lettre de Madame de Souza à la comtesse d’Albany | Paris, le 21 décembre 1817

La Comtesse d’Albany
Lettres inédites de Madame de Souza (et d’autres…)
(Le Portefeuille de la comtesse d’Albany : 1806-1824, par Léon-G. Pélissier)


 Les annotations (en italique) sont de Léon-G. Pélissier ; Les passages [entre crochets] sont dans Saint-René Taillandier ; “Néné” est le surnom que Mme de Souza a donné à Charles de Flahaut, son fils ; les sujets concernant Charles de Flahaut sont reproduits en rouge ; l’orthographe ancienne est respectée.

 lettre de Madame de Souza à la comtesse d’Albany
Paris, le 21 décembre 1817

 

[Nous recevons à l’instant votre lettre du 5 décembre, ma très chère amie, et je suis charmée que vous soyez contente de notre Camoëns. A mon avie, la plus belle gravure, comme travail, est celle d’un nommé Toschi, de Parme. (D’abord : Milanois, effacé ensuite.)

Si vous pouviez imaginer ce qu’il en a coûté à mon mari de peines et d’argent depuis cinq ans, vous estimeriez plus encore cete entreprise. Que de fois il est resté cinq, six et sept heures chez M Didot. Car, ni l’imprimeur ni le prot ne connaissaient la langue, et l’on imprimoit l’ouvrage comme un tableau de mozaïque. Enfin j’ai cru souvent que la santé de M de Souza y succomberoit. Nous ne nous vantons point de ce qu’il a coûté. Ce seroit une folie sérieuse aux yeux des hommes froids, qui ne sentent point l’extrême satisfaction qu’une âme noble et généreuse trouve à élever un monument à élever à celui qui a chanté et illustré les tems de gloire de son pays. Pour moi, je n’ai eu d’autre mérite que de promettre à mon mari de diminuer toutes les dépenses de la maison le plus possible, afin que son fils ne trouvât point cette somme de moins dans sa fortune et qu’elle fût prise tout entière dans nos ecconomies si nous vivons quelques années.]

Je ne puis pas comprendre, ma chère amie, ce que vous voulez dire par mes confidences à L.H. (Souligné dans l’original. Ces initiales désignent Lady Holland), et je vais y répondre d’une manière tryomphante une fois pour toutes : c’est qu’il est positif que le hasard a fait que ni avant le voyage où elle vous a vue à Florence, ni dans le dernier qu’elle a fait à Paris, je ne l’ai vüe seule une minute. Vous voyés, d’après cela, que je n’ai pu lui faire aucune espèce de confidence d’aucun genre. Je me suis même si peu livrée à causer que je sais qu’elle a dit à un de mes amis qu’elle ne comprenoit pas ma réputation d’esprit ou pourquoi je me plaisois à m’éteindre, comme je le faisois. Enfin (et ceci pour vous seule, parce que jamais il ne sortira un mot de ma bouche, contre elle, d’abord à cause de son mari que j’aimes beaucoup, et puis, à cause de leurs bontés pour Charles), enfin je ne me crois pas du tout dans ses bonnes grâces, et cela depuis vingt ans ; jugés si j’aurais été disposée à lui faire des confidences. Mais vous qui m’avés si souvent écrit sur elle ; vous qui me mandiez qu’elle était menteuse, intrigante, immorale, enfin tout ce qu’il y a de mauvois et de dangereux au monde, comment avez-vous pu croire que je me livrerois à des confidences qui, dites-vous encore aujourd’huy, m’ont fait le plus grand tort dans votre esprit ? Ne pouviés-vous pas penser qu’elle me fesoit parler pour vous impatienter ? Ne pouviez-vous au moins douter, ce qui est déjà assez fort en amitié ; je vous assure que si quelqu’un osoit venir me dire du mal de vous, je n’en croiroit pas un mot, et que si même je vous avois vu tomber dans une erreur, je soutiendrois mordicus que cela n’est pas vrai à ceux même qui l’aurois vu comme moi et oseroient en médire. Et tenez, un homme de beaucoup d’esprit a bien voulu me donner une fois un éloge qui m’a été tellement au coeur que je ne l’ai jamais oublié. Il me disait : “Je sais qu’on est chés vous en sûreté, et que vous ne livrés jamais un ami, ni par un mot, ni même par un sourire.” Si l’émotion trop vive des passions d’alors n’avoit pas entrainné votre excellent coeur avant que ces prétendues confidences m’eussent fait tort dans votre esprit, vous vous seriez dit : Sachons d’abord si elle a fait des confidences. Hé bien ! je vous le repette, je ne l’ai pas vue SEULE une minute de ma vie. Le hasard a fait cela, mais je lui rends grâce puisque il doit si bien vous détromper. Quand nous nous reverrons, nous causerons, et vous m’apprendrez, j’espère, qu’elles ont été ces étranges confidences.

Charles est très heureux, mais fort triste dans ce moment. Sa femme, qui étoit grosse de trois mois, a été si saisie de la mort de la princesse Charlotte, qu’elle en a fait une fausse couche. (Cette nouvelle officielle montre que miss Knight se trompait (Voir lettre suivante) en ne croyant pas cette triste nouvelle exacte.) C’est un grand malheur que la première grossesse termine comme cela, mais je préfère encore que cet accident soit la suite d’un saisissement que si c’étoit foiblesse de santé.

Je n’ai pas vu Madame votre soeur depuis longtemps, parce que je souffre de mon côté comme il m’arrive tous les hivers. Avec l’italien tachez de lire le dernier paragraphe de l’avertissement du Camoëns : je trouves qu’il est bien honorable pour mon mari. Adieu ma bonne, ma très chère amie, je serai bien heureuse quand l’heure de midi ne se passera pas sans que je vous voye arriver. Mandez-moi, je vous prie, ce que le grand-duc dira de notre Camoëns. Si vous ne venés pas ici, nous irons, mon mari et moi avec Charles, vous voir.

Cette pauvre maréchale Ney est bien malheureuse avec quatre garçons. Vous vous trompez fort si vous la croyez une des passions de Charles. Il n’y a jamais eu entre eux qu’une pure et bonne amitié. Cela, vous pouvez en jurer. Mille complimens à M Fabre. Que dit-il de nos gravures ?

[Gérard vient de faire un portrait de Mme de Staël qui est vraiment admirable. C’est elle sans être trop flattée, et cependant sans aucun des défauts de sa figure, mais c’est toute son expression. Vous le verrés ici et vous serez étonnée. Adieu encore, ma bien chère amie, croyés à l’attachement bien profond, bien sincère de votre

ADELE

[Le portefeuille de Mme d’Albany]