lettre de Madame de Souza à la comtesse d’Albany | Paris, le 25 août 1815

La Comtesse d’Albany
Lettres inédites de Madame de Souza (et d’autres…)
(Le Portefeuille de la comtesse d’Albany : 1806-1824, par Léon-G. Pélissier)


 Les annotations (en italique) sont de Léon-G. Pélissier ; Les passages [entre crochets] sont dans Saint-René Taillandier ; « Néné » est le surnom que Mme de Souza a donné à Charles de Flahaut, son fils ; les sujets concernant Charles de Flahaut sont reproduits en rouge ; l’orthographe ancienne est respectée.

 lettre de Madame de Souza à la comtesse d’Albany
Paris, le 25 août 1815

 

C’est aujourd’huy la Saint-Louis, ma chère amie, et je commence par vous souhaiter une bonne fête, et vous dire que je suis bien fâchée de ne pouvoir vous embrasser comme je vous aime, ce qui est bien de tout mon coeur.

Comment avés-vous pu croire à cet article du Moniteur, vous qui me connoissez ? Non seulement je n’ai pas travaillé au retour de Napoléon, mais je l’ignorais absolument : c’est à six heures du soir qu’on est venu me l’apprendre, lorsque tout le monde le savoit dès midi.

La meilleure preuve que je puisse en donner (pas à vous, qui connaissez mon caractère timide et qui auroit tremblé non seulement de me mêler, mais même de savoir, une affaire si périlleuse) la meilleure preuve que je puisse en donner, c’est que mon fils est resté à Paris jusqu’après le départ du Roi, et que ce n’est que lorsque le Roi eut quitté cette ville qu’il rejoignit son ancien général à trois lieues d’ici. (Sur la route de Villejuif). Pendant le séjour de l’emp… (sic), ni mon mari ni moi n’avons pas mis le pied une fois à sa cour. J’ai continué à vivre comme j’avois toujours fait, parlant peu parce que j’aime mieux écouter, ne me mêlant de rien, et prévoyant des malheurs dont la France ne se relèvera jamais.

Cependant on nous a persécuté et l’on nous tourmente encore ; mais ce sont des haines personnelles, [des haines d’amis ; ce sont les superfines] (en surcharge). Je suis dans mon lit depuis près d’un mois ; j’ai beaucoup souffert d’une inflamation au foie, et à présent ce malheureux foie est devenu si volumineux que j’ai assés l’air d’une femme grosse de neuf mois. Je vous assure que si ce genre de maladie ne fesait pas souffrir des années avant de mourir, je ne serois point fâchée de voir arriver la fin de tant de maux.

Mon mari est plus persécuté que moi. Jugez, vous qui connoissés ses sentimens, son honneur, sa conduite, si les calomnies sont à l’ordre du jour. Le Roi qui étoit absent ne peut savoir que ce que ses entours lui disent : aussi ce n’est pas de lui dont je me plains, mais bien d’un ancien ami, (Talleyrand ou Bertrand ?) [et de celui-là même je ne parle jamais] (En surcharge). Ma voisinne n’a même pas envoyé savoir de mes nouvelles. On juge les sentimens sur les étiquettes des sacs, et, comme mon fils étoit aide de camp, on suppose que je devois être satisfaite, quoique je passasse mon temps à pleurer et à trembler, d’abord de la crainte de cette guerre où il pouvoit périr, ensuite de ces discordes civiles que j’ai en horreur. Je vous réponds pour mon mari, qui est dans ses humeurs les plus noires. Il a pris l’humanité dans une telle horreur qu’il est devenu un véritable mysanthrope : moi je ne le suis pas à sa perfection, et j’aime encore ceux que je ne connois pas.

Néné voyage. Votre ancienne passion (La reine Hortense, devenue un peu précipitemment duchesse de Saint-Leu), que l’on tourmente et que l’on calomnie aussi, ne savoit rien de ce retour. Assurément, si elle l’avoit prévu, elle n’auroit pas soutenu un procès contre son mari. (Au sujet de la garde de ses enfants. Le tribunal de la Seine ordonna, le 7 mars 1815, la remise dans les trois mois de son fils aîné à Louis Bonaparte, elle ne conserva que le second, le petit Oui-Oui (Napoléon III)) Nap… l’a trouvée au milieu de cette plaidoirie, et la famille l’a si maltraitée qu’elle n’a jamais été chés elle pendant ces trois mois et lui-même l’a fort mal reçue. (Il lui reprochait d’être restée au milieu de ses ennemis, et refusa même de la revoir.) Mais, patience. Je vous aime de toute, toute mon âme, et je dis mille choses à M Fabre.

[Le portefeuille de Mme d’Albany]