Correspondance entre Charles de Flahaut et Auguste de Morny
1833 – 1834 –1848 – 1849 – 1850 – 1851 – décembre 1851 – 1852 – 1857 – 1859 – 1860 – 1862 – 1864
1833
Charles de Flahaut à Auguste de Morny
« La folie des grandeurs dont tu sembles atteint t’empêchera de faire carrière. Comment t’y prendras-tu quand tu n’auras plus que ta solde pour vivre ? »
Juillet 1834
Charles de Flahaut à Morny
« Quant au mystère, il m’a été dicté par deux motifs : le premier, ton propre bien-être ; le deuxième, la volonté de celle qui l’a écrit. Voilà l’exacte vérité et j’avais besoin de te le dire. »
Octobre 1834
Charles de Flahaut à Morny
» Je suis bien aise de ce que tu me dis de ta résolution de ne plus faire de dettes «
Novembre 1848
Morny à Charles de Flahaut
Mon cher ami,
D’après quelques paroles de Thiers et d’autres personnages politiques, je suis remonté à la source d’une conversation que le général Cavaignac aurait eue avec Véron, et qui occupe Paris en ce moment. Voici les détails, que je tiens de Véron lui-même ; ils sont assez curieux pour que je crois devoir vous les rapporter.
Il y a deux ou trois mois (il faut remonter à cette époque pour bien vous faire comprendre la situation des interlocuteurs), il fut question parmi les gens qui entourent le général Cavaignac de l’interdiction du journal Le Constitutionnel. C’était cependant une grosse affaire politique. Le Constitutionnel avait toujours été modéré, convenable ; il a derrière lui des hommes politiques considérables. Le Dictateur hésitait, – cependant l’opposition froide de ce journal le contrariait.
Un jour, un représentant du peuple, ami de Cavaignac, ancien condisciple de Véron, vient voir ce dernier et lui demande s’il aurait de la répugnance à aller voir le général. « S’il me fait demander », dit Véron, « je n’ai aucune raison de ne m’y pas rendre. Je le ferai même avec plaisir ; mais aussi sans cela je n’ai aucune raison d’y aller. »
Le lendemain, l’ami le prenait et le conduisait chez le général. Le général le reçut poliment, le fit asseoir et lui dit : « Pourquoi donc me détestez-vous ? Est-ce que je n’ai pas rendu des services à la Société, à votre parti ? » Véron réplique en substance : « Je ne vous déteste pas. Mon journal représente l’opinion modérée du pays, d’un parti qui est loin d’être mort et qui n’est pas le vôtre. Cependant je ne vous déteste pas personnellement. Je n’ai rien à regretter. Je n’avais aucun rapport personnel avec ceux qui sont tombés. J’ai plutôt eu à me plaindre qu’à me louer du Roi et des Princes. Je n’ai donc pas d’intérêt ni de froissements personnels. Comptez donc de ma part sur une politique loyale. Donnez-nous une république honnête, modérée ; – non seulement nous ne vous combattrons pas, mais nous vous soutiendrons. » Après quelques phrases échangées de part et d’autre sur ce thème, Véron lui dit en le quittant et sur l’invitation à revenir le voir : « Général, je ne suis pas en position de venir vous voir en familier, mais quand vous voudrez causer politique avec moi, faites-moi demander. Je viendrai avec plaisir, et si dans mon journal vous avez besoin de quelques insertions, rectifications, etc., envoyez-les moi par quelqu’un. Je serai toujours enchanté de vous être personnellement agréable. »
J’ai omis de vous dire que dans le cours de la conversation et en parlant de l’avenir de la politique, le général dit : « Du reste, je suis sûr de 600 voix dans la Chambre pour la nomination du Président par l’Assemblée. » Depuis ce vote qui a détruit les espérances de Cavaignac et de son parti, le général est en proie à une vive irritation. Ses phrases sont saccadées, ses propos menaçants. Véron n’entendit plus parler de lui.
Il y a quelques jours, l’ami commun revint et proposa à Véron d’aller revoir Cavaignac. Celui-ci s’y refusa en prétextant qu’il n’irait qu’appelé. Le lendemain, Véron reçut sous enveloppe un laissez-passer pour pénétrer chez le Président du Conseil. Il ne bougea pas davantage. Vendredi dernier, à huit heures du matin, un monsieur se présente chez Véron, insistant pour le voir, sans vouloir se nommer. Véron, qui se lève à midi et qui est inabordable le matin, refusa de le recevoir, surtout sans savoir quel était le personnage. Enfin l’homme dit : « Annoncez un aide de camp du général Cavaignac, et dites à M. Véron que le général désire le voir ce matin. » Véron répondit qu’il n’avait de liberté que depuis 3 heures jusqu’à minuit. A 5 heures, l’aide de camp revint, convoquant Véron pour 11 heures. A 11 heures, Véron était chez le général Cavaignac. Il était assis à son bureau. Il parut irrité. Les sourcils froncés, d’une voix brève il commença ainsi :
« M. Véron, je vous ai prié de venir me voir pour m’expliquer avec vous franchement, et permettez à ma franchise militaire d’aller droit au but et de vous poser nettement la question. – Pour la présidence, êtes-vous pour moi ou contre moi ?
– La question est un peu brusque et absolue, général, et la réponse est délicate. « Pour vous » et « contre vous » – il y a des nuances.
– Il y a des nuances, mais je n’aime pas les nuances, et c’est justement pour cela que je vous demande si vous êtes pour moi ou contre moi. »
Ces mots, prononcés d’un ton sec et hautain, blessèrent un peu Véron qui se leva : « Ma foi, » dit-il, « M. le Président, puisque vous parlez de franchise, j’en mettrai aussi de mon côté. Pourquoi voulez-vous donc que nous soyons si portés vers vous ? N’est-ce pas à regret et en rechignant que vous arrivez vers nous ? Vos prédilections pour le parti avancé ne sont-elles pas connues et évidentes ? N’êtes-vous pas parfaitement d’accord avec le général Lamoricière dans cette loi contre le remplacement qui froisse les besoins et les goûts de ce pays-ci ? En prenant à regret MM. Dufaure et Vivien, n’avez-vous pas mis en compensation M. Recurt à la Seine, M. Trouvé-Chauvel aux finances, M. Gervais de Caën à la police ? » (Les deux premiers avaient des opinions modérées ; mais les trois derniers, nommés par Cavaignac en octobre 1848, penchaient nettement pour le parti socialiste.)
« Ah, c’est ainsi » interrompit violemment le général Cavaignac, « vous voulez tout avoir. Vous n’êtes reconnaissant de rien. Votre parti est toujours le même. Vous êtes indécrottables. Vous êtes comme les autres. Vous n’avez rien appris et rien oublié.
– Mais, général, notre parti que vous traitez si légèrement, c’est la majorité du pays ; le vôtre, c’est la minorité.
– C’est donc la minorité à votre avis qui a fait la révolution de février et qui a fait universellement accepter la république ?
– Ma foi, général, la révolution de février, quoiqu’on en puisse dire, je l’ai vue. J’étais ici, vous n’y étiez pas. Ce n’a été qu’un coup de main, qui a réussi.
– C’est un coup de main – hé bien, soit, un coup de main ! hé bien, c’est un coup de main qui a établi la république, mais elle ne périra pas, je vous en réponds, j’y mourrai plutôt ; et à tout prendre, cette république est-elle donc si mauvaise, répugne-t-elle donc tant à ce pays, est-ce qu’on ne peut bien dîner, mettre des gants jaunes et aller ensuite entendre de la bonne musique ?
– De la bonne musique – où donc Monsieur le Président ? » Cette légère plaisanterie, qui indiquait combien la république a tout ruiné, irrita davantage le général ; et sans avoir l’air de le comprendre, il se leva.
– Au surplus, tenez pour certain que la république ne périra pas, – c’est moi qui vous le dit. Vous dites que c’est la minorité qui l’a fondée – hé bien, soit, mais cette minorité saura la défendre jusqu’à la dernière goutte de son sang et par tous les moyens. Le mal c’est que vous êtes deux ou trois gros journaux avec 30.000 abonnés chacun. Hé bien, vos abonnés on vous les ôtera, sacré nom de Dieu, et ce ne sera pas difficile – faites-y attention. Réfléchissez-y bien.
– Monsieur le Président, c’est tout réléchi. Mais permettez-moi de vous dire que ce langage est peu fait pour me faire trancher en votre faveur la question que vous m’avez posée en termes si absolus au commencement de notre entretien.
– Hé bien, soit, Monsieur.
– Soit, Monsieur le Président.
– Au revoir, Monsieur. Si vous avez quelque chose à me dire vous me trouverez chez moi. Le matin, vous entrerez par la rue de Varenne. Le soir, par l’autre rue.
