Londres, 7 janvier 1852 | Charles de Flahaut à Morny | presse anglaise

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Mon cher ami,
Les journaux anglais m'ayant assigné une certaine part dans les communications qui ont mené au renvoi de Palmerston, j'ai cru devoir adresser au Times un démenti formel à ce sujet. Vous savez à quel point nous étions peu préparés à cet événement, et la surprise qu'il nous a causée. Il a été uniquement le résultat de la connaissance donnée imprudemment par Turgot à Normanby de la communication qu'il avait reçu de Walewski.
Comme je n'ai plus entendu parler de l'idée de la mission extraordinaire relative au vote, je suppose qu'elle est abandonnée, et je m'en réjouis.
" Quoique (Bien que, comme je vous l'ai mandé, je sois) convaincu que les relations entre les deux gouvernements et les deux pays ne seront pas troublées (altérées) par les événements du 2 décembre, il serait vain de nier (il ne faut pas se dissimuler) que ces événements n'ont pas produit un mauvais effet (une impression très désagréable) à Windsor ; il serait aussi vain de nier que la reine, si favorable aux habitants de Claremont en raison de ses alliances Cobourg (à qui ses sentiments Cobourg inspirent une sympathie très vive pour les habitants de Claremont), n'est pas, en ce moment, très mal disposée (ne soit très défavorablement disposée) pour le Prince (et nous en ce moment). Elle est un souverain constitutionnel dans tous les sens du terme et elle agira, quant à la politique, selon le vœu de ses ministres (ce que lui conseilleront ses ministres), mais, en ce qui touche (ce qui aura le caractère de) ses relations personnelles, elle ne manquera pas de témoigner (elle laissera éclater) sa mauvaise humeur ou du moins son antipathie (sa froideur). Si j'étais la personne à qui l'on confiait cette mission, il y aurait en plus (il s'y serait joint) le désir de me marquer (témoigner) sa désapprobation de mon attitude (du parti que j'ai pris)… S'il ne se fût agi que de moi-même, cela m'eût été peut-être indifférent ; car je saurai toujours supporter la conséquence de mes actions. Mais on n'aurait pas manqué de remonter jusqu'au Président, et [de manifester à l'occasion de] l'acte glorieux par lequel il a sauvé la France, l'expression de déplaisir dans laquelle je serais probablement entré pour une bonne part. Si Walewski rapporte (rend compte), comme il le fera certainement (comme je n'en doute pas), le ton de sa réception à Windsor l'autre jour, il confirmera tout ce que je vous dis."
Je suppose que la Constitution paraîtra d'ici à quelques jours, et si mon nom se trouve parmi les sénateurs j'irai prendre ma place parmi eux.
Le rapport que vous m'avez envoyé (sur les pertes causées par le coup d'Etat) a paru dans le Morning Post et dans le Herald. Le Times a de la peine à se décider à le publier - ce que l'on conçoit aisément, puisque c'est le démenti de toutes les exagérations qui ont paru dans cette feuille. M de Saux qui l'avait envoyé au Morning Post s'est (à ce qu'il paraît) trompé de chiffre, car il a mis 315 a lieu de 215. Pourquoi ce rapport ne paraît-il pas dans les journaux français ?
Je crois que vous verrez un changement dans le langage du Times. Je ne dis pas qu'il se montrera favorable, mais il sera peut-être moins calomnieux et moins hostile. Ellice nie de la manière la plus formelle avoir exercé aucune influence sur sa polémique. Il m'a dit avoir écrit à Thiers pour l'engager à ne pas venir en Angleterre, tout en lui offrant l'hospitalité dans le cas où il ne suivrait pas cet avis. Mais il lui a fait sentir combien le vote de 7 millions et demi de suffrages changeait la nature des choses, et de quel poids ce vore pèserait dans les opinions de ce pays-ci. Je sis toujours d'avis qu'il vaudrait mieux que Thiers fût Place Saint-Georges qu'exilé. Ce mot d'exil fait un mauvais effet et l'on ne conçoit dans ce pays-ci que deux choses - ou qu'un homme soit en liberté, ou jugé.
Adieu, mon cher ami. Je vous embrasse de tout mon coeur.
"Je sais de bonne source que la reine a envoyé van de Weyer à Bruxelles pour consulter le roi Léopold sur les relations à entretenir avec la France. C'est un drôle de petit homme que ce van de Weyer : il est fin et faux, avec une allure de franchise. C'est singulier que dans le temps il ait donné un passeport au Prince Louis-Napoléon, et qu'il en ait donné un aussi au Prince de Joinville dans sa dernière escapade ! Je me tromperai bien si le Roi Leopold ne conseillait pas de maintenir des relations amicales avec le Président."
* Flahaut (Françoise de Bernardy / Perrin / p.316-317)* Le duc de Morny (Gerda Grothe / Fayard / p.107)* Le secret du coup d'Etat (Guedalla-Kerry / Emile-Paul 1928 /p.226 à 229)

