Je ferai tout ce que je pourrais avec M Barbier (l'architecte du département) pour que les arrangements soient le moins onéreux possible. Je n'en tiens pas moins à obtenir de l'empereur pour sa maison les tapis et soieries qu'il peut y envoyer sans qu'il lui en coûte rien…"
* Flahaut (Françoise de Bernardy / Perrin / p.352)
" Je croyais que la reine, en raison de la profonde douleur où elle est plongée (à la suite de la mort de sa mère, la duchesse de Kent), ne voyant personne et ne dînant même pas avec ses enfants, aurait pris plus de temps pour se décider à reconnaître le nouveau royaume.
Je ne doute pas qu'il n'ait fallu une certaine pression ministérielle pour obtenir de Sa Majesté un aussi prompt résultat."
* Flahaut (Françoise de Bernardy / Perrin / p.344)
Le Comte de Flahault
à M. le Ministre des Affaires Etrangères.
Londres, le 6 décembre 1861
Monsieur le Ministre, j'ai réçu la dépêche que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'adresser sous le n° 156 de la direction politique, relative à l'affaire du Trent, et la dépêche au Ministre de l'Empereur à Washington qu'elle renfermait. Lord Russell, que j'ai vu aujourd'hui pour lui en donner lecture, a été vivement frappé de l'argumentation de Votre Excellence ; il pense qu'on ne saurait défendre les droits des neutres d'une façon plus habile et plus précise. Le premier secrétaire d'Etat de Sa Majesté britannique m'a particulièrement chargé de vous dire combien il était sensible, ainsi que tout le Gouvernement de la Reine, à la démarche que Votre Excellence a bien voulu faire et à l'appui qui leur a été donné en cette circonstance par le Gouvernement de l'Empereur.
Signé FLAHAULT
Documents diplomatiques (Affaires étrangères 1861 - ????)
Monsieur le comte, les réprésentants de la France et de la Grande-Bretagne au Mexique viennent de se trouver dans l'obligation d'y interrompre leurs relations diplomatiques. Le Gouvernement de l'Empereur et celui de Sa Majesté Britannique ont pleinement approuvé la conduite de leurs agents en présence de la résolution officielle du Gouvernement mexicain de manquer à tous ses engagements envers les réclamants français et anglais, afin de s'attribuer ce qui leur revenait pour augmenter ses ressources. J'ai l'honneur de vous envoyer, ci-joint, copie des instructions que j'ai adressées, en conséquence, à M. Dubois de Saligny, et dont vous pourrez donner communication à lord Russell : elles indiquent au Ministre de l'Empereur les conditions auxquelles il devra subordonner la reprise de ses rapports avec le Gouvernement mexicain, et lui enjoignent, si ces conditions ne sont point acceptées, de quitter sans délai Mexico avec tout le personnel de la légation de Sa Majesté.
Signé THOUVENEL
Documents diplomatiques (Affaires étrangères 1861 - ????)
Monsieur le Comte, lord Cowley m'a donné lecture de la réponse du principal secrétaire d'Etat de Sa Majesté Britannique à nos propositions concernant la marche à suivre dans l'affaire des Principautés. Sur tous les points du projet d'entente que j'avais rédigé avec M. l'ambassadeur d'Angleterre, lord Russell déclare adhérer entièrement à notre manière de voir. Il lui paraît, comme à nous, qu'il y a lieu de faire connaître notre assentiment à la communication de la Porte, au moyen de notes qui seront adressées par les représentants des puissance au Ministre des Affaires Etrangères du Sultan. Lord Russell admet, en outre, la nécessité d'effectuer l'union administrative et législative, en différant la révision de la loi électorale jusqu'au moment où les deux assemblées seront naturellement et légalement réunies en une seule. Quant aux mesures relatives à la répression des désordres éventuels dans les Principautés, sans s'exprimer d'une manière aussi explicite, il incline à partager de même l'opinion que j'ai exprimée sur la valeur des garanties stipulées dans cette vue par le congrés et la conférence de Paris. Telle est la substance de la dépêche que lord Cowley a bien voulu me lire et le sens des instructions expédiées à sir Henry Bulwer.