– Général, je ne viendrai ni matin, ni soir, qu’ainsi que je vous l’ai dit – quand vous me ferez l’honneur de me demander de m’entretenir avec vous. Je ne demande rien et n’attend rien de qui que ce soit. »
Véron salua et se retira. Le général s’inclina légèrement d’un air piqué et dédaigneux et s’en alla en chantonnant.
Véron alla tout chaud raconter cette conversation à Thiers. A eux deux ils virent, en joignant à ces symptômes des indiscrétions d’entourage, une disposition à faire un coup d’Etat, ils conclurent que Cavaignac a des instincts rouges, des affinités avec les Flocon, et qu’il ne fait un pas vers les modérés qu’à regret. En outre, ils le croient un mauvais homme. C’est Bugeaud qui dit que c’est une vache dans une peau d’hyène.
Bref, à dater de ce jour, Thiers et son parti ont préféré faire élire le Prince Louis putôt que Cavaignac, et ils ont résolu ensemble l’aticle d’avant-hier du Constitutionnel sur la présidence, qui a encore plus irrité les partisans de Cavaignac à la Chambre.
4 mai 1849
Charles de Flahaut à Morny
» Ce que les journaux rapportent d’une scène entre le P[rince] L[ouis] et son cousin est-il exact ? Quel misérable coquin serait ce dernier ! Faut-il, mon Dieu, que l’expérience ne serve à rien, et que les mêmes fautes soient faites par cette déplorable famille ? Quels chagrins n’a-t-elle pas causés à l’Empereur ? (Napoléon 1er) Je crois que rien n’est plus prouvé que la fausseté des paroles grossières prononcées par Napoléon (Plon-Plon). Nous étions alors en Prusse, mais j’ai ouï dire que c’est par suite du malheur qui les avait frappés (la perte de leur premier enfant) qu’un rapprochement s’est opéré entre le Roi et la Reine. Dans tous ceci, c’est la haine des Bonaparte contre les Beauharnais qui se montre aujourd’hui comme autrefois. Tout le monde est indigné ici contre Napoléon. Adieu. Ecrivez-moi quelques mots. Que le Prince L[ouis] prenne bien garde aux nominations diplomatiques, même dans les grades inférieurs, près des cours où résident des prétendants rivaux. C’est, croyez-moi, très important.
Je ne connais rien de plus infâme que de se rattacher à un gouvernement pour le trahir, mais cela n’empêche pas que cela ne se fasse.
Dans toute ma jeunesse j’ai entendu dire que l’Empereur était fils de M de Marbeuf.
Adieu, mon cher ami. Je vous embrasse de tout mon coeur. La discussion de Lundi durera deux jours, mais on croit de plus en plus que le Ministère l’emportera. »
1850 (octobre ?) depuis Londres
Charles de Flahaut à Auguste de Morny
« Mon cher ami,
Est-ce vrai ce que dit le Times, d’une proposition faite par les gouvernements russes et français à l’Angleterre, qui aurait pour objet la présentation d’une note collective à la Prusse par les trois puissances (En octobre 1850, la Russie proposa d’intervenir, de concert avec la France et l’Angleterre, pour assister le Danemark dans sa dispute avec les duchés), l’engageant à exécuter fidèlement le pacte conclu par elle avec le Danemark avec le Danemark relativement aux Duchés, et la menaçant en cas de refus, ou dans celui où elle persévèrerait dans la non-exécution de ce traité, de faire occuper la Silésie par les troupes françaises ? Je crois la dplomatie russe beaucoup trop habile pour avoir fait une telle proposition au Cabinet anglais ; car la réponse de celui-ci ne pôuvait être douteuse, et devait être prévue d’avance. Il n’est pas question ici de Palmerston, mais aucun membre du Cabinet englais, soit whig soit tory, ne se prêterait à une pareille démarche, et ne préférerait l’anéantissement de tous les habitants des Duchés, à l’une ou l’autre des occupations proposées.
Vous connaissez mon opinion quant à celles des provinces rhénanes. Je ne ferais point de menaces à la Prusse, ni de propositions à l’Angleterre ; mais si la prusse tirait un seul coup de canon, j’occperais sur le champ les provinces rhénanes. Il serait bon en pareil cas que la Russie occupât la Silésie ; parce que cela la compromettrait et l’empêcherait de faire cause commune avec l’Allemagne, si celle-ci, oubliant ses querelles intérieures en présence de cet acte d’agression étrangère, voulait se réconcilier et se [lever ?] tout entière contre l’ennemi commun. Quant à l’Angleterre, elle ne ferait rien, une fois la chose faite. Il est fort différent de se refuser à une proposition de faire quelque chose, ou de s’opposer par les ames à une chose faite. Mais ce qu’il y aurait de fâcheux dans la proposition même, c’est qu’en la répétant on prend en quelque sorte l’engagement de s’opposer à son exécution.
L’Angleterre, dans son état financier et politique, et l’opinion publique de ce pays n’attache pas assez d’importance aux provinces rhénanes pour que le Parlement vote les taxes que la guerre nécessiterait. S’il s’agissait de la Belgique et surtout d’Anvers, ce serait autre chose. Quant au Prince Louis, je ne sache rien qui fût plus de nature à assurer sa position personnelle qu’une telle opération. Il y a deux choses dont je suis profondément convaincu : c’est que le gouvernement anglais n’y donnera jamais son consentement d’avance et ne fera pas la guerre pour s’y opposer.
J’ai lu les articles de Granier de Cassagnac. Ils sont habilement faits, mais selon moi il eût encore été plus habile de ne les pas faire. Laissez faire le temps ; le moment arrivera où les plus récalcitrants aujourd’hui seront peut-être les plus empressés à demander à voter la prolongation. Et il y a de plus cette différence : c’est qu’aujourd’hui, si cette proposition se présente, l’Assemblée en dictera les conditions au Prince L[ouis], tandis que vers l’automne de 1851, ce sera le prince Louis qui dictera ses conditions à l’Assemblée . La position est bien belle, car il n’a pas de compétiteur possible.
A Frosdorff [sic] M de Salvandy (Après la mort de Louis-Philippe le 26 août 1850, Salvandy avait été rendre visite au comte de Chambord à Frohsdorff, dans l’intention de servir la cause de la « fusion ».) a été parfaitement bien reçu, comme du reste, me dit-on, le sont tous les visiteurs – d’après la maxime de l’Evangile qui dit qu’il y a plus de joie au ciel pour un pécheur qui se convertit que pour 99 justes ! Ce pauvre Salvandy se convertit aisément ! La publication de la Circulaire Barthélémy (M de Barthélémy était secrétaire du Comité Légitimiste de Paris. Il lança une circulaire aux comités provinciaux pour leur faire savoir que leur candidat, le comte de Chambord, ne désirait pas soumettre ses prétentions à un référendum populaire. Ce message fut publié dans les gazettes françaises le 20 septembre 1850.) n’a été dans l’intention ni de M le duc de Chambord [sic], ni de ceux qui le conseillent, et a été faite sans leur aveu. On en a donc été un peu contrarié. Mais comme là-bas on est dans l’usage de voir le doigt de Dieu dans tout ce qui arrive, on en a pris son parti ; et comme aussi on en trouve le langage franc et loyal, et qu’au fait elle exprime les sentiments et les intentions du chef, qu’il est bien décidé à ne jamais rentrer en France que pour obéir à son devoir et lorsqu’on y reconnaîtra ses droits, on n’est pas fâché de la publicité que cette pièce a reçue. Vous pouvez compter sur l’exactitude de ces détails.
Je n’ai pas encore été à Claremont, ni à Esher, mais je compte le faire dans quelques jours. Pauvre famille ! comme elle est éprouvée !
Paris, Dimanche 2 mars 1851
Morny à Charles de Flahaut
« Mon cher ami,
Je regrette que ma lettre à Mme de Flahault vous ait causé du chagrin. J’ai pensé en réfléchissant que vous vous mépreniez sur le sentiment français à l’égard de la République, et à l’égard de ceux qui prenaient du service sous le g[ouvernement] du Pr[ésident], et j’ai cru prendre un auxiliaire utile dans la maison en soumettant mes raisons à Mme de Fl. Mais je ne suis pas juge du public anglais, et si vraiment cette situation devait vous gêner et dénaturer cette excellente position, qu’il n’en soit plus question. Malgré mon attachement bien naturel pour le Pr. ; j’espère bien que vous ne le mettez pas en comparaison avec l’affection que je vous porte. Ainsi n’en parlons plus ! J’ai cru que c’était une chose utile à l’un, agréable à l’autre, mais que vous ne refusiez que par des scrupules que je trouve un peu exagérés dans votre situation exceptionnelle, et par des motifs qu’on n’apprécie pas ici comme vous.