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Ma lettre serait sans objet, car je suis heureux de voir par la liste des sénateurs qui vient de paraître (le 26 janvier) que le Président avait bien présumé de mes intentions. Auguste n'étant pas nommé, je suppose que lui aussi n'aurait pas accepté, ou que son langage ou celui de son entourage ou de son voisinage a peut-être été imprudent ou violent. Je me propose de continuer à agir comme j'ai agi, c'est-à-dire d'être impartial pour le P[résident], plutôt favorable qu'autre chose chaque fois que ce sera possible. Je n'ai eu aucune visée personnelle dans ma conduite. Je pensais bien agir en prêtant mon concours pour tirer mon pays de graves difficultés et dangers. Je souhaite seulement que le P[résident] poursuive sa tâche avec succès...
Nous dînons chez Lord Lansdowne et allons ensuite chez les John Russell.
* Le secret du coup d'Etat (Guedalla-Kerry / Emile-Paul 1928 /p.268-269)

toute la correspondance échangée entre Charles de Flahaut et sa femme Margaret Mercer Elphinstone

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Mon cher Auguste,
Nous sommes revenus aujourd'hui de Bowood, et j'ai trouvé votre lettre qui m'a fait le plus grand plaisir. Je suis charmé que la cérémonie (Le Te Deum à Notre-Dame, où, le 2 janvier, le Président rendit grâces publiquement à l'occasion de sa réélection) ait eu lieu, puisque cela donne la consécration religieuse au voeu populaire ; et je suis très satisfait aussi - puisque c'est vous qui en avez été chargé - que les arrangements aient été aussi bien faits. Mais ce qui me charme surtout, c'est que le prince soit rentré sans malencontre à l'Elysée.
Je ferai usage du rapport (Sur les pertes causées par le coup d'Etat. Il semble qu'il faille attribuer à M de Saux la version du Morning Post sur ce rapport, sous l'étiquette "Notre correspondant à Paris") que vous m'avez envoyé, et l'ai déjà fait communiquer au Morning Post par M de Saux et par un de mes amis au Prince (Evidemment le prince Consort, qui témoigna durant les événements une hostilité marquée à Louis-Napoléon). Je ne désespère pas d'adoucir ce dernier, mais c'est plus difficile que je ne croyais. Il me semble qu'il y a des influences françaises qui l'excitent. Je ne serais pas étonné que Léon Faucher et ses amis y fussent pour quelque chose. Cependant l'opinion revient, surtout en ce qui concerne les événements des premiers jours de Décembre, et on commence à sentir qu'il n'y avait pas d'autre moyen de venir à bout de l'entreprise que de prendre les mesures de rigueur que l'on a été forcé d'adopter. J'espère que l'on a recommandé beaucoup de modération de langage aux Affaires Etrangères, car il n'y a rien de plus fâcheux que de parler avec énergie et de faire craindre des actes que l'on a aucune intention de commettre. J'ai cru voir dans mes conversations avec plusieurs des ministres qu'on craint une intervention trop active et trop vive en ce qui concerne les Etats limitrophes, tels que la Suisse et le Piémont. Je crois avoir rassuré, cependant je n'ai pas hésité à dire qu'il me paraissait impossible que l'on insistât pas sur l'éloignement de nos frontières des foyers révolutionnaires, composés des réfugiés politiques de toutes les nations. Enfin, tout en cherchant à les rassurer, je n'ai pas manqué de maintenir ce que je considère comme nos droits.
Adieu, mon cher ami. Donnez-moi le plus souvent que vous pourrez de vos nouvelles. Si je vous manque comme vous le dites, vous me manquez bien aussi ; mais quand je suis à Paris, c'est encore la même chose, car je n'ai pas ce que je retrouve ici. Enfin nous verrons comment tout cela pourra s'arranger.
Quand vous en trouverez l'occasion présentez mon respectueux hommage au Prince. Croyez, mon cher ami, a toute l'affection que je vous ai vouée.
F.
Ld Grey est venu à Bowood et y a passé les trois derniers jours que nous y sommes restés. Il a bien peur que nous ne rendons pas au pays toutes ses libertés, et je lui ai dit qu'il pouvait en être parfaitement sûr ; que si quelqu'un en France était disposé à rendre au pays toutes ses libertés, c'était le Président ; mais que, s'il le faisait, il encourrait par là la perte de toute sa popularité. Adieu encore.