Le Chargé d'Affaires de France à Vienne me mande que le Gouvernement autrichien accepte sans restriction les trois premiers points de notre programme. Si, sur le quatrième point, relatif à l'ordre dans lequel il convient de procéder à la révision de la loi électorale, M. le comte de Rechberg a cru devoir suspendre son jugement, cette réserve s'explique par l'assentiment qu'il avait accordé dans le principe à la combinaison de la Russie, et il a laissé entendre à M. le comte de Mosbourg qu'il ne ferait pas de difficulté de se rallier, à cet égard également, à nos propositions, si le cabinet de Saint-Petersbourg y adhérait de son côté. Or, M. le duc de Montebello m'apprend d'autre part, et ces informations me sont confirmées par une communication de M. le comte Kisselef, que le Gouvernement russe renonce à demander la priorité pour la révision de la loi électorale.
Reste l'éventualité de conjonctures en désaccord avec les réserves que la Porte formule en limitant à la vie de l'hospodar actuel l'union qu'elle concède. Nous sommes disposés, en ce qui nous concerne, à rechercher comment il serait possible de satisfaire aux préoccupations de la Porte en tenant compte de toutes les convenances et de tous les intérêts. S'il s'agit uniquement des difficultés qui surviendraient durant la vie du prince Couza, les mesures prévues par le protocole du 6 septembre 1859 nous paraissent suffire à ces nécessités. La procédure à suivre y est minutieusement réglée, et je ne vois pas ce qu'il serait utile d'y ajouter pour mieux déterminer soit les cas dans lesquels il y aurait lieu de faire intervenir l'action combinée des Puissances et de la Turquie, soit la forme dans laquelle elle devrait s'exercer. Les cabinets n'ont donc à s'occuper que des efforts que les Principautés pourraient faire, après le prince Couza, pour tirer des concessions de la Porte les conséquences contre lesquelles elle parle de se prémunir. Il pourrait être convenu toutefois, dès à présent, que, sans rien modifier aux dispositions du protocole du 6 septembre, les Puissances auraient à s'entendre avec la Porte, à la mort du prince régnant, pour se rendre compte de la situation et apprécier les résultats de l'expérience. S'ils étaient reconnus favorables, s'il était constaté que l'union temporaire a contribué au raffermissement de l'ordre, et qu'il est de l'intérêt du Gouvernement Ottoman comme de celui des Principautés de maintenir cet état de choses, en lui donnant un caractère définitif, les Cabinets aviseraient de concert avec la Turquie, et il ne serait pas impossible que cette Puissance fût, comme aujourd'hui, la première à suggérer la solution la plus prévoyante et la plus équitable. cette manière de procéder, qui ne compromet aucun intérête, puisque le protocole du 6 septembre pourvoit à toutes les complications qui éclateraient durant l'administration du Prince Couza, offre l'avantage de permettre aux Puissances de se prononcer en parfaite connaissance de cause sur les questions qui se poseraient après lui.
Si cette combinaison était agréée par les Cabinets, ils se trouveraient d'accord sur tous les points essentiels, et seraient définitivements en mesure de donner aux propositions du Gouvernement Ottoman la suite qu'elles comportent.
Signé THOUVENEL
Documents diplomatiques (Affaires étrangères 1861 - ????)
Le Ministre des Affaires étrangères (Edouard Thouvenel)
à M. le Comte de Flahault, ambassadeur à Londres
Paris, le 4 décembre 1861
L'incident que fait naître le procédé du commandant du bâtiment des Etats-Unis le San-Jacinto, à l'égard du paquebot anglais le Trent, ne pouvait nous trouver indufférents : nous avons vu avec regret les embarras qu'il suscite au Gouvernement de Sa Majesté Britannique et les complications qu'il ajoute à celles qui résultent déjà du conflit américain. Nous ne pouvions d'ailleurs, concevoir aucun doute ni éprouver aucune hésitation dans nos appréciations sur la question de droit. Pour l'envisager comme le cabinet de Londres, nous n'avions qu'à nous inspirer de nos propres traditions. Guidés, en outre, par le désir de contribuer, autant qu'il dépend de nous, à faciliter l'aplanissement de cette difficulté, nous avons jugé utile de faire connaître, sans retard, au cabinet de Washington le jugement que nous portons sur la conduite du commandant du San-Jacinto, et de présenter au Secrétaire d'Etat de l'Union les considérations qui nous paraissent justifier les légitimes susceptibilités du cabinet anglais. J'adresse, à cet effet, à M. Mercier, la dépêche dont vous trouverez la copie ci-jointe, et je vous autotise à en donner lecture à Lord Russell.
Signé THOUVENEL
Documents diplomatiques (Affaires étrangères 1861 - ????)