J’ai continué à être très souffrant. Je n’ai même pas pu assister à la séance d’hier – jolie séance et qui donne bien à réfléchir. J’ai bien peur que nous n’aboutissions aux rouges. Avec la loyale résignation du Pr., l’observation rigoureuse de la Constitution, l’aveuglement des partis, nous y marchons tout droit. Ici cela s’est su qu’on vous offrait l’ambassade de Londres et que vous l’aviez refusée. Ne vous plaignez pas de l’indiscrétion. Je n’en ai pas [été] autrement fâché. Cela pourrait justifier votre conduite plus tard à quelque autre chose, dans quelqu’autre occasion. »
Mars 1851
Morny à Charles de Flahaut
» Mon cher ami, je regrette que ma lettre à Mme de Flahaut vous ait déplu… J’ai pour le prince un attachement bien naturel, mais j’espère que vous ne pensez pas qu’il puisse se comparer à l’affection que je vous porte… J’avais cru que ce projet serait utile pour lui, agréable pour vous, et que votre refus était motivé par des scrupules que je trouvais, de votre part, fort exagérés… »
27 décembre 1851
Charles de Flahaut à Morny
» Je reçois votre lettre et m’empresse d’y répondre. J’ai dit au Pr[ince] qu’il pouvait compter sur moi pour lui rendre tous les services en mon pouvoir (tout ce qui pourrait lui être utile) et vous savez combien je désire (je suis disposé à) tenir ma promesse. Il peut donc être assuré de mon zèle et de mon dévouement (compter sur mon empressement et dévouement), mais je ne suis pas sûr, si j’étais à sa place (je ne crois pas qu’à sa place) , que je donnerais à la notification qu’il veut me charger de faire l’importance d’une mission extraordinaire. Lorsqu’on a affaire à des têtes couronnées avec tout leur formalisme et leurs traditions, il faut s’attendre à rencontrer des difficultés, et la notification peut n’être pas reçue d’une manière digne de son importance. (Il faut prendre garde, avec les têtes couronnées, de rencontrer dans les usages et étiquettes établis des obstacles à une réception équivalente à l’importance de la démarche.) Il n’y a de précédent que ce qui regarde le Président des Etats-Unis, et je ne pense pas qu’il ait jamais notifié son élection de cette manière. Vous savez que c’était mon opinion à Paris relativement à toutes les cours. Les agents accrédités sont les plus convenables pour toutes les communications à faire aujourd’hui. »
28 décembre 1851
Charles de Flahaut à Morny
« J’ai vu hier matin Lord John Russell et Lord Granville, et j’ai eu une longue conversation avec chacun d’eux.
Il n’y a pas de doute que le renvoi de Palmerston, car c’est d’un renvoi qu’il s’agit (car c’est ainsi qu’il faut l’appeler), est dû au fait que Turgot (le ministre des Affaires étrangères français) ait cmmuniqué à Normanby (l’ambassadeur anglais) le contenu des dépêches et lettres confidentielles qu’il avait reçues de Walewski (notre envoyé à Londres)…(a été la conséquence de la communication par Turgot à Normanby des dépêches et lettres confidentielles qu’il avait reçues de Walewski). Cette communication ne pouvait être d’une grande utilité, car il n’y a aucun avantage à éclairer Normanby sur les dispositions de son gouvernement, et en le faisant, on n’avait pour résultat que de le rendre mécontent de n’avoir pas reçu directement les instructions lui-même. Il est tout naturel qu’il s’en soit plaint. Lorsque Lord John Russell a découvert ce que Palmerston avait dit à Walewski, il a été très irrité (extrêment blessé) de voir que le ministre (le secrétaire) des Affaires étrangères avait, sans son avis (sans y avoir été autorisé par lui), parlé au nom du gouvernement de Sa Majesté, et comme c’était une habitude depuis longtemps prise par ce ministre, qui avait déjà été la cause de dissentiments dans le Cabinet et avait causé un vif mécontentement, comme il arrive que la goutte d’eau fait déborder le verre, cette nouvelle indiscrétion a décidé de sa retraite.
Actuellement doit-on en conclure que le gouvernement anglais soit animé de mauvaises dispositions pour le Président ou la France ? je crois pouvoir affirmer que cela n’est pas. Je ne veux pas dire que la nature du coup d’Etat, les atteintes à la liberté individuelle qu’il a rendues nécessaires, la suppression de la représentation nationale, la suspension de la liberté de la presse soient des mesures qui ne soient pas antipathiques aux idées, aux principes, aux préjugés anglais, mais d’après tout ce qui m’a été dit et tout ce qui peut former ma conviction, je n’hésite pas à affirmer que, sans vouloir exprimer d’opinion sur ce qui vient de se passer, le gouvernement anglais a la ferme intention d’entretenir avec nous les relations les plus amicales, et qu’il désire vivement que le Président triomphe dans son entreprise.
Voilà donc toute la vérité, les causes de la modification ministérielle qui vient de s’opérer et à quoi se bornera son effet. J’ajouterai qu’on blâme extrêmement Ld Normanby d’avoir exprimé aucune opinion sur les événements de Paris. On trouve qu’en le faisant il est sorti des devoirs de sa position, et Ld John m’a promis qu’il recevrait un avertissement très sérieux de ne rien se permettre de semblable à l’avenir. J’ai la même assurance de Ld Granville et de Ld Lansdowne (Normanby fut en effet rappelé en février 1852. Lord Cowley lui succéda.)
Si le prince me permet d’avoir une opinion (veut bien me permettre de donner mon avis), je lui conseillerais (l’engagerais) de se satisfaire (à se contenter) de ce qui est (ce que l’on est disposé à faire ici) , quels que soient ses regrets du renvoi de Palmerston, de ne pas paraître y attacher d’importance (à ce changement) et de faire confiance aux bonnes intentions qu’on lui exprime. Priez-le aussi de ne pas faire de démarches tendant à obtenir le rappel de Normanby, car cela aurait peu de chance d’être accordé, et il en résulterait un état tendu dans les rapports, qui nuirait à la bonne intelligence entre les deux gouvernements.
Une grande partie de tout ce qui est arrivé eût été évitée s’il y eût une plus grande expérience pratique des affaires chez les hommes chargés de les conduire, mais c’est, voyez-vous, que la théorie ne suffit pas et qu’il faut aussi de la pratique.
Je veux encore revenir sur ce que je vous ai écrit hier. Croyez-moi, en envoyant des missions extraordinaires pour annoncer le vote immense qui porte le Prince à la Présidence decennal et lui donne tous les pouvoirs constituants, c’est de l’éclat qu’il voudra donner à cette manifestation. Eh bien, l’étiquette établie dans toutes les cours, loin de remplir ce but, ne fera que l’affaiblir et il en résultera du désappointement qu’il serait sage d’éviter.
Je joins ici un article qui a un caractère officiel et qui a été inséré dans le Globe, afin de contredire tout ce qui avait été publié dans les autres journaux. »
28 décembre 1851
Charles de Flahaut à Morny
» Je suis certain que le but du prince, en usant de missions extraordinaires pour annoncer son élection à la présidence décennale, est de mettre en valeur l’énorme majorité du plébiscite. L’étiquette non seulement empêcherait ce but d’être atteint, mais tendrait même à minimiser le fait. Il serait sage d’éviter ce désappointement. »
1851
Morny à Charles de Flahaut
« Malgré mon attachement bien naturel pour le Prince, j’espère bien que vous ne le mettez pas en comparaison avec l’affection que je vous porte. »
2 janvier 1852
Charles de Flahaut à Morny
« Le gouvernement belge a donné un passeport au prince de Joinville « dans sa dernière escapade ». »
Londres, samedi soir 3 janvier 1852
Charles de Flahaut à Morny
Mon cher Auguste,
Nous sommes revenus aujourd’hui de Bowood, et j’ai trouvé votre lettre qui m’a fait le plus grand plaisir. Je suis charmé que la cérémonie (Le Te Deum à Notre-Dame, où, le 2 janvier, le Président rendit grâces publiquement à l’occasion de sa réélection) ait eu lieu, puisque cela donne la consécration religieuse au voeu populaire ; et je suis très satisfait aussi – puisque c’est vous qui en avez été chargé – que les arrangements aient été aussi bien faits. Mais ce qui me charme surtout, c’est que le prince soit rentré sans malencontre à l’Elysée.