Le secret du coup d'Etat (Guedalla-Kerry / Emile-Paul 1928 /p.221 à 223)

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En mai 1852, Flahaut écrivit au Prince pour qu'il autorisât le retour de Thiers.
* Dans l'entourage de l'Empereur (Emile Dard / Plon / p.63)

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Mon cher ami,
" Je vous ai demandé (prié) de ne pas venir, parce qu'il vaut mieux que vous ne soyez pas mêlé (en rien) à ce qui va arriver (se passer) ni qu'on vous en rende responsable (et qu'on ne vous en attribue pas une parcelle). Je suis tout à fait décidé à ne pas rester au gouvernement (au Ministère). J'ai (Il y a pour cela) mille bonnes raisons que je ne puis pas vous détailler, parce que le temps me manque et qu'en outre, je ne veux pas les confier à la poste ; Vous pouvez être sûr que je ne suis pas venu à cette décision (si je prends ce parti) sans être pénétré de sa nécessité (j'en sens la nécessité). Votre arrivée ici, à la veille d'une crise dans laquelle je vais être personnellement impliqué (dont je serais le principal auteur), ne pourrait avoir que de mauvais résultats (n'aurait que des inconvénients).
Vous avez su tout ce qui s'est passé sur un certain sujet qui fait le fond de la lettre que je reçois de votre part. L'idée n'a pas été (Rien n'est) abandonnée ; l'orage va éclater un de ces jours (Cela éclatera un beau jour) et aura de fâcheuses conséquences (les conséquences en seront terribles). Je le regrette amèrement (J'en gémis) pour le Prince et pour le pays. J'ai fait tout au monde et couru le risque de perdre sa confiance pour l'empêcher ; c'est parce que j'ai découvert que la loyauté et le dévouement, accompagnés de franchise, ne sont pas toujours appréciés que je ne veux pas rester plus longtemps (et c'est parce qu'une manière loyale, dévouée, mais un peu vive quelquefois, ne convient plus à tout le monde que je ne veux pas rester plus longtemps). Le Ciel vous préserve (Dieu vous garde), avec votre noble caractère, d'être sans pouvoir (pour rien dans ce)au gouvernement. Ce sera le gouvernement des espèces. Jamais il n'y aura une place convenable pour un homme considérable et indépendant.
Dans quelques jours je vous écrirai. Vous viendrez à Paris, mais, croyez-moi, votre présence ne serait pas utile, elle prêterait à mille propos.
Je vous embrasse tendrement.
A."
* Flahaut (Françoise de Bernardy / Perrin / p.320)* Le secret du coup d'Etat (Guedalla-Kerry / Emile-Paul 1928 /p.253-254)

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Mon cher ami,
Vous apprendrez par le Moniteur le changement de ministère et l'acte si grave qui en est le motif. J'en suis réduit à souhaiter de tout mon coeur qu'il ne fasse pas aussi mauvais effet que je l'ai craint. Je ne puis vous dire quel chagrin j'en éprouve, la route était si belle, le succès si grand ! C'est l'accusation des journaux anglais qui en est cause (C'est à dire les articles relatifs à la parenté de Morny avec Louis-Napoléon)
Vous comprendrez pourquoi je vous ai supplié de rester à Londres. Vous n'auriez rien empêché, et votre présence ici aurait donné lieu à mille bruits divers, dont vous et moi aurions été chagrins.
Quant à moi, je m'en vais avec l'estime du monde et déplorant que la faveur qui s'attache à moi retombe en défaveur sur ce pauvre Pr[ince]. Du reste, je ne suis nullement mal avec lui et ne compte, ni dans ma conduite, ni dans mon langage, lui donner le moindre sujet de mécontentement.
Le 2 décembre est bien loin. Adieu, mon cher ami. Je vous embrasse tendrement. Faites attention à ce que vous m'écrivez ; avec un homme comme M de Maupas à la Police, il faut tout craindre.
Maintenant, mon cher ami, c'est à vous de juger si vous ferez bien de venir ou non. Vous savez combien je suis toujours heureux de vous voir. Croyez bien qu'en vous évitant le commandement de la Garde Nationale (Ce commandement avait dû, semble-t-il, être offert à Flahaut immédiatement après le coup d'Etat), en retenant votre dévouement si noble, si désintéressé, je n'ai eu en vue que votre intérêt et votre honneur que j'estime plus que tout le reste.
AUG.