Monsieur, depuis la dernière expédition que je vous ai adressée, j'ai eu avec M. l'ambassadeur de Sa Majesté Britannique sur les affaires du Mexique un entretien que vous trouverez résumé dans la dépêche ci-jointe adressée au comte de Flahault...
... Vous trouverez dans ma dépêche à M. de Flahault les observations que j'ai cru devoir présenter à lord Cowley sur ce point...
... j'ai été amené à parler à lord Cowley de l'éventualité du rétablissement de la forme monarchique au Mexique, ainsi que vous le verrez également dans ma dépêche à M. de Flahault...
Signé Thouvenel
Monsieur le Comte, M. l'ambassadeur d'Angleterre est venu m'entretenir des affaires du Mexique et des moyens de combiner l'action de nos deux Gouvernements pour atteindre le but commun que nous nous proposons. Le Gouvernement de la Reine, m'a dit lord Cowley, est prêt à signer avec la France et avec l'Espagne une convention à l'effet d'obtenir la réparations des torts commis envers les sujets des trois pays et d'assurer l'exécution des engagements contractés par le Mexique vis-à-vis des Gouvernements respectifs, pourvu qu'il soit déclaré dans cette convention que les forces des trois puissances ne seront employées à aucun objet ultérieur quelconque, et surtout qu'elles n'interviendront pas dans le gouvernement intérieur du Mexique. Le cabinet de Londres propose d'inviter les Etats-Unis à adhérer à cette convention, sans toutefois attendre une réponse pour commencer les opérations actives.
J'ai répondu à M. l'ambassadeur d'Angleterre que j'étais complètement d'accord avec son Gouvernement sur un point ; que je reconnaissais, comme lord Russell, que le légitimité de notre action coercitive à l'égard du Mexique ne résultait évidemment que de nos griefs contre le Gouvernement de ce pays, et que ces griefs, ainsi que les moyens de les redresser et d'en prévenir le retour, pouvaient seuls, en effet, faire l'objet d'une convention ostensible. J'admettais également, sans aucune difficulté, que les Parties contractantes pourraient s'engager à ne retirer de leur démonstration aucun avantage politique ou commercial à l'exclusion les unes des autres et même de toute autre Puissance, mais qu'il me semblait inutile d'aller au delà et de s'interdire à l'avance l'exercice éventuel d'une participation légitime dans des événements dont nos opérations pourraient être l'origine. Pas plus que le Gouvernement de la Reine, celui de l'Empereur ne veut assumer la responsabilié d'une intervention directe dans les affaires intérieures du Mexique, mais il pense qu'il est de la prudence des deux cabinets de ne pas décourager les efforts qui pourraient être tentés par le pays lui-même pour sortir de l'état d'anarchie où il est plongé, en lui faisant connaître qu'il n'a à attendre en aucune circonstance aucun appui et aucun concours. L'intérêt commun de la France et de l'Angleterre est évidemment de voir s'établir au Mexique un état de choses qui assure la sécurité des intérêts déjà existants et qui favorise le développement de nos échanges avec l'un des pays du monde les plus richement doués. Les événements dont les Etats-Unis sont en ce moment le théâtre donnent à ces considérations une importance nouvelle et plus urgente. Il est permis de supposer, en effet, que, si l'issue de la crise américaine consacrait la séparation définitive du Nord et du Sud, les deux nouvelles Confédérations chercheraient l'une et l'autre des compensations que le territoire du Mexique, livré à une dissolution sociale, offrirait à leurs compétitions. Un semblable événement ne saurait être indifférent à l'Abgleterre, et le principal obstacle qui pourrait, selon nous, en prévenir l'accomplissement serait la constitution au Mexique d'un gouvernement réparateur assez fort pour arrêter sa dissolution intérieure. Que les éléments d'un semblable gouvernement existent au Mexique, c'est ce que nous ne saurions certainement assurer. Mais l'intérêt qui s'attache pour nous à la régénération de ce pays, ne permet, ce nous semble, de négliger aucun des symptômes qui pourraient faire espérer le succès d'une pareille tentative. A l'égard de la forme de ce gouvernement, pourvu qu'il donnât au pays et à nous-mêmes des garanties suffisantes, nous n'avions et je ne supposais à l'Angleterre, aucune préférence ni aucun parti pris. Mais si les Mexicains eux-mêmes, las de leurs épreuves, décidés à réagir contre un passé désastreux, puisaient dans le sentiment des dangers qui les menacent une vitalité nouvelle ; si, revenant par exemple aux instincts de leur race, ils trouvaient bon de chercher dans un établissement monarchique le repos et la prospérité qu'ils n'ont pas rencontrés dans les institutions républicaines, je ne pensais pas que nous dussions nous interdire absolument de les aider, s'il y avait lieu, dans l'oeuvre de leur régénération tout en reconnaissant que nous devions les laisser entièrement libres de choisir la voie qui leur paraîtrait la meilleure pour les y conduire.