Je ferai usage du rapport (Sur les pertes causées par le coup d’Etat. Il semble qu’il faille attribuer à M de Saux la version du Morning Post sur ce rapport, sous l’étiquette « Notre correspondant à Paris ») que vous m’avez envoyé, et l’ai déjà fait communiquer au Morning Post par M de Saux et par un de mes amis au Prince (Evidemment le prince Consort, qui témoigna durant les événements une hostilité marquée à Louis-Napoléon). Je ne désespère pas d’adoucir ce dernier, mais c’est plus difficile que je ne croyais. Il me semble qu’il y a des influences françaises qui l’excitent. Je ne serais pas étonné que Léon Faucher et ses amis y fussent pour quelque chose. Cependant l’opinion revient, surtout en ce qui concerne les événements des premiers jours de Décembre, et on commence à sentir qu’il n’y avait pas d’autre moyen de venir à bout de l’entreprise que de prendre les mesures de rigueur que l’on a été forcé d’adopter. J’espère que l’on a recommandé beaucoup de modération de langage aux Affaires Etrangères, car il n’y a rien de plus fâcheux que de parler avec énergie et de faire craindre des actes que l’on a aucune intention de commettre. J’ai cru voir dans mes conversations avec plusieurs des ministres qu’on craint une intervention trop active et trop vive en ce qui concerne les Etats limitrophes, tels que la Suisse et le Piémont. Je crois avoir rassuré, cependant je n’ai pas hésité à dire qu’il me paraissait impossible que l’on insistât pas sur l’éloignement de nos frontières des foyers révolutionnaires, composés des réfugiés politiques de toutes les nations. Enfin, tout en cherchant à les rassurer, je n’ai pas manqué de maintenir ce que je considère comme nos droits.
Adieu, mon cher ami. Donnez-moi le plus souvent que vous pourrez de vos nouvelles. Si je vous manque comme vous le dites, vous me manquez bien aussi ; mais quand je suis à Paris, c’est encore la même chose, car je n’ai pas ce que je retrouve ici. Enfin nous verrons comment tout cela pourra s’arranger.
Quand vous en trouverez l’occasion présentez mon respectueux hommage au Prince. Croyez, mon cher ami, a toute l’affection que je vous ai vouée.
F.
Ld Grey est venu à Bowood et y a passé les trois derniers jours que nous y sommes restés. Il a bien peur que nous ne rendons pas au pays toutes ses libertés, et je lui ai dit qu’il pouvait en être parfaitement sûr ; que si quelqu’un en France était disposé à rendre au pays toutes ses libertés, c’était le Président ; mais que, s’il le faisait, il encourrait par là la perte de toute sa popularité. Adieu encore.
Londres, 7 janvier 1852
Charles de Flahaut à Morny
Mon cher ami,
Les journaux anglais m’ayant assigné une certaine part dans les communications qui ont mené au renvoi de Palmerston, j’ai cru devoir adresser au Times un démenti formel à ce sujet. Vous savez à quel point nous étions peu préparés à cet événement, et la surprise qu’il nous a causée. Il a été uniquement le résultat de la connaissance donnée imprudemment par Turgot à Normanby de la communication qu’il avait reçu de Walewski.
Comme je n’ai plus entendu parler de l’idée de la mission extraordinaire relative au vote, je suppose qu’elle est abandonnée, et je m’en réjouis.
» Quoique (Bien que, comme je vous l’ai mandé, je sois) convaincu que les relations entre les deux gouvernements et les deux pays ne seront pas troublées (altérées) par les événements du 2 décembre, il serait vain de nier (il ne faut pas se dissimuler) que ces événements n’ont pas produit un mauvais effet (une impression très désagréable) à Windsor ; il serait aussi vain de nier que la reine, si favorable aux habitants de Claremont en raison de ses alliances Cobourg (à qui ses sentiments Cobourg inspirent une sympathie très vive pour les habitants de Claremont), n’est pas, en ce moment, très mal disposée (ne soit très défavorablement disposée) pour le Prince (et nous en ce moment). Elle est un souverain constitutionnel dans tous les sens du terme et elle agira, quant à la politique, selon le vœu de ses ministres (ce que lui conseilleront ses ministres), mais, en ce qui touche (ce qui aura le caractère de) ses relations personnelles, elle ne manquera pas de témoigner (elle laissera éclater) sa mauvaise humeur ou du moins son antipathie (sa froideur). Si j’étais la personne à qui l’on confiait cette mission, il y aurait en plus (il s’y serait joint) le désir de me marquer (témoigner) sa désapprobation de mon attitude (du parti que j’ai pris)… S’il ne se fût agi que de moi-même, cela m’eût été peut-être indifférent ; car je saurai toujours supporter la conséquence de mes actions. Mais on n’aurait pas manqué de remonter jusqu’au Président, et [de manifester à l’occasion de] l’acte glorieux par lequel il a sauvé la France, l’expression de déplaisir dans laquelle je serais probablement entré pour une bonne part. Si Walewski rapporte (rend compte), comme il le fera certainement (comme je n’en doute pas), le ton de sa réception à Windsor l’autre jour, il confirmera tout ce que je vous dis. »
Je suppose que la Constitution paraîtra d’ici à quelques jours, et si mon nom se trouve parmi les sénateurs j’irai prendre ma place parmi eux.
Le rapport que vous m’avez envoyé (sur les pertes causées par le coup d’Etat) a paru dans le Morning Post et dans le Herald. Le Times a de la peine à se décider à le publier – ce que l’on conçoit aisément, puisque c’est le démenti de toutes les exagérations qui ont paru dans cette feuille. M de Saux qui l’avait envoyé au Morning Post s’est (à ce qu’il paraît) trompé de chiffre, car il a mis 315 a lieu de 215. Pourquoi ce rapport ne paraît-il pas dans les journaux français ?
Je crois que vous verrez un changement dans le langage du Times. Je ne dis pas qu’il se montrera favorable, mais il sera peut-être moins calomnieux et moins hostile. Ellice nie de la manière la plus formelle avoir exercé aucune influence sur sa polémique. Il m’a dit avoir écrit à Thiers pour l’engager à ne pas venir en Angleterre, tout en lui offrant l’hospitalité dans le cas où il ne suivrait pas cet avis. Mais il lui a fait sentir combien le vote de 7 millions et demi de suffrages changeait la nature des choses, et de quel poids ce vore pèserait dans les opinions de ce pays-ci. Je sis toujours d’avis qu’il vaudrait mieux que Thiers fût Place Saint-Georges qu’exilé. Ce mot d’exil fait un mauvais effet et l’on ne conçoit dans ce pays-ci que deux choses – ou qu’un homme soit en liberté, ou jugé.
Adieu, mon cher ami. Je vous embrasse de tout mon coeur.
« Je sais de bonne source que la reine a envoyé van de Weyer à Bruxelles pour consulter le roi Léopold sur les relations à entretenir avec la France. C’est un drôle de petit homme que ce van de Weyer : il est fin et faux, avec une allure de franchise. C’est singulier que dans le temps il ait donné un passeport au Prince Louis-Napoléon, et qu’il en ait donné un aussi au Prince de Joinville dans sa dernière escapade ! Je me tromperai bien si le Roi Leopold ne conseillait pas de maintenir des relations amicales avec le Président. »
14 janvier 1852
Morny à Charles de Flahaut
» Je voudrais que vous soyez ici avec moi. (J’aurais bien voulu vous avoir ici) J’ai été troublé par de sérieuses questions dont je n’ose vous parler par écrit – elles peuvent avoir de graves conséquences pour le pays. (J’ai eu des ennuis très graves) . Je ferai mon devoir jusqu’au bout, mais seulement si je peux le faire d’une manière honorable (jusqu’à la limite de ce que je ne croirais pas honorable). C’est dans de telles circonstances que l’on sent le besoin d’un véritable ami, tel que vous. (un ami aussi sûr que vous)
Je n’ai pas le temps malheureusement de vous écrire en ce moment. Je vais au Conseil et je suis accablé d’affaires.
Je vous embrasse tous.
AUGUSTE
Ne m’achetez ni voiture ni chevaux. »
Bowood, 18 janvier 1852
Morny à Charles de Flahaut
Télégramme
Cher ami,
Différez votre départ de quelques jours et ne partez pas avant que je vous fasse signe. Je vous écrirai demain.
Londres, 19 janvier 1852
Charles de Flahaut à Morny
Mon cher ami,
Votre message m’est arrivé hier (dimanche) et a suspendu mon départ qui devait avoir lieu ce matin. Je l’ai regretté parce qu’il est de quelque importance que je retourne à Paris avant l’ouverture du Parlement anglais, ayant à entretenir le Prince de choses assez importantes. Enfin, j’attendrai deux ou trois jours la lettre que vous devez m’écrire.
Hier à White’s on a dit que le Président avait le projet de confisquer les biens de la Maison d’Orléans, et je n’ai pas besoin de vous dire de quelles réflexions cela a été accompagné. J’espère que c’est un de ces faux bruits, une de ces infâmes calomnies, qui abondent dans les journaux anglais. Je ne puis croire qu’un Prince d’un esprit juste et ferme, d’un coeur noble et généreux, puisse concevoir la pensée d’une spoliation qui révolterait tous les hommes honnêtes. Moi, qui me souviens de l’effet produit en 1814 par une telle mesure, prise par le Roi Louis XVIII contre la famille de l’Empereur – moi, qui en ai été revolté – je ne puis croire que le Prince veuille s’exposer à produire un effet aussi déplorable.