Morny, un voluptueux au pouvoir (Rouart / Gallimard / p.170)
Morny, l'homme du second empire (Dufresne / Perrin / p.173)
Morny et son temps (Parturier / Hachette / p.101)
Le secret du coup d'Etat (Guedalla-Kerry / Emile-Paul 1928 /p.258-259)
Le coup du 2 décembre (Henri Guillemin / Gallimard / p.304)

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Vous paraissez attacher beaucoup d'importance à la prière que je vous ai fait[e] de ne pas venir à Paris dernièrement. Croyez que c'est seulement par affection et dévouement pour vous que j'ai agi ainsi.
" Vous savez que je vous ai quelquefois parlé à cœur ouvert du prince. Je le connais mieux (J'ai eu encore plus l'occasion de le juger) depuis le 2 décembre. D'abord, il n'a d'amitié vraie pour personne (il n'aime personne) ; encore moins pour moi que pour quiconque,(moi peut-être un peu moins que les autres), car ma position particulière l'embarrasse et la vôtre aggrave encore les choses (…) (En outre, ma situation lui déplaît, et la vôtre ne fait qu'augmenter la dose). Je ne vous ai pas tout dit (Il y a bien des choses que je vous ai cachées). Lorsque vous aviez pensé à entrer dans le gouvernement, vous étiez animé par le seul désir d'aider le prince (dans son intérêt seul pour relever son pouvoir) et consolider sa position et vous pensiez sans doute que votre suggestion lui était agréable. Mais il n'y a rien qui lui aurait déplu davantage et il n'y aurait jamais consenti. Il supportait ma présence à regret et mes services mêmes le gênaient ( Il me souffrait là avec bien de l'impatience. Mes services lui ont été insupportables. Il n'a jamais été plus mal pour moi que durant ce temps. Il est méfiant (défiant) et ingrat et n'aime que ceux qui lui obéissent servilement et le flattent. Quand il a eu besoin de vous en Angleterre, il vous a demandé, et il ne vous a pas pardonné votre refus (le poste d'ambassadeur à Londres). Il n'a pu trouver personne pour le 2 décembre, aussi s'est-il servi de moi. (il m'a pris). J'ai risqué ma vie (ma tête) j'ai bien agi ; qu'importe, je le gêne. Je ne suis ni servile, ni flatteur, je suis un mauvais instrument.
Eh bien, que seriez-vous venu faire ? Assister à Paris à ce qui allait se commettre ? Un mot de vous eût été exploité, répété, dénaturé. Ou vous auriez conseillé les décrets, ou vous les auriez attaqués vivement. Ou vous seriez venu pour m'empêcher de quitter le ministère ou pour me le faire quitter. Le monde est si bête ! En outre, vous n'eussiez rien empêché, soyez-en sûr. Alors à quoi bon par votre arrivée jouer un rôle quelconque dans ces circonstances. C'est pour ne pas vous effleurer en rien que je vous ai retenu, sachant bien que vous approuverez ma conduite. C'est pour vous et non pour moi, ca vous savez bien que votre présence et vos conseils me sont bien précieux.
Maintenant venez si vous le jugez à propos. L'effet est produit. Le Sénat va être constitué ; vous et moi en faisons partie. Accepterez-vous ? Si vous refusez, j'en ferai autant. J'ai même envie de refuser quand même. J'ai assez de la vie politique, surtout avec un homme (un caractère) comme le prince. J'aimerais bien savoir ce que vous allez faire. Je ne crois pas du reste que vous puissiez dignement accepter, et à moi cela m'est fort désagréable.
Adieu, mon cher ami. Je suis bien triste et bien navré, et il y a loin de mon triomphe d'il y a deux mois à peine à mon découragement d'aujourd'hui. Je ne vous embrasse pas moins bien tendrement.
AUG."
 