Poursuivant le développement de ces idées dans la forme d'une conversation intime et confiante, j'ai ajouté que, dans le cas où la prévision que j'indiquais viendrait à se réaliser, le Gouvernement de l'Empereur, dégagé de toute préoccupation intéressée, écartait d'avance toute candidature d'un prince quelconque de la Famille Impériale, et que, désireux de ménager toutes les susceptibilités, il verrait avec plaisir le choix des Mexicains et l'assentiment des Puissances se porter sur un prince de la maison d'Autriche.
Pour revenir au point de départ de cet entretien, et pour le résumer, j'ai dit enfin que la convention projetée devait, selon moi, indiquer le but de l'entente des parties contractantes et les moyens combinés pour l'atteindre, dire, en un mot, tout ce que nous ferions ; mais qu'il me paraissait conforme à la fois à la prudence et à l'usage de s'abstenir de dire ce que nous ne ferions pas dans l'hypothèses d'événements incertains et auxquels il serait temps d'aviser quand ils se produiraient.
Telle est, Monsieur le Comte, la substance de la conversation que j'ai eue avec M. l'ambassadeur d'Angleterre, et dont il rendra compte à son Gouvernement. Je me plais à espérer que le cabinet de Londres voudra bien examiner avec attention des considérations qui m'ont été inspirées par la communauté de nos intérêts au Mexique, et que la franchise de nos relations me faisait un devoir de lui faire connaître.
Signé Thouvenel
Mon cher Félix,
Savez-vous quelque chose de M.Edgar Quinet, auteur des articles sur la campagne de 1815 qui ont paru dans la Revue des Deux Mondes ? Tout à fait entre nous et pour vous seul, il me fait l'effet d'un cuistre qui écrit sur un sujet dont il n'a pas la première idée, qui a été mal renseigné, qui veut établir la mémoire de Ney et pour cela faire, porte contre l'Empereur les accusations les plus absurdes.
Ainsi il dit qu'il était 2 ou 3 heures quand Grouchy put se mettre en marche, et en même temps il dit que les premières colonnes de Napoléon parurent aux Quatre-Bras à 2 heures. Ainsi il fallait qu'il eût quitté Fleurus depuis longtemps, après avoir pris congé de Grouchy, car il y a une bonne distance d'un endroit à l'autre.
Il dit aussi que le Maréchal Ney m'avait envoyé à l'Empereur pour avoir des rensegnemens sur ce qui s'était passé à Fleurus. Si c'est le duc d'Elchingen qui lui a donné ses informations, cela prouve qu'il était aussi ignorant que celui à qui il les donnait ! J'ai assisté près de Ney à toute l'affaire des Quatre-Bras. On ne saurait montrer plus de courage, je dirais même plus de mépris de la mort. Mais là finira mon éloge ; car l'affaire s'est bornée à des attaques décousues, et l'absences de toutes dispositions. Enfin, après avoir soupé avec le maréchal, je suis parti vers 1 heure du main, non pas chargé d'une mission par lui, mais pour rejoindre l'Empereur à Fleurus, où j'arrivai avant déjeuner, et où je lui rendis compte de ce qui s'était passé la veille. Peu après déjeuner nous montâmes à cheval pour parcourir le champs de bataille, après quoi nous nous rendîmes à la grande route qui mène de Namur aux Quatre-Bras, et là l'Empereur donna ses dernières instructions à Grouchy " Allons Grouchy, poursuivez les Prussiens, l'épée dans les reins ; mais communiquez toujours avec moi par votre gauche ". Or n'était-ce pas lui dire que cette communication était un point essentiel de ses instructions ?