La confiscation faisait partie du code pénal français jusqu’à la fin de l’Empire, mais le législateur qui avait senti lui-même tout l’odieux d’une semblable punition (qui frappe l’innocent et non le coupable puisqu’elle est la conséquence de la condamnation à mort de ce dernier), avait donné au chef de l’Etat le pouvoir d’en atténuer la rigueur, en disposant des biens confisqués en faveur, soit des pères, mères ou autres ascendants, soit de la veuve, soit des enfants et autres descendants légitimes, naturels ou adoptifs, soit des autres parents du condamné.
La confiscation d’ailleurs ne pouvait avoir lieu que dans les cas où la loi la prononce expressément, et la loi ne la prononce que contre tout Français qui aura porté les armes contre la France. Le livre III du Code Pénal contient tous les cas où une telle punition doit être infligée, et certes aucun des fils du Roi L.Philippe ne se trouve dans ce cas ; car depuis la révolution de février, ils se sont soumis à toutes les mesures de rigueur prises contre eux. D’ailleurs la confiscation a été formellement, et à tout jamais, abolie par l’article 66 de la Charte constitutionnelle, et cette abolition est tellement entrée dans les moeurs, qu’une telle mesure ne saurait manquer d’être considérée comme une atteinte violente portée aux droits de la propriété.
Soyez parfaitement certain que, si le Prince se décidait à une pareille mesure, il s’aliènerait l’opinion publique de la France et de toute l’Europe ; et réellement si l’on veut descendre à un si misérable calcul, les biens dont il s’agit n’en valent pas la peine.
Depuis le 10 décembre 1848 le prince Louis-Napoléon a gagné par sa conduite ferme, honnête, élevé, la bonne opinion de tous les honnêtes gens, et il serait bien affligeant de la lui voir perdre pour ce qui ne paraîtrait à tout le monde qu’une petite et honteuse vengeance. Mais je le répète, je ne puis admettre qu’il y ait le moindre fondement à de pareils bruits.
Paris, 20 janvier 1852
Morny à Charles de Flahaut
Mon cher ami,
» Je vous ai demandé (prié) de ne pas venir, parce qu’il vaut mieux que vous ne soyez pas mêlé (en rien) à ce qui va arriver (se passer) ni qu’on vous en rende responsable (et qu’on ne vous en attribue pas une parcelle). Je suis tout à fait décidé à ne pas rester au gouvernement (au Ministère). J’ai (Il y a pour cela) mille bonnes raisons que je ne puis pas vous détailler, parce que le temps me manque et qu’en outre, je ne veux pas les confier à la poste ; Vous pouvez être sûr que je ne suis pas venu à cette décision (si je prends ce parti) sans être pénétré de sa nécessité (j’en sens la nécessité). Votre arrivée ici, à la veille d’une crise dans laquelle je vais être personnellement impliqué (dont je serais le principal auteur), ne pourrait avoir que de mauvais résultats (n’aurait que des inconvénients).
Vous avez su tout ce qui s’est passé sur un certain sujet qui fait le fond de la lettre que je reçois de votre part. L’idée n’a pas été (Rien n’est) abandonnée ; l’orage va éclater un de ces jours (Cela éclatera un beau jour) et aura de fâcheuses conséquences (les conséquences en seront terribles). Je le regrette amèrement (J’en gémis) pour le Prince et pour le pays. J’ai fait tout au monde et couru le risque de perdre sa confiance pour l’empêcher ; c’est parce que j’ai découvert que la loyauté et le dévouement, accompagnés de franchise, ne sont pas toujours appréciés que je ne veux pas rester plus longtemps (et c’est parce qu’une manière loyale, dévouée, mais un peu vive quelquefois, ne convient plus à tout le monde que je ne veux pas rester plus longtemps). Le Ciel vous préserve (Dieu vous garde), avec votre noble caractère, d’être sans pouvoir (pour rien dans ce)au gouvernement. Ce sera le gouvernement des espèces. Jamais il n’y aura une place convenable pour un homme considérable et indépendant.
Dans quelques jours je vous écrirai. Vous viendrez à Paris, mais, croyez-moi, votre présence ne serait pas utile, elle prêterait à mille propos.
Je vous embrasse tendrement.
A. »
Paris, 23 janvier 1852
Morny à Charles de Flahaut
Mon cher ami,
Vous apprendrez par le Moniteur le changement de ministère et l’acte si grave qui en est le motif. J’en suis réduit à souhaiter de tout mon coeur qu’il ne fasse pas aussi mauvais effet que je l’ai craint. Je ne puis vous dre quel chagrin j’en éprouve, la route était si belle, le succès si grand ! C’est l’accusation des journaux anglais qui en est cause (C’est à dire les articles relatifs à la parenté de Morny avec Louis-Napoléon)
Vous comprendrez pourquoi je vous ai supplié de rester à Londres. Vous n’auriez rien empêché, et votre présence ici aurait donné lieu à mille bruits divers, dont vous et moi aurions été chagrins.
Quant à moi, je m’en vais avec l’estime du monde et déplorant que la faveur qui s’attache à moi retombe en défaveur sur ce pauvre Pr[ince]. Du reste, je ne suis nullement mal avec lui et ne compte, ni dans ma conduite, ni dans mon langage, lui donner le moindre sujet de mécontentement.
Le 2 décembre est bien loin. Adieu, mon cher ami. Je vous embrasse tendrement. Faites attention à ce que vous m’écrivez ; avec un homme comme M de Maupas à la Police, il faut tout craindre.
Maintenant, mon cher ami, c’est à vous de juger si vous ferez bien de venir ou non. Vous savez combien je suis toujours heureux de vous voir. Croyez bien qu’en vous évitant le commandement de la Garde Nationale (Ce commandement avait dû, semble-t-il, être offet à Flahaut immédiatement après le coup d’Etat), en retenant votre dévouement si noble, si désintéressé, je n’ai eu en vue que votre intérêt et votre honneurr que j’estime plus que tout le reste.
AUG.
Paris, 26 Janvier 1852
Morny à Charles de Flahaut
Vous paraissez attacher beaucoup d’importance à la prière que je vous ai fait[e] de ne pas venir à Paris dernièrement. Croyez que c’est seulement par affection et dévouement pour vous que j’ai agi ainsi.
» Vous savez que je vous ai quelquefois parlé à cœur ouvert du prince. Je le connais mieux (J’ai eu encore plus l’occasion de le juger) depuis le 2 décembre. D’abord, il n’a d’amitié vraie pour personne (il n’aime personne) ; encore moins pour moi que pour quiconque,(moi peut-être un peu moins que les autres), car ma position particulière l’embarrasse et la vôtre aggrave encore les choses (…) (En outre, ma situation lui déplaît, et la vôtre ne fait qu’augmenter la dose). Je ne vous ai pas tout dit (Il y a bien des choses que je vous ai cachées). Lorsque vous aviez pensé à entrer dans le gouvernement, vous étiez animé par le seul désir d’aider le prince (dans son intérêt seul pour relever son pouvoir) et consolider sa position et vous pensiez sans doute que votre suggestion lui était agréable. Mais il n’y a rien qui lui aurait déplu davantage et il n’y aurait jamais consenti. Il supportait ma présence à regret et mes services mêmes le gênaient ( Il me souffrait là avec bien de l’impatience. Mes services lui ont été insupportables. Il n’a jamais été plus mal pour moi que durant ce temps. Il est méfiant (défiant) et ingrat et n’aime que ceux qui lui obéissent servilement et le flattent. Quand il a eu besoin de vous en Angleterre, il vous a demandé, et il ne vous a pas pardonné votre refus (le poste d’ambassadeur à Londres). Il n’a pu trouver personne pour le 2 décembre, aussi s’est-il servi de moi. (il m’a pris). J’ai risqué ma vie (ma tête) j’ai bien agi ; qu’importe, je le gêne. Je ne suis ni servile, ni flatteur, je suis un mauvais instrument.
Eh bien, que seriez-vous venu faire ? Assister à Paris à ce qui allait se commettre ? Un mot de vous eût été exploité, répété, dénaturé. Ou vous auriez conseillé les décrets, ou vous les auriez attaqués vivement. Ou vous seriez venu pour m’empêcher de quitter le ministère ou pour me le faire quitter. Le monde est si bête ! En outre, vous n’eussiez rien empêché, soyez-en sûr. Alors à quoi bon par votre arrivée jouer un rôle quelconque dans ces circonstances. C’est pour ne pas vous effleurer en rien que je vous ai retenu, sachant bien que vous approuverez ma conduite. C’est pour vous et non pour moi, ca vous savez bien que votre présence et vos conseils me sont bien précieux.
