PORTRAITS ET MEDAILLONS
DU
SECOND EMPIRE
M DE MORNY
Nous voudrions fixer ici quelques traits de la personne et du caractère de M de Morny, retracer les grandes lignes de sa vie, et marquer toute l’importance de son rôle politique sous le second Empire…
Voyons d’abord sous quelles influences sa jeunesse s’était formée, et par quelles transformations, en apprences contraires, sa personnalité brillante avait passé successivement.
Il avait un père d’après l’état civil, un père d’après la nature, et pas de mère avouée. Mais les fils de reines – mêmes de celles qui se dissimulent derrière un nuage protecteur – sont entourés par la foule, plus respectueuse de sa nature qu’on n’aurait cru, d’une sorte d’auréole. Tout le monde semble s’attendre à ce que ces enfants de l’amour soient plus intelligents et plus distingués que le commun des enfants légitimes.
M de Morny fut élevé sous la direction de M le comte de Flahaut qui lui portait une tendresse toute paternelle et par les soins de Mme de Souza, mère du comte, remariée et veuve de nouveau.
M de Flahaut, aide de camp de Napoléon Ier et illuminé d’un rayon du soleil d’Austerlitz ; puis écuyer du duc d’Orléans, au moment du mariage de ce prince ; tour à tour général de division et ambassadeur ; pair de France sous Louis-Philippe et sénateur sous Napoléon III, émigra deux fois en Angleterre, d’abord pendant la Terreur rouge de la Grande Révolution, ensuite pendant la Terreur blanche de la dévote Restauration. Il s’y maria à la fille de lord Keith, et y vécut pendant l’enfance de M de Morny, c’est-à-dire de 1815 à 1827.
Or, de l’autre côté du détroit, les jeunes fils de pairs, en sortant des Universités où ils ont reçu une instruction classique coupée d’exercices violents, chasses au renard, courses de chevaux et concours de canotage, se préparent aux affaires publiques par l’assiduité dans les salons du grand monde. La vie réelle, avec ses devoirs et ses séductions, ses périls et ses intérêts, les saisit, les entraîne, les façonne, leur fait une armure d’expérience précoce et les plonge dans le spleen, ou les élève à la maturité de la raison politique. C’est cette éducation anglaise que M de Flahaut fit donner à l’enfant. C’est ainsi que M de Morny, habile à tous les exercices du corps, garda longtemps une constitution de fer sous une apparence frêle.
D’autre part, il subissait l’influence de Mme de Souza, auteur de romans fins autant que fades, et tendres en même temps que bien observés. Il gagnait, à son école, cette simplicité grâcieuse, ce savoir-vivre parfait, cet art de la causerie, ces grandes manières de l’ancien régime où régnaient du moins la politesse et le goût.
Pendant que Mme de Souza se ménageait une retraite idéale de vieille femme dans un coin de son salon, entre son piano, sa harpe et quelques livres de choix, son élève, dans lequel elle voyait un peti-fils, rimait près d’elle des pièces de vers qu’il eut le tact de ne pas publier, poussant la littérature jusqu’au vaudeville, en attendant que, comme l’a dit Victor Hugo, il poussât la politique jusqu’à la tragédie. Il composait des romances, paroles et musique, qu’il chantait dans l’intimité d’une voix de ténor, légère, mais bien timbrée ; enfin, il jetait des regards de chérubin enamouré sur les comtesses Almaviva qui fréquentaient cette maison, tout imprégnée encore de l’atmosphère sensuelle du XVIIIè siècle. Il entrait ainsi dans la vie par la porte d’or, et il entra gaiement.
Quand il était encore au collège Bourbon, M de Flahaut l’amenait parfois chez le prince de Talleyrand. Un jour, le prince dit à M Martin, gouverneur des enfants du duc de Dino : « N’avez-vous pas rencontré dans l’escalier un petit bonhomme que M de Flahaut tenait par la main ? – Oui, prince. – Eh bien ! souvenez-vous de ce que je vais vous dire : cet enfant-là sera un jour ministre. »
Après des éudes sérieuses qui n’avaient rien révélé chez lui, ni de très précoce, ni de supérieur, M de Morny entra dans l’armée. A vingt-deux ans il était lieutenant de lanciers, – le corps à la mode de l’époque…
Corentin Guyho, ancien député. Avocat général à la Cour d’Amiens