Que M. Quinet, qui paraît avoir eu beaucoup de rapports avec le duc d'Elchingen, ait fait tous ses efforts pour rétablir les faits d'une manière favorable au Maréchal Ney, je le conçois ; et je ne voudrai rien dire contre cette grande victime. Mais pourquoi se montre-t-il aussi injuste, et s'écarte-t-il autant de la vérité, en ce qui concerne l'Empereur ? Ainsi il loue Ney, ou au moins trouve tout simple qu'il n'ait pas voulu attaquer les Anglais avant d'être rassuré sur ce qui se passait du côté des Prussiens. Mais pourquoi alors fait-il un si grand reproche à l'Empereur de n'avoir pas voulu se lancer tête baissée sur les Prussiens, sans savoir ce qui se passait du côté des Anglais ? Si l'un était bien, pourquoi blâmer l'autre ?
Quant à tout ce qu'il lui reproche le lendemain matin du retard dans la poursuite de l'armée de Blücher, il n'y a pas un mot de vrai. Une armée ne peut pas, après une bataille rangée et des marches comme celles que la nôtre avait faites la veille, se mettre en mouvement à l'aube du jour. Le fait est que ce qui est incompréhensible, c'est que les forces de l'Empereur avaient suffi à tout ce qu'il a fait à cette triste époque, et M. Quinet aura beau faire et aura beau compulser tous les papiers qu'aura laissés le Maréchal Grouchy, il ne le lavera jamais de la faute (je ne dis point intentionnelle) de n'avoir pas constamment gardé ses communications avec nous par sa gauche ; et il y a de plus que Gérard et Excelmans l'en ont supplié.
On a beau être républicain et libéral outré ; quand on se mêle d'écrire l'histoire il faut dire la vérité ; c'est le seul irritable devoir de l'historien !
Du reste dans ces descriptions il y a des choses qui font mourir de rire. Ainsi il dit (page 35 du numéro du 1er septembre) que des lanciers français vinrent intrépidement planter en terre les hampes de leurs lances, en guise de jalons sur le front des bataillons ennemis, à peu de distance des baïonnettes ! Voulez-vous quelque chose de plus absurde ? - C'est une imitation burlesque de " Tirez Messieurs les Anglais " de Voltaire !
Et plus loin (page 37) se trouve : " Kellerman, à la tête de ses cuirassiers, charge sur la route qu'enfile une batterie anglaise. Il perce plusieurs lignes et bientôt la route est couverte des cadavres des assaillants. Ce grand effort a été inutile, la charge se rompt. Kellerman dont le cheval a été tué, reste quelque temps à la merci des ennemis. Il leur échappe à pied, en se suspendant aux mors des chevaux de deux de ses cuirassiers. " Vous figurez-vous cette manière adroite de se faciliter la retraite ! De se suspendre à quoi ? Aux crins, aux bottes, à la queue des chevaux ? Non, - aux mors, qui était un moyen inévitable d'arrêter leur course et de les faire se cabrer ! C'est vraiment burlesque, mais il est affligeant de voir la Revue des Deux Mondes admettre dans ses colonnes de pareils articles. Grâce au Ciel, j'espère que, malgré l'esprit de parti, le bon sens public fera justice de pareilles sottises.
Du reste je tiens que l'Empereur ait connaissance de tout ce que je viens de vous dire, et je vous autorise à lui lire ou lui donner cette lettre écrite à la hâte…
* The First Napoleon / Some unpublished documents from the Bowood papers / The Earl of Kerry / p. 315 à 317
Mon cher Félix,
Savez-vous quelque chose de M.Edgar Quinet, auteur des articles sur la campagne de 1815 qui ont paru dans la Revue des Deux Mondes ? Tout à fait entre nous et pour vous seul, il me fait l'effet d'un cuistre qui écrit sur un sujet dont il n'a pas la première idée, qui a été mal renseigné, qui veut établir la mémoire de Ney et pour cela faire, porte contre l'Empereur les accusations les plus absurdes.
Ainsi il dit qu'il était 2 ou 3 heures quand Grouchy put se mettre en marche, et en même temps il dit que les premières colonnes de Napoléon parurent aux Quatre-Bras à 2 heures. Ainsi il fallait qu'il eût quitté Fleurus depuis longtemps, après avoir pris congé de Grouchy, car il y a une bonne distance d'un endroit à l'autre.