Maintenant venez si vous le jugez à propos. L’effet est produit. Le Sénat va être constitué ; vous et moi en faisons partie. Accepterez-vous ? Si vous refusez, j’en ferai autant. J’ai même envie de refuser quand même. J’ai assez de la vie politique, surtout avec un homme (un caractère) comme le prince. J’aimerais bien savoir ce que vous allez faire. Je ne crois pas du reste que vous puissiez dignement accepter, et à moi cela m’est fort désagréable.
Adieu, mon cher ami. Je suis bien triste et bien navré, et il y a loin de mon triomphe d’il y a deux mois à peine à mon découragement d’aujourd’hui. Je ne vous embrasse pas moins bien tendrement.
AUG. »
Londres, 27 janvier 1852
Charles de Flahaut à Morny
Mon cher ami,
Je n’ai pas attaché une si grande importance à la prière que vous m’avez faite de ne pas venir à Paris, mais je tenais à en connaître les motifs, et d’après ce que vous m’écrivez aujourd’hui je les crois erronés. Je ne dis pas qu’il soit certain que j’eusse rien empêché, mais personne ne peut dire non plus que cela eût été impossible. Dans tous les cas, vous pouviez être certain que je n’eusse rien fait qui eût pu avoir un fâcheux effet pour ma réputation. Je ne vous aurais jamais conseillé quoi que ce soit qui eût pu faire du tort à la vôtre.
Vous dites que vous m’avez caché bien des choses. Pourquoi l’avez-vous fait ? Il me semble que dans nos rapports, on ne se cache rien, surtout dans des matière d’aussi haute importance. J’ai la conviction que la prière de ne pas venir n’est pas partie de vous, et je ne suis pas, mon cher ami, sans crainte que vous ne soyez aujourd’hui encore sous des influences hostiles, ou taout au moins des plus défavorables au personnage en question. (Peut-être est-ce là une allusion voilée à Mme Le Hon ?)
Mettez-vous en garde contre cela et, parce que certaines choses vous ont justement déplu, ne voyez pas tout dans des couleurs aussi sombres. Que l’on aime les flatteurs, que l’on soit mal disposé pour les hommes indépendants et qui résistent à nos volontés, qu’on les trouve incommodes – mon Dieu, c’est le cas de tous les hommes qui sont au pouvoir, et même de beaucoup de ceux qui n’y sont pas ! Croyez-moi, soyez amical envers le Président et faites-vous pardonner les services que vous lui avez rendus – ils ont été assez grands pour être pesants !
Vous avez bien fait de quitter le ministère, mais ne vous flattez pas qu’on vous en saura gré à Claremont. On nous y déteste tous les deux plus qu’on y déteste M. de Persigny ! Dites-vous d’ailleurs que votre attachement pour le Président et l’amour de votre pays sont les seles excuses que vous ayez pour votre conduite au 2 Décembre, et ces deux sentiments doivent encore la diriger.(Rappelez-vous que votre attachement pour le prince et l’amour pour votre pays sont vos seules excuses pour ce que vous avez fait au 2 décembre…)
Vous devez accepter d’être (la place de) sénateur, car vous aurez ainsi la possibilité (cela vous donnera l’occasion) d’être (encore) utile. Quant à moi, ma situation est différente (je ne suis pas dans le même cas). Ma carrière est finie. Si je pouvais effacer le 2 décembre, je le ferais volontiers, car au fond, je n’y avais que faire et sans vous, je ne m’y serais pas trouvé, parce que ce qui vient de se passer ne me laisse pas d’espoir que ce jour aura inauguré un avenir heureux pour mon pays. Mais vous n’aviez pas alors les opinions que vous m’exprimez aujourd’hui, et vos opinions ont eu une grande influence sur mon jugement et sur ma conduite. Je vous envoie ouverte une lettre pour le Président ; elle est pour vous seul, et souvenez-vous mon cher ami que le secret (qui ne vous appartient pas) vous n’avez le droit de le confier à qui que ce soit. Je vous priérai de la faire remettre à l’Elysée, à moins toutefois qu’elle ne soit de nature à vous nuire, et dans ce cas vous pourrez me dire ce que vous n’approuverez pas, ou bien (sans la remettre) conseiller au P[résident] de ne pas me nommer [sénateur]. Ce que je désire uniquement c’est de ne pas donner d’éclat à cette démarche. Trop de raisons s’opposent à ce que je prononce un blâme public contre lui. Je veux sauvegarder ma considération et ma délicatesse, et voilà tout.
Je ne puis vous cacher que lorsque je me rappelle la façon dont les affaires se traitaient autour de vous, le bavardage qui s’exerçait sur les choses et les hommes, je crains bien qu’il n’y ait eu des répétitions et des indiscrétions, et que cela n’ait produit de l’irritation et de bien mauvais effets. Dans la position confidentielle et importante dans laquelle vous étiez placé, une discrétion à toute épreuve eût été de rigueur. Enfin il ne s’agit plus de cela, mais je vous en supplie, ne permettez pas qu’autour de vous s’établisse un foyer d’opposition et des mauvais propos contre celui pour lequel vous avez témoigné tant de dévouement.
Soyez sûr encore, bien que vos motifs aient été excellents, que vous avez été mal inspiré le jour que vous m’avez écrit de ne pas venir, et que je vous aime trop pour n’avoir pas fait ce que vous désiriez, mais je l’ai fai avec un extrême regret.
Je vous embrasse de tout mon coeur.
F. »
Paris, 26 Janvier 1852
Morny à Charles de Flahaut
Vous paraissez attacher beaucoup d’importance à la prière que je vous ai fait[e] de ne pas venir à Paris dernièrement. Croyez que c’est seulement par affection et dévouement pour vous que j’ai agi ainsi.
» Vous savez que je vous ai quelquefois parlé à cœur ouvert du prince. Je le connais mieux (J’ai eu encore plus l’occasion de le juger) depuis le 2 décembre. D’abord, il n’a d’amitié vraie pour personne (il n’aime personne) ; encore moins pour moi que pour quiconque,(moi peut-être un peu moins que les autres), car ma position particulière l’embarrasse et la vôtre aggrave encore les choses (…) (En outre, ma situation lui déplaît, et la vôtre ne fait qu’augmenter la dose). Je ne vous ai pas tout dit (Il y a bien des choses que je vous ai cachées). Lorsque vous aviez pensé à entrer dans le gouvernement, vous étiez animé par le seul désir d’aider le prince (dans son intérêt seul pour relever son pouvoir) et consolider sa position et vous pensiez sans doute que votre suggestion lui était agréable. Mais il n’y a rien qui lui aurait déplu davantage et il n’y aurait jamais consenti. Il supportait ma présence à regret et mes services mêmes le gênaient ( Il me souffrait là avec bien de l’impatience. Mes services lui ont été insupportables. Il n’a jamais été plus mal pour moi que durant ce temps. Il est méfiant (défiant) et ingrat et n’aime que ceux qui lui obéissent servilement et le flattent. Quand il a eu besoin de vous en Angleterre, il vous a demandé, et il ne vous a pas pardonné votre refus (le poste d’ambassadeur à Londres). Il n’a pu trouver personne pour le 2 décembre, aussi s’est-il servi de moi. (il m’a pris). J’ai risqué ma vie (ma tête) j’ai bien agi ; qu’importe, je le gêne. Je ne suis ni servile, ni flatteur, je suis un mauvais instrument.
Eh bien, que seriez-vous venu faire ? Assister à Paris à ce qui allait se commettre ? Un mot de vous eût été exploité, répété, dénaturé. Ou vous auriez conseillé les décrets, ou vous les auriez attaqués vivement. Ou vous seriez venu pour m’empêcher de quitter le ministère ou pour me le faire quitter. Le monde est si bête ! En outre, vous n’eussiez rien empêché, soyez-en sûr. Alors à quoi bon par votre arrivée jouer un rôle quelconque dans ces circonstances. C’est pour ne pas vous effleurer en rien que je vous ai retenu, sachant bien que vous approuverez ma conduite. C’est pour vous et non pour moi, ca vous savez bien que votre présence et vos conseils me sont bien précieux.
Maintenant venez si vous le jugez à propos. L’effet est produit. Le Sénat va être constitué ; vous et moi en faisons partie. Accepterez-vous ? Si vous refusez, j’en ferai autant. J’ai même envie de refuser quand même. J’ai assez de la vie politique, surtout avec un homme (un caractère) comme le prince. J’aimerais bien savoir ce que vous allez faire. Je ne crois pas du reste que vous puissiez dignement accepter, et à moi cela m’est fort désagréable.