Morny, un voluptueux au pouvoir (Rouart / Gallimard / p.169)
Morny, l'homme du Second Empire (Dufresne / Perrin / p.172)
Morny et son temps (Parturier / Hachette / p.101)
Flahaut (Françoise de Bernardy / Perrin / p.321-322)
Le secret du coup d'Etat (Guedalla-Kerry / Emile-Paul 1928 /p.259-261)

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Vous paraissez attacher beaucoup d'importance à la prière que je vous ai fait[e] de ne pas venir à Paris dernièrement. Croyez que c'est seulement par affection et dévouement pour vous que j'ai agi ainsi.
" Vous savez que je vous ai quelquefois parlé à cœur ouvert du prince. Je le connais mieux (J'ai eu encore plus l'occasion de le juger) depuis le 2 décembre. D'abord, il n'a d'amitié vraie pour personne (il n'aime personne) ; encore moins pour moi que pour quiconque,(moi peut-être un peu moins que les autres), car ma position particulière l'embarrasse et la vôtre aggrave encore les choses (…) (En outre, ma situation lui déplaît, et la vôtre ne fait qu'augmenter la dose). Je ne vous ai pas tout dit (Il y a bien des choses que je vous ai cachées). Lorsque vous aviez pensé à entrer dans le gouvernement, vous étiez animé par le seul désir d'aider le prince (dans son intérêt seul pour relever son pouvoir) et consolider sa position et vous pensiez sans doute que votre suggestion lui était agréable. Mais il n'y a rien qui lui aurait déplu davantage et il n'y aurait jamais consenti. Il supportait ma présence à regret et mes services mêmes le gênaient ( Il me souffrait là avec bien de l'impatience. Mes services lui ont été insupportables. Il n'a jamais été plus mal pour moi que durant ce temps. Il est méfiant (défiant) et ingrat et n'aime que ceux qui lui obéissent servilement et le flattent. Quand il a eu besoin de vous en Angleterre, il vous a demandé, et il ne vous a pas pardonné votre refus (le poste d'ambassadeur à Londres). Il n'a pu trouver personne pour le 2 décembre, aussi s'est-il servi de moi. (il m'a pris). J'ai risqué ma vie (ma tête) j'ai bien agi ; qu'importe, je le gêne. Je ne suis ni servile, ni flatteur, je suis un mauvais instrument.
Eh bien, que seriez-vous venu faire ? Assister à Paris à ce qui allait se commettre ? Un mot de vous eût été exploité, répété, dénaturé. Ou vous auriez conseillé les décrets, ou vous les auriez attaqués vivement. Ou vous seriez venu pour m'empêcher de quitter le ministère ou pour me le faire quitter. Le monde est si bête ! En outre, vous n'eussiez rien empêché, soyez-en sûr. Alors à quoi bon par votre arrivée jouer un rôle quelconque dans ces circonstances. C'est pour ne pas vous effleurer en rien que je vous ai retenu, sachant bien que vous approuverez ma conduite. C'est pour vous et non pour moi, ca vous savez bien que votre présence et vos conseils me sont bien précieux.
Maintenant venez si vous le jugez à propos. L'effet est produit. Le Sénat va être constitué ; vous et moi en faisons partie. Accepterez-vous ? Si vous refusez, j'en ferai autant. J'ai même envie de refuser quand même. J'ai assez de la vie politique, surtout avec un homme (un caractère) comme le prince. J'aimerais bien savoir ce que vous allez faire. Je ne crois pas du reste que vous puissiez dignement accepter, et à moi cela m'est fort désagréable.
Adieu, mon cher ami. Je suis bien triste et bien navré, et il y a loin de mon triomphe d'il y a deux mois à peine à mon découragement d'aujourd'hui. Je ne vous embrasse pas moins bien tendrement.
AUG."
 

