(Le Portefeuille de la comtesse d’Albany : 1806-1824, par Léon-G. Pélissier)
Paris, le 2 mai 1814 |
Que d’inquiétudes j’ai eu, ma très bonne amie, depuis que je ne vous ai écrit ; (Le rôle de Flahaut au Congrés de Chatillon fait vivement regretter la longue interruption de la correspondance de sa mère avec la comtesse d’Albany) j’ai sûrement passé trois semaines souffrant de belles anguoisses que je ne voudrais pas que mon plus cruel ennemi en souffrit de pareilles un seul jour. Je craignais si fort les vertus de Charles ! Vous comprenés jusqu’où mes craintes pouvoient aller (« Chez les soldats, compagnons de gloire de Napoléon et chez quelques bonapartistes, comme Bassano, Lavalette, Caulaincourt, Flahaut, on pouvait craindre que les regrets ne persistassent longtemps. » (Houssaye, 1815, II, 6) Sur la fidélité de Flahaut, voir F. Masson, le général Flahaut, étude écrite d’après des documents inédits, et parue dans le journal le Napoléon.) Enfin tout s’est arrangé pour le mieux. Il a été droit et franc avec son ancien général, qui l’a relevé de son serment. Il a envoyé d’abord son adhésion, est ensuite resté avec lui jusqu’à la veille de son départ ; est après revenu ici, a été présenté aux princes, et nous voilà retombé dans une belle oisiveté qui lui paroit délicieuse, mais que je ne voudrois pas qui dura longtems. Ceci entre nous, et ne me répondés même pas là-dessus, car s’il me demandoit, par attchement pour vous, à lire votre lettre et qu’il y vit cette coupable pensée, il ne me la pardonnerait pas. Il se croit revenu de toutes les ambitions, et il croit qu’à son âge on sait ce qu’on pensera dix ans après.
Connaissés-vous intimement M de Blackas (Le duc de Blacaz (1770-1839), d’une vieille famille provençale, avait été l’ami le plus intime du comte de Lille, pendant l’émigration et resta le conseiller favori de Louis XVIII à la première restauration. Au retour de Gand, on contraignit celui-ci à l’écarter, pensant que l’éloignement le ferait oublier. Il fut envoyé ambassadeur à Rome, où il négocia le Concordat de 1817, puis à Naples, où il conclut le mariage du duc de Berry ; il représenta la France au Congrés de Laybach. Il se tint à l’écart ensuite et accompagna Charles X en exil ; il mourut à Goritz, een 1839.) (j’ignore si c’est comme cela que l’on écrit son nom) enfin le favori de notre nouveau Roi. Il est resté longtems à Florence, et il me semble que vous devés le connaître. (Le général Klein. Lobau était alors prisonnier en Hongrie) Je voudrois, si vous lui écrivés pour lui faire compliment, que vous lui disiés un mot des hautes vertus de Néné. Savez-vous que dans toutes ces circonstances il s’est conduit en véritable homme d’honneur, avec un courage, une loyauté qui ont fait verser des larmes de joie à papa ? Il s’est trouvé dans des circonstances bien difficiles, et il a été le premier à dire la vérité, et a été le premier à proposer le moyen qui seul pouvoit éviter la guerre civile ; et avec tant de convenance et de mesure qu’il a obtenu l’estime de celui même qui entendoit une si cruelle vérité. Le mari de votre nièce l’aînée étoit très vivement bavardant et criant contre son ancien chef. Il ne sait pas que son enfant ne sera quelque chose un jour que par sa mère. La jument, relisés cette fable de La Fontaine pour entendre toute ma pensée, tant pour lui que pour les autres.
Cependant, je vois que dans tous les partis il y aura des mécomptes, mais il faudrait tant de divisions, subdivisions pour me faire entendre par vous de si loin que je remets cela à la première vue, car j’espère que voilà une paix qui doit vous ramener. Je vous ai mander que Charles avoit été blessé trois fois cette dernière campagne ; entre autres une balle arrivant juste au milieu du front, si bien que ce front a beaucoup saigné, mais que le grand chapeau d’aide de camp, où il y a sur le devant trois contreforts, a été percé, mais l’a sauvé. Adieu, ma bonne, ma chère amie, revenés-nous, et ce sera pour moi le plus beau jour.
Mille complimens à M Fabre. Qu’augurés-vous pour le fils de notre amie ? je vous aime de tout mon coeur.