Adieu, mon cher ami. Je suis bien triste et bien navré, et il y a loin de mon triomphe d’il y a deux mois à peine à mon découragement d’aujourd’hui. Je ne vous embrasse pas moins bien tendrement.
AUG. »
2 mars 1852
Morny à Charles de Flahaut
» Voici la lettre que je viens de recevoir du prince. Vous pourrez former vos propres conclusions (Vous jugerez après). Je ne veux pas ajouter un seul commentaire (Je ne me permettrai que d’y ajouter un mot).
Ainsi une promesse formelle est rompue à cause de la lettre d’une personne qu’on ne nomme pas (Ainsi voici un engagement formellement pris, rompu sur une lettre d’un tiers), qui prétend que j’aurais accepté ce poste pour soutenir les Orléans (avec la supposition donc que j’acceptais ce poste, devant pour ainsi [dire] en faire un appui pour les Orléanistes). C’est là la récompense de mon dévouement et de ma sincérité. Je regrette fort peu la présidence, vous le savez mieux que personne ; mais j’avoue que je ressens vivement cette injure et ce manque de confiance.
Maintenant, mon cher ami, prenez un jour favorable pour la vente des tableaux. Rien ne doit plus s’y opposer, au contraire.
Vous voyez, mon cher ami,que j’avais raison de regretter votre départ. Je vous embrasse bien tendrement.
AUG. »
Londres, 3 mars 1852
Charles de Flahaut à Morny
Mon cher Auguste,
« Je reçois à l’instant votre lettre du 2, et j’en reviens à ma vieille opinion que tous les Princes se ressemblent et que les illégitimes sont encore ceux qui valent le moins.
Vous pouvez être sûr que votre attitude du 22 janvier n’effacera pas aux yeux de Claremont le souvenir du 2 décembre, tandis qu’à l’Elysée elle fera oublier complètement cette journée. Mais que vous importe après tout (mais au fait, qu’est-ce que tout cela vous fait ?) ; vous avez été guidé (guidé) par un sentiment d’affection envers celui pour qui vous avez risqué votre vie (vous exposiez votre vie), ou du moins votre liberté, et s’il ne vous en témoigne pas de gratitude (s’il est ingrat), tant pis pour lui ! Ce ne sera pas fait pour lui gagner beaucoup de coeurs honnêtes et ne lui vaudra pas beaucoup d’actes de dévoûment. Il obtiendra peut-être des hommes tels que ceux qui l’entourent eyt le servent aujourd’hui, mais cela ne relèvera pas sa considération et ne lui procurera pas la confiance du pays.
Vous savez combien j’hésitais pour savoir si vous deviez accepter ou refuser la position de président du Corps législatif, il y avait beaucoup à dire pour et contre ; quant aux postes (places) que le prince vous offre maintenant à l’étranger, je n’ai aucune hésitation à vous dire que rien au monde ne pourrait me décider à en accepter aucun. S’il peut vous soupçonner sur les propos (les prévisions) d’un tiers de pouvoir trahir sa cause pour celle de ses adversaires, il serait très capable de vous soupçonner de le trahir pour servir la cour auprès de laquelle vous seriez accrédité… Comment posséder la confiance d’un homme aussi soupçonneux ?… Quelle différence, grand Dieu ! entre lui et son oncle ! Et combien je me trompais dans mon appréciation, même la dernière fois que j’ai été reçu par lui.
Mon conseil pour vous serait de rester purement et simplement membre du Corps Législatif, de n’y point faire opposition, de voter honnêtement pour les mesures et lois qui vous paraîtront utiles, et de repousser sans aucune considération celles qui vous paraîtront nuisibles aux intérêts du pays. De voir beaucoup moins de monde, de déclarer que vous ne recommandez personne, parce que vous n’avez de rapports avec aucun membre du gouvernement, et d’être en même temps très réservé dans votre langage et très respectueux et froid en parlant du Président.
Quant à moi, ce qui vient de vous arriver me confirme dans la conduite d’abstention absolue que j’ai adoptée. A Claremont on est aussi mal disposé pour moi qu’il est possible de l’être, mais quand bien même cette disposition se modifierait, jamais je n’aurais de rapports avec la famille d’Orléans. Je n’ai jamais eu leur confiance, malgrés les bons services que je leur ai rendus, et je ne vois rien dans ma conduite qui ait été de nature à leur inspirer l’indignation qu’ils en ont éprouvée ; mais en même temps, je resterai étranger à ce qui se passe à Paris. Je ne suis pas de mise là où on se méfie des honnêtes gens. Dans des moments comme celui-ci, c’est un singulier suvenir que celui de votre départ de la maison le main du 2 décembre !
Si j’avais été à Paris, je vous aurais conjuré (recommandé) de tenir toute cette affaire aussi secrète que possible, car elle pourrait (elle est de nature à) nuire au prince, ce qui doit être évité à tout prix. Le fait que quelqu’un vous a fait tort n’est jamais une excuse pour lui nuire en retour. Laissez-lui les tiens (ses torts) envers vous et n’en ayez pas envers lui. »
25 avril 1852
Morny à Charles de Flahaut
« Mon cher ami,
A la veille de partir pour la séance du Conseil d’administration en Belgique de la Vieille Montagne, j’ai été surchargé de besogne. Une affaire entre autres m’a pris beaucoup de mon temps, parce que les réunions ont eu lieu chez moi ; mais je le regretterais peu si elle aboutit (comme j’ai tout lieu de le penser) à la combinaison qui nous est favorable – et vous n’en serez pas fâché non plus. C’est tout simplement les cérusiers qui demandent à traiter avec les blocs de zinc pour substituer notre produit au leur, et proposent au gouvernement d’interdire l’usage de la céruse. Vous concevez facilement quel coup cela porterait à la céruse dans le monde entier et quels bénéfices en résulteraient pour la Vieille Montagne et le blanc. Je n’ose encore me bercer de cet espoir, cependant, c’est très avancé, car les cérusiers sont tous d’accord et je les ai reçus chez moi. Ils sont très abattus, très effrayés de la guerre que leur fait l’administration et sentent que leur fin est proche. Ils préfèrent mourir avec indemnité que gratis ! Si tout cela arrive, je reverrai mes affaires comme autrefois.
Je ne devrai rien à personne et je ne commettrai plus les mêmes fautes. Je liquiderai bel et bien ma fortune de façon à être à l’abri de tout événement. Je vais rembourser Coutts ces jours-ci et faire venir ici mes tableaux, que je vendrai mieux à Paris qu’à Londres, à l’occasion de la vente du Maréchal Soult (19 mai 1852 – Soult était mort le 26 octobre 1851). Les amteurs de tous les pays y viendront.
Le tribunal de première instance s’est déclaré compétent avant-hier (Il s’agit de la confiscation des biens des d’Orléans : les d’Orléans avaient interjeté appel de la décision présidentielle) C’est une grosse affaire moralement parlant. Cela a remué l’opinion publique. C’est bien malheureux – l’oubli est ce que le Président peut espérer de mieux. Quelle malheureuse idée, et bien coupables sont ceux qui la lui ont inspirée. Il ne sait pas quel tort celui lui a fait à l’étranger et à l’intérieur et quelle belle situation de confiance aveugle il a perdu.
Lavalette est de retour à Paris, très glorieux de son succès diplomatique. Je ne connais pas assez la question pout le juger, seulement il paraît qu’il l’a trouvé engagée tellement qu’il ne pouvait reculer sans honte ; il ne l’aurait jamais [exhumée ?] Prenez garde que Valewski (sic) soit un peu trop anglais et ne nous brouille avec la Porte, tout en nous faisant perdre notre influence en Egypte ; – et qu’est-ce que les Anglais font pour nous sur un point quelconque du globe ? Rien !
Voilà Thiers parti. – J’en suis ravi. Je devais partir moi-même hier pour Bruxelles. J’ai été si souffrant que j’ai passé la journée dans mon lit. Je n’irai que demain. J’irai peut-être vous voir après.
Je vous embrasse tous tendrement.
AUG. »
28 Avril 1852
Charles de Flahaut à Auguste Morny
» Mon cher Auguste
Je vous fais mon compliment sur les succès que vous espérez de vos transactions avec les cérusiers. J’avoue cependant que je ne comprends pas à quelle indemnité ils peuvent prétendre pour abandonner une industrie qui est reconnue nuisible à ceux qu’elle emploie, et je ne comprends pas davantage de quelle poche elle sortira. Enfin, je m’en rapporte à votre capacité et serai charmé de voir arriver le jour où mes actions feront entrer quelque chose dans ma poche.
