elle y gagnera du moins que, si sa jeunesse s’est écoulée sans plaisir, son âge avancé n’aura ni regrets, ni repentirs. Enfin c’est un petit ange dont vous devez être bien fière. Que j’aurais aimé une belle-fille comme cela ! (Cosi son tutte… les belles-mères !)

Avez-vous revu votre aimable Lady Helena ? Nous parlions souvent de « notre bonne Madame d’Albany » ensemble. Ma belle-fille loue son appartement. Quel bonheur si vous pouviez vous y établir ! Comme j’irois chez vous soir et matin vous tâter le pouls et vous soigner. Arrangez cela un peu dans votre tête, ne fut-ce que pour un an et jusqu’à ce que la folle soit redevenue aussi raisonnable que votre bonne tête. Ne lui laissez pas gagner trop de terrain à cette folle, et revenez avant que ses allures vous aient trop affaiblie pour que votre paresse vous empêche de songer à un voyage. Songez que, pendant les grandes chaleur de l’été, vous transpirés beaucoup, et que c’est trop perdre de tous les côtés.

Je suis bien fâchée que M Fabre ait toujours la goute. C’est un vilain mal, d’abord parce qu’il est fort douloureux, et puis parce qu’il arrive comme une bombe et au moment qu’on s’y attend le moins.

J’attends la lithographie de votre chien. Je la garderai comme tout ce qui me vient de vous, ma très bonne et très chère amie, que j’aime de tout mon coeur et que j’aimerai ainsi toute ma vie. Mille complimens à M Fabre.

Les feaux (sic) amis ne sont point revenus chez moi. Ils sont trop sûrs de mon souverain mépris, et d’ailleurs, excepté à l’article de la mort, quand pardonne-t-on à ceux à qui l’on a fait du mal ? Il est une certaine figure blanc mat que j’ai rencontrée deux fois cet hiver. Ma seule présence a produit le miracle de la faire rougir. Que de choses nous aurions à nous dire, si je vous voyais !

Adieu encore, ma très bonne amie, donnez-moi de vos nouvelles, aimez-moi toujours, car depuis que je vous connais, c’est du fond de mon coeur que je vous suis attachée et pour toute ma vie.

ADELE

Mon fils et celui de mon mari doivent venir ensemble passer quelques semaines ici entre ce mois et mars. Ma belle-fille restera en Ecosse. (Cela n’a pas l’air de trop chagriner sa belle-mère.) Elle est encore grosse. Si elle a une quatrième fille, ce sera bien malheureux. Les trois aînées sont charmantes. (Ce n’est pas très logique.)

[Le portefeuille de Mme d’Albany]