lettre de Madame de Souza à la comtesse d’Albany | le 26 décembre 1811

La Comtesse d’Albany
Lettres inédites de Madame de Souza (et d’autres…)
(Le Portefeuille de la comtesse d’Albany : 1806-1824, par Léon-G. Pélissier)


 Les annotations (en italique) sont de Léon-G. Pélissier ; Les passages [entre crochets] sont dans Saint-René Taillandier ; « Néné » est le surnom que Mme de Souza a donné à Charles de Flahaut, son fils ; les sujets concernant Charles de Flahaut sont reproduits en rouge ; l’orthographe ancienne est respectée.

 lettre de Madame de Souza à la comtesse d’Albany
le 26 décembre 1811

 

[Que je vous remercie, ma chère amie, des belles étrennes que vous me promettez ! Votre portrait ne me quittera jamais. Il sera dans ma chambre avec celui de mon fils] et, après moi, Néné le gardera toujours et le substituera à ses enfans?]

[Je vous remercie aussi, Monsieur Fabre, et je m’en rapporte à votre attachement, à votre connoissance de cette âme divinne pour me la donner telle que je l’aime depuis tant d’années. Votre talent suffit pour faire un bel ouvrage que tous les amateurs se disputeraient, mais votre attachement y ajoutera tout ce qui doit contenter l’amitié.]

Je vous souhaite une bonne année à tous deux, mais vous, ma bien aimée amie, vous rendrez la mienne heureuse si vous êtes exacte à m’arriver au mois de may, comme vous me l’avez promis.

J’ai enfin vu à la Malmaison votre jolie nièce. (Madame de Lobau, la nièce préférée par Madame de Souza) ; je lui trouve une mine si gaie, si naturelle qu’on se sent disposée à l’aimer en la regardant. Je trouve qu’elle a de vous : elle doit être franche, et si son mari n’en est pas très amoureux, il ne doit l’être d’aucune femme. L’autre (Madame Klein, femme du général) tient plus des Arberg. Elle est plus maigre que jamais. Je crois qu’elle souffre. (Cette phrase en surcharge) On m’a raconté une histoire de son mari que je trouve d’une naïveté digne de vous être présentée. Il vint chez la princesse Pauline sans sa femme. Son altesse lui demanda si elle était malade ? – « Oui, Madame, bien souffrante ! » – « J’espère que cela n’est pas dangereux ? » – « Non, Madame, mais elle garde le lit. » – « Est-ce qu’elle est grosse ? » Alors il se rengorgeat et répondit : « Non, Madame, c’est le contraire. »

Et cela, ma chère, à haute et intelligible voix devant cent personnes. Cette histoire est déjà ancienne, mais je ne la sais que de hier d’un témoin oculaire et la voilà.

[Je suis toute entière dans les lettres de Mme du Deffant ; (S.-René Taillandier pense qu’il s’agit de la correspondance avec Walpole qui venait d’être publiée en Angleterre. Londres, 1810, 4 vol. in-18. Mais il faut noter qu’une correspondance inédite de Mme Du Deffant avait paru en 1809, à Paris, chez Cottin, 2 vol. in-8è. Ce dernier ouvrage figurait dans la bibliothèque de Madame d’Albany, peut-être sur le conseil de Madame de Souza.) Quelle méchante personne ! Chacun y trouve son pacquet. Ma pauvre Mme d’Angiviller (La comtesse Charles d’Angiviller, femme du directeur des bâtiments et jardins sous Louis XVI, amie de Madame de Souza et son alliée par les Flahaut et les La Billarderie.) y est bien maltraitée. Les beaux fruits dont elle l’accablait auraient dû l’adoucir. Une seule fois elle dit qu’elle est bonne et dans vingt endroits elle la couvre de ridicule. Voilà ce que j’appelle de la méchanceté ; c’est lorsque le mauvais oeil est plus preste que le bon ; lorsque, par une pente naturelle, on ne voit jamais que les défauts, et qu’aucun principe ne vous fait garder le silence sur ces belles découvertes. Pour me refaire, je lis Nicole : Sur les moyens de conserver la paix avec les hommes ; et j’espère que, d’un côté la tristesse que me laisse cette disposition de Mme du Deffant (tout en admirant ses lettres) et de l’autre, cette pensée que l’indulgence la bienveillance sont un meilleur esprit de conduite ; ces deux antidotes de Mme du Deffant et de Nicole me rendront, j’espère plus aveugle que jamais sur les fautes des autres. Eh, mon Dieu ! Qui n’a ou n’a eu les siennes ? et qui ne croit avoir eu sa bonne raison pour tout ce qu’il a fait ?

[Ma bonne, bien bonne amie, revenés moi, car il n’y a que vous de parfaitement bonne.] Mon Dieu, comme l’heure de midi me fera plaisir, quand je vous attendroi. Je feroi bien des courses avec vous, car je ne travaille plus du tout. J’y suis même si peu disposée que je douterais volontiers d’avoir jamais écrit une ligne. M de Talleyrand a effectivement vendu sa maison à l’empereur. Mme de Roqépine en est charmée ; parce qu’elle pense que cela arrangera ses affaires, et puis qu’il se rapprochera du beau quartier.

Votre penchant (Votre passion et votre penchant désignent dans les lettres de Madame de Souza, l’impératrice Joséphine et la reine Hortense) est mieux. J’ai fait toutes vos commissions gracieuses, et [la casa vous présente ses hommages. Le jour de l’an nous dînerons ensemble et la première santé bue sera la vôtre. En parlant de toast, le prince Kurakin a donné un grand dîner (Kourakine, ambassadeur russe à Paris, « privé d’ordres, d’instructions, de lumières », restait entre les deux gouvernements rivaux en duplicité et en intrigues, de bonne foi ; il souhaitait la fin des différends et continuait à revoir de son mieux la société parisienne. Cf Vandal, Napoléon et Alexandre 1er, t. III, p. 375 et suiv.) le jour de la naissance de l’empereur de Russie. Il n’y avait prié que ce qu’il y a de plus considérable en Français, généraux, maréchaux, ministres, et pas un membre diplomatique (sic). La première santé qu’il a portée a été : A l’amitié inaltérable des deux empereurs.]

Adieu encore, ma très chère, je laisse une petite place au Néné qui veut vous présenter son respect pour la bonne année. Je veux cependant encore vous dire que je vous embrasse et vous aime de tout mon coeur, mon excellente amie.

J’ai l’honneur de présenter mon respect, mon hommage et mes voeux aux pieds de Madame la comtesse, désirant ardemment son promt retour dans ce pays et à la casa.

LE PAPA.

L’ordre est interverti, Madame la comtesse, car moi, l’enfant, je devrois être entre le père et le Saint-Esprit ! (On reconnaît à cette malicieuse allusion au génie littéraire de sa mère, la verve frondeuse et blagueuse que Madame de Souza signalait en Ch. de Flahaut.) Mais enfin, quelque soit le rang que nous prenions, nous nous réunirons toujours pour souhaiter à la meilleure des amies tout le bonheur qu’elle mérite. J’ai commencé par vous, Madame la comtesse, mes lettres de respect et d’attachement, et avec ces sentimens vous me permettrez de la signer.

NENE

J’adresse toujours à Florence, ne sachant si vous êtes à Rome ou à Naples et craignant que les lettres ne s’égarent (Ces deux lignes de la main de Madame de Souza.)

[Le portefeuille de Mme d’Albany]