Il dit aussi que le Maréchal Ney m'avait envoyé à l'Empereur pour avoir des rensegnemens sur ce qui s'était passé à Fleurus. Si c'est le duc d'Elchingen qui lui a donné ses informations, cela prouve qu'il était aussi ignorant que celui à qui il les donnait ! J'ai assisté près de Ney à toute l'affaire des Quatre-Bras. On ne saurait montrer plus de courage, je dirais même plus de mépris de la mort. Mais là finira mon éloge ; car l'affaire s'est bornée à des attaques décousues, et l'absences de toutes dispositions. Enfin, après avoir soupé avec le maréchal, je suis parti vers 1 heure du main, non pas chargé d'une mission par lui, mais pour rejoindre l'Empereur à Fleurus, où j'arrivai avant déjeuner, et où je lui rendis compte de ce qui s'était passé la veille. Peu après déjeuner nous montâmes à cheval pour parcourir le champs de bataille, après quoi nous nous rendîmes à la grande route qui mène de Namur aux Quatre-Bras, et là l'Empereur donna ses dernières instructions à Grouchy " Allons Grouchy, poursuivez les Prussiens, l'épée dans les reins ; mais communiquez toujours avec moi par votre gauche ". Or n'était-ce pas lui dire que cette communication était un point essentiel de ses instructions ?
Que M. Quinet, qui paraît avoir eu beaucoup de rapports avec le duc d'Elchingen, ait fait tous ses efforts pour rétablir les faits d'une manière favorable au Maréchal Ney, je le conçois ; et je ne voudrai rien dire contre cette grande victime. Mais pourquoi se montre-t-il aussi injuste, et s'écarte-t-il autant de la vérité, en ce qui concerne l'Empereur ? Ainsi il loue Ney, ou au moins trouve tout simple qu'il n'ait pas voulu attaquer les Anglais avant d'être rassuré sur ce qui se passait du côté des Prussiens. Mais pourquoi alors fait-il un si grand reproche à l'Empereur de n'avoir pas voulu se lancer tête baissée sur les Prussiens, sans savoir ce qui se passait du côté des Anglais ? Si l'un était bien, pourquoi blâmer l'autre ?
Quant à tout ce qu'il lui reproche le lendemain matin du retard dans la poursuite de l'armée de Blücher, il n'y a pas un mot de vrai. Une armée ne peut pas, après une bataille rangée et des marches comme celles que la nôtre avait faites la veille, se mettre en mouvement à l'aube du jour. Le fait est que ce qui est incompréhensible, c'est que les forces de l'Empereur avaient suffi à tout ce qu'il a fait à cette triste époque, et M. Quinet aura beau faire et aura beau compulser tous les papiers qu'aura laissés le Maréchal Grouchy, il ne le lavera jamais de la faute (je ne dis point intentionnelle) de n'avoir pas constamment gardé ses communications avec nous par sa gauche ; et il y a de plus que Gérard et Excelmans l'en ont supplié.
On a beau être républicain et libéral outré ; quand on se mêle d'écrire l'histoire il faut dire la vérité ; c'est le seul irritable devoir de l'historien !
Du reste dans ces descriptions il y a des choses qui font mourir de rire. Ainsi il dit (page 35 du numéro du 1er septembre) que des lanciers français vinrent intrépidement planter en terre les hampes de leurs lances, en guise de jalons sur le front des bataillons ennemis, à peu de distance des baïonnettes ! Voulez-vous quelque chose de plus absurde ? - C'est une imitation burlesque de " Tirez Messieurs les Anglais " de Voltaire !
Et plus loin (page 37) se trouve : " Kellerman, à la tête de ses cuirassiers, charge sur la route qu'enfile une batterie anglaise. Il perce plusieurs lignes et bientôt la route est couverte des cadavres des assaillants. Ce grand effort a été inutile, la charge se rompt. Kellerman dont le cheval a été tué, reste quelque temps à la merci des ennemis. Il leur échappe à pied, en se suspendant aux mors des chevaux de deux de ses cuirassiers. " Vous figurez-vous cette manière adroite de se faciliter la retraite ! De se suspendre à quoi ? Aux crins, aux bottes, à la queue des chevaux ? Non, - aux mors, qui était un moyen inévitable d'arrêter leur course et de les faire se cabrer ! C'est vraiment burlesque, mais il est affligeant de voir la Revue des Deux Mondes admettre dans ses colonnes de pareils articles. Grâce au Ciel, j'espère que, malgré l'esprit de parti, le bon sens public fera justice de pareilles sottises.
Du reste je tiens que l'Empereur ait connaissance de tout ce que je viens de vous dire, et je vous autorise à lui lire ou lui donner cette lettre écrite à la hâte…
* The First Napoleon / Some unpublished documents from the Bowood papers / The Earl of Kerry / p. 315 à 317