Je serais ravi de l’acte d’indépendance du tribunal de première instance, si je pouvais me flatter que cela ouvrira les yeux du Pr[ésident] sur ce que le décret du 22 janvier a d’injuste et d’impolitique. J’ai toujours été convaincu qu’en revenant sur sa décision, du moment où il pouvait avoir des doutes sur sa justuce, il se ferait le plus grand honneur, et je n’ai pas changé d’avis. Mais, comme je suis convaincu que les mêmes conseillers qui l’ont lancé ou encouragé dans cette funeste voie feront tout au monde pour l’y maintenir, je ne me berce à cet égard d’aucune espérance.
Leur but est surtout par là de l’isoler des honnêtes gens et de l’avoir entièrement entre leurs mains, et au fait ils y ont parfaitement réussi. Je regrette donc que la décision du tribunal ait donné à cette affaire un nouveau retentissement, et qu’elle aura malheureusement pour effet inévitable de produire un acte violent de l’autorité contre le pouvoir judiciaire. Cela fera au Prince encore plus de tort dans le pays, car, comme le disait M. de Talleyrand, « Malgré les évolutions, la France est un pays de légalité ».
Je fais mon compliment à Félix de la gloire qu’il tire de son succès ; avec quelques succès de ce genre nos affaires extérieures seraient dans un bel état. Si vous ne connaissez pas encore l’affaire des Lieux-Saints, je ne me donnerai pas la peine, ou à vous l’ennui, de vous expliquer de nouveau ; car je crois l’avoir fait verbalement et par écrit dans tous ses détails.
Pour ce qui est de Walewski, je ne le crois pas disposé le moins du monde à être trop anglais. Il me paraît au contraire fort en garde contre l’influence que le gouvernement britanique pourrait vouloir exercer dans ses intérêts et contre les nôtres. Selon moi, il pousse cela même un peu plus loin qu’il n’est raisonnable de le faire. Mais il a une tête véritablement politique ; il comprend ce qu’est la grande diplomatie. Il sent très bien que La Porte a besoin de notre appui, mais ne peut pas nous être un allié utile ; et que ce n’est que par l’entente de toutes les grandes puissances que la vie peut être conservée à ce corps moribond. Ce n’est pas en soutenent en 1840 les intérêts du Pacha contre le Sultan, et en 1852 ceux du Sultan contre le Pacha, que nous contribuerons à soutenir l’intégrité de l’Empire Ottoman.
Au reste, mon cher ami, ce qui me paraît important pour notre dplomatie, c’est de maintenir de bons rapports entre le Prince et les grandes Puissances. Il est impossible qu’il ne soit pas amené à se faire Empereur, et de la nature de ces rapports, dépendra la manière dont ce changement sera accueilli. Soyez certain qu’avant l’affaire des Lieux-Saints, on était tout autrement disposé pour nous à Petersbourg qu’on ne l’a été depuis. C’est à cela que je m’attache, et il est impossible que vous ne soyez pas de mon avis, qui si pour rétablir notre protection exclusive des Chrétiens en Orient à laquelle toutes les puissances chrétiennes sont aujourd’hui opposées, nous nous brouillerons avec l’Empereur de Russie, en cherchant à priver les Grecs schismatiques de leur part du Saint-Sépulcre ; et si en même temps en poussant le Sultan à des attaques contre l’autorité du Pacha, nous aurons – de gaieté de coeur, et sans servir aucun intérêt sérieux – gâté nos rapports avec deux puissances avec lesquelles il nous importe d’être en bonne intelligence.
J’espère du reste que le Président s’occupera beaucoup lui-même de la direction de ses Affaires Etrangères. Je lui crois des idées fort saines et j’avoue qu’il n’y a que lui qui me rassure à ce sujet.
Vous savez que Philip n’a jamais envoyé les caisses de vos tableaux et qu’il prétend ne pas en avoir connaissance. Si donc vous avez réellement l’intention de les vendre bientôt, il faut vous y prendre un peu d’avance pour les préparatifs nécessaires à leur transport. Si vous aviez dû les garder nous eussions préféré que vous ne les fissiez venir qu’après la saison ; car lorsqu’ils seront décrochés, notre salon aura besoin nécessairement d’être repeint, et cela eût été plus commode dans la saison morte. Mais vous comprenez bien que cette considération est sans importance s’il s’agit de les vendre à un moment favorable.
Adieu. Je vous embrasse.
Je désire que vous lisiez la partie politique de cette lettre au Pr[ince] »
17 janvier 1857
Morny à Charles de Flahaut
« Je me marie après-demain et j’expédie un courrier important, de sorte que j’ai à peine le temps de vous écrire. Il n’y a que de votre côté que j’ai un peu de bonnes et aimables félicitations. De Paris, je n’ai qu’un monceau d’attaques, de calomnies, d’injures, etc. Je m’y attendais, mais moins cependant qu’il n’y en a eu ; cela produira naturellement le résultat que vous désirez, plus que mes propres dispositions. La vengeance va très loin, sans mesure, sans tact, sans esprit, sans prudence pour elle-même et les siens.
Maintenant, je n’ai plus à regarder derrière moi.
24 novembre 1859
Charles de Flahaut à Morny
« Vous ne pouviez pas donner plus de joie au vieillard que je suis en lui annonçant la si heureuse survivance de notre famille en la personne du petit être qui vient de naître. »
26 mars 1860
Morny à Charles de Flahaut
« Je ne puis vous dire à quel point je suis triste de l’aigreur qui paraît s’établir entre la France et l’Angleterre à propos de la Savoie. Comment un pays qui s’est si peu gêné pour prendre tout ce qu’il peut prendre partout dans le globe, nous marchande-t-il un territoire insignifiant qui nous est cédé volontairement et légitimement dû par suite de la modification du Piémont… L’Empereur se trouve tout blessé de la défiance qu’on lui témoigne et, si cela dure, ses dispositions à l’égard de l’Angleterre se modifieront évidemment ; ce sera bien regrettable, car je vous jure que jamais l’Angleterre ne trouvera un souverain pratiquant l’alliance avec plus de cordialité et de sincérité. »
21 octobre 1862
Morny à Charles de Flahaut
» L’Empereur a été très affecté (par la démission de Charles) ; il m’a chargé de vous le dire. S’il avait connu votre détermination, il eût préféré renoncer à Drouyn de Lhuys ; il voudrait beaucoup vous voir consentir à rester à votre poste, disant que c’est lui et la France que vous servez et non M Drouyn de Lhuys. »
31 octobre 1862
Morny à Charles de Flahaut
« La politique de Walewski nous conduit à la catastrophe, répète-t-il à son père. Il ne la poursuit que par entêtement et ambition personnelle ».
15 janvier 1864
Charles de Flahaut à Morny
Savernake, ce 15 Janvier 1864.
Mon cher A.,
J’ai reçu la lettre copiée ci-dessous du Maréchal Vaillant, et je ne comprends pas bien qui il veut désigner par on. Il est clair que c’est l’Empereur qui doit signer le décret, mais d’un autre côté, je serais surpris que ce fut lui qui fut indiqué. J’attendrai donc votre réponse pour faire la mienne. Ce serait avec une peine bien véritable que je me verrai dans le cas de ne pas accepter les fonctions qui me sont offertes par l’Empereur, mais certainement l’adjonction du Cte Walewski à cette commission me fait désirer de n’en pas faire partie moi-même.
Dites-moi ce que vous en pensez, si vous trouvez l’occasion d’en parler à l’Empereur.
Adressez votre réponse à Londres, où nous serons lundi. Ne faites pas usage de la lettre de Vaillant auprès de l’Empereur, car je ne voudrais rien faire qui pût lui être désagréable.
18 janvier 1864
Morny à Charles de Flahaut
Mon cher ami,
J’ai reçu votre lettre hier, et je n’ai pu voir l’Empereur que ce matin. C’est lui qui [doit] signer le Décret, et » on » l’a beaucoup amusé. Il attend votre réponse.
Je lui ai dit que si Walewski devait faire partie de la Commission vous ne consentiriez pas à en être – » C’est justement pour cela que j’attends la réponse de M. de Flahault. Parce que naturellement, si M. de Flahault accepte, je n’y mettrai pas Walewski que Napoléon désire y faire entrer. » Si vous voulez mon sentiment, l ‘Empereur aimera mieux que vous acceptiez et n’est pas fâché d’en exclure Walewski.
Vous pouvez, si vous voulez, mettre dans cette lettre l’acceptation conditionnelle, afin que si jamais par un coup de fureur le Prince Napoléon voulût vous jouer un tour, vous eussiez à l’avance fait vos conditions.
Quant à l’Empereur c’est convenu. J’espère que vous accepterez cela, et la Légion d’Honneur. L’Empereur m’a dit ce matin : » J’ai dit à Rouher d’offrir la Légion d’Honneur à M. de Flahault. Je serais bien heureux qu’il voulût l’accepter. »
Je vous embrasse,
Morny
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