Morny, un voluptueux au pouvoir (Rouart / Gallimard / p.169)
Morny, l'homme du Second Empire (Dufresne / Perrin / p.172)
Morny et son temps (Parturier / Hachette / p.101)
Flahaut (Françoise de Bernardy / Perrin / p.321-322)
Le secret du coup d'Etat (Guedalla-Kerry / Emile-Paul 1928 /p.259-261)

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" Je ne crois pas que l'on trouve dans l'histoire la plus ancienne du Parlement français une scène d'intrigues et d'agissements plus écoeurants que celle qui s'est déroulée à la Chambre des Communes (Il y avait eu un grand débat aux Communes sur une motion en faveur du libre-échangisme proposée par M. Charles Villiers. Le gouvernement de Lord Derby, qui inclinait vers le protectionnisme, réussit à l'écarter en disposant un amendement qui en fait était une pétition de principe. Peu de temps après, d'ailleurs, il tombait sur le budget. Le cabinet de Lord Aberdeen prit le pouvoir.) C'est aussi peu que possible dans la manière traditionnelle des Anglais. Le fait est que la fourberie était nécessairement inscrite à l'ordre du jour du moment que les deux grands partis étaient divisés ; et je ne serais pas étonné que, pour la pousser jusqu'à la perfection, le ballottage aux élections et le vote secret aux Communes devinssent la loi.
On (Tout le monde) me tourmente pour que je participe à ce qui se passe ici (pour me déterminer à prendre part aux affaires politiques ici), légitimistes, étrangers, bref toutes les nuances (la séquelle). Je réponds que je ne peux abandonner ma fille malade, mais on ne m'approuve pas. J'espère être avec vous (vous rejoindre) au début du mois prochain. Je ne suis jamais loin de la maison sans désirer y revenir.
Dites à notre voisin ( ? Walewski) que je crois qu'il a des ennemis aux Affaires Etrangères, mais que le P[rince] est content de lui et sait quelle perfection est sa femme..."
* Flahaut (Françoise de Bernardy / Perrin / p.328 et p.371)* Le secret du coup d'Etat (Guedalla-Kerry / Emile-Paul 1928 /p.306-307)

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Veuillez dire à votre voisin que j'ai eu un très long entretien avec mon grand ami et qu'il se montre aussi raisonnable que possible. Votre voisin se ferait du tort ici s'il n'était pas extrêmement modéré dans son langage et sa conduite. On ressent une grande indignation contre les infâmes scélérats qui menacent tous les pays de la révolution et tous les souverains de l'assassinat, mais en même temps une grande confiance dans les dispositions du gouvernement anglais pour faire tout son possible afin de contrecarrer leurs sanglants desseins, et un respect et une admiration non moins profonds pour les lois et les sentiments qui ont fait de l'Angleterre l'asile de toutes les grandes infortunes politiques.
Permettez-moi à ce propos de rejeter toutes vos comparaisons comme tout à fait illogiques. Il aurait été fort injuste d'expulser quelqu'un qui vivait paisiblement en Angleterre sans jamais abuser de son hospitalité, même si l'on en avait eu le pouvoir. Je ne donc pas comment la tentative du boy Jones (Le "boy Jones" était un jeune homme pauvre d'esprit qui avait pénétré dans l'appartement de la Reine Victoria au château de Windsor en 1840.) pourrait être reprochée à une puissance continentale ou attribuée au fait qu'il y a résidé. J'espère qu'on usera d'aucun de ces arguments.
Alors que j'exprimais mes idées sur ce point à mon grand ami, je fus frappé de le voir sourire. Cependant je poursuivis, et quand j'eus fini, il me dit : "Vous m'avez vu sourire ! C'était parce que ce que vous me disiez était exactement ce que j'avais dit moi-même. Il est vraiment heureux qu'il en soit ainsi, car les autres puissances sont prêtes à une croisade contre l'Angleterre et déclarent que ce que N[apoléon] 1er essaya tant d'accomplir, son neveu pourrait le faire quelque jour."
Vous pouvez dire tout cela à Clarendon, quoique Lord Cowley le sache et le lui ait même écrit. Dites tout à votre voisin confidentiellement, dans la mesure où je suis mis en cause...
Vous pouvez dire à tout ceux qu'il vous plaira que mon grand ami est très raisonnable et pacifique et ami de l'Angleterre. Il est très important de cultiver ces bonnes dispositions.
* Le secret du coup d'Etat (Guedalla-Kerry / Emile-Paul 1928 /p.308 à 310)