(Le Portefeuille de la comtesse d’Albany : 1806-1824, par Léon-G. Pélissier)
Paris, le 14 juin 1811 |
Comme il y a longtems que je n’ai eu de vos nouvelles, ma très bonne amie ! M de Lucchesini m’a dit que vous deviez être aux eaux à présent. Dieu veuille qu’elle vous fasse tout le bien que je vous désire. Alors ce serait une vraie fontaine de Jouvence.
M Fabre vous a-t-il accompagné ? Ou êtes-vous seule à vous soigner ? Je voudrais bien être avec vous. Si vous saviez comme je m’étais doucement accoutumée à vous attendre chaque matin ! Et ce premier juin, qu’il m’a été triste de le voir passer sans vous savoir du moins en route pour vous rapprocher de nous.
Le grans bavard (Je ne sais quel familier Madame de Souza désigne sous ce nom), Mme de Chastillon et Mme Klein (La seconde nièce de Mme d’Alberg) ont déjà fait demander le mausolée (La gravure du tombeau d’Alfieri) ; les autres sont sur ma table dans mon petit cabinet. Si vous m’aviez envoyé votre liste, je les aurais envoyés aux élus.
J’ai reçu encore une boëte d’alkermès et je vous en remercie mille fois. Ch[arles] a été bien souffrant d’un mal de gorge auquel s’est joint son rhumatisme dans la tête. Il a tellement souffert une nuit qu’il avait envie de se jeter par la fenêtre. Enfin il est mieux, et le voilà encore courant à cheval le bois de Boulogne. Les chaleurs ne sont pas très bonnes pour ma bile. Il est vrai que le froid y est très mauvais. Il me faudrait une petite température toute douce, de ces tems d’eau chaude, de ces ciels gris que j’appelle beaux, et dont vous vous indignés.
Nous avons une reprise d’Armide où il y a son palais incendié à ravir les esprits forts qui ne craignent pas le feu ; moi j’en ai été un peu inquiette.
Le grans bavard est, je crois, à la campagne pour longtems. J’en fais mon compliment à M Fabre.
J’ai perdu mon beau-frère (Le chevalier Flahaut de la Billarderie, le second des frères de son premier mari.) à quatre-vingt-sept ans. C’était un bien brave homme, un de ces preux du tems de la chevalerie. Je le regrette, mais cependant n’ayant pas attendu qu’il pût vivre longtems encore.
Toute la casa vous honore, vous révère et vous désire. Quand on veut me réveiller après dîner, l’on me parle de vous.
Ma très chère, ma très excellente amie, dites-moi un petit mot de votre retour ; fixez-moi une époque où je puisse me reposer. Je voudrais un mois, je voudrais un jour, où je puisse me dire : je la verrai. Ma bonne amie, c’est une si grande consolation que d’ôter ce vague qui paraît toujours s’étendre. Je sauterais par-dessus tout le reste et me dirais si souvent : tel mois elle m’arrivera.
Allons, soyez bonne, marquez dans votre esprit une époque et dites-la moi.
M Gallois, Bertrand, le petit Moreau, tout cela ne parle de vous qu’en disant : « Cette bonne Mme d’Albanie ! » Jamais on ne dit votre nom simplement : cette bonne est comme un titre qu’on ne peut omettre et qui va dans le coeur avant de prononcer votre nom. Je vous aime tant, ma bonne, bonne amie, je suis sûre de votre amitié que ce sera tout me donner que de me revenir.
Adieu encore, chère amie, je vous attends au printemps.
Un petit mot à vous, Monsieur, pour vous prier de ne pas vous laisser reprendre par ce beau ciel, par ce beau climat. revenez dans une maison où l’on a une bien véritable amitié pour vous, je vous assure, une grande admiration pour votre talent et le plus vif intérêt à vos succès. Voilà ce dont vous assure la casa, et particulièrement la meilleure amie de la très bonne.