Lettre d'Hortense de Beauharnais à son frère Eugène
21 février 1815, Paris
Je t'envoie, mon cher Eugène, une petite parure dont tu désires faire cadeau à Vienne ; je crois qu'elle remplira ton intention ; elle n'est pas très chère ; cependant si elle ne te convient pas, je ne l'ai prise qu'à condition.
Je n'ai rien à te dire de nouveau d'ici : mon procès m'occupe seul et ce n'est que trop pour moi ; parle de moi aux personnes qui s'y intéresseront et dis-leur que je suis sensible à leur souvenir. L'Empereur A. est fâché de mon procès, mais ce n'est pas de ma faute et tui devrais lui persuader que, quand on défend l'avenir de son anfant, on n'est pas répréhensible. Vous autres hommes, vous ne voyez que l'autorité paternelle mais, quand on a affaire à un homme un peu fou, qui trouvait même révoltant que son fils fût prince français avec deux millions de revenus, il faut disputer avec lui pour le bonheur de ses enfants. Adieu, je t'embrasse et j'attends toujours la fin de ce Congrès avec bien de l'impatience ; où seras-tu ?
Hortense
Lettre d'Hortense de Beauharnais à son frère Eugène
21 mars 1815, Paris
Mon cher Eugène, un enthousiasme dont tu n'as aucune idée ramène l'Empereur en France. Je viens de le voir. Il m'a reçue très froidement ; je pense qu'il désapprouve mon séjour ici. Il m'a dit qu'il comptait sur toi, qu'il t'avait écrit de Lyon. Mon Dieu ! pourvu que nous n'ayons pas la guerre ! Elle ne viendra pas, je l'espère, de l'empereur de Russie ; il la déplore tellement ! Ah ! Parle-lui pour la paix ! Use de ton influence près de lui ; c'est un besoin pour l'humanité. J'espère que je vais bientôt te revoir. J'ai été obligée de me cacher pendant douze jours, parce qu'on avait fait mille contes sur moi. Adieu, je suis morte de fatigue.
Hortense
Lettre d'Hortense de Beauharnais à son frère Eugène
7 mars 1815, Paris
Mon cher Eugène, je suis bien triste, je viens de perdre mon procès, je ne conçois pas les hommes. Mardi dernier ils étaient tous d'accord sur l'intérêt de l'enfant, et aujourd'hui je perds. Ils me donnent trois mois avant de m'en séparer, mais c'est une triste perspective. Dis-le, je te prie, à l'Empereur qui a bien voulu y prendre intérêt.
Je ne te parle pas d'affaires, car je ne m'en mêle guère, mais le Moniteur vient de m'apprendre une nouvelle qui va mettre notre pauvre France dans un pauvre état. Enfin il faut se résigner à tout dans cette triste vie. Adieu, je t'embrasse comme je t'aime.
Hortense
P.S. Je t'envoie un livre qui amusera l'empereur de Russie ; ce sont des bons mots qui vous feront rire et, comme je n'en ai pas envie, je ne le lis pas et vous l'envoie.
Lettre d'Hortense de Beauharnais à son frère Eugène
9 janvier 1815, Paris
Mon cher Eugène, j'arrive de chez le Roi, j'en suis enchantée. Il est impossible d'avoir été plus aimable pour moi et pour mon procès, de me montrer plus d'intérêt et, en me parlant de mon fils, il m'a dit : "Il faut qu'il tâche de ressembler à son oncle maternel." Tout cela me prouve qu'il est bien pour toi aussi et, si toutes ces affaires du Congrès ne s'arrangent pas, tu ne serais bien qu'ici et je suis sûre que tu y seras bien traité.
Quelques petits salons de Paris devraient bien se régler sur le Roi. Il est si sage et eux si exagérés que cela seul ferait des partis contre la Cour, ce qui serait bien malheureux, mais il est difficile de régler la langue des femmes ; il n'y a que celles qui ont bon coeur qui ne se trompent jamais. Adieu, je t'embrasse comme je t'aime et tu sais que c'est bien tendrement.
Hortense
Lettre d'Hortense de Beauharnais à son frère Eugène
14 août 1805 , Saint-Amand
On dit que l'Empereur va venir à Lille passer la revue des carabiniers et des cuirassiers qui y sont depuis quelques jours. Comme nous ne sommes qu'à huit lieues de Lille, j'espère que nous irons le voir ; on dit qu'il retournera peut-être bientôt à Paris, mais tu sais que bien fin est celui qui en sait quelque chose.
Le prince et la princesse Murat ont été à Boulogne pour voir le camp ; je pense qu'ils n'y resteront que quelques jours. Le général Baraguey d'Hilliers, qui a le commandement de la réserve en attendant que le Prince y aille, lui envoie un journal de tout ce qui s'y passe. J'ai prié Louis de me le donner pour te l'envoyer, dans l'idée où je suis que cela t'intéresserait.
C'est demain la fête de l'Empereur ; pour la célébrer, nous marions, à Saint-Amand, une jeune fille à un militaire ; j'espère qu'ils seront heureux ; c'est du moins un bonheur que de pouvoir en faire.
Hortense
La Comtesse d'Albany Lettres inédites de Madame de Souza (et d'autres...)(Le Portefeuille de la comtesse d'Albany : 1806-1824, par Léon-G. Pélissier)
Les annotations (en italique) sont de Léon-G. Pélissier ; Les passages [entre crochets] sont dans Saint-René Taillandier ; "Néné" est le surnom que Mme de Souza a donné à Charles de Flahaut, son fils ; les sujets concernant Charles de Flahaut sont reproduits en rouge ; l'orthographe ancienne est respectée.
lettre de Charles de Flahaut à la comtesse d'AlbanyParis, après Waterloo, 1815
Ne trouverez-vous pas Charles bien impertinent, Madame, de prendre la liberté de donner une lettre pour vous à un ancien ami de Néné, qui a bien voulu être le protecteur de son enfance en Angleterre ? M Smith, qui va en Toscane avec sa famille, a eu l'honneur de vous voir chez ma mère avant la Révolution. Mais, craignant que vous ne l'ayez tout à fait oublié et désirant vous offrir ses respects, il m'a prié de le rappeller à votre souvenir. ce que je fais, dans la confiance que m'inspire votre ancienne bonté pour moi.
Ma mère a été et est encore bien souffrante. Toutes ces dernières secousses l'ont bien tourmentée. Vous n'avez pas approuvé, Madame le parti que j'ai pris ; mais je puis vous assurer que, l'opinion mise de côté, il n'est pas un honnête homme qui puisse blâmer ma conduite. (Ceci est la vérité même.) Celui qui est revenu (Cette expression prouve que cette lettre a été écrite après Waterloo. Pendant les Cent jours, Charles de Flahaut aurait dit l'Empereur. Du reste, chargé de porter des lettres de Napoléon aux empereurs d'Autriche et de Russie et à Marie-Louise, il avait été, dès avril 1815, arrêté et retenu à Stuttgard.) m'a trouvé à Paris (Ou plus exactement sur la route de Villejuif, où Flahaut était allé attendre Napoléon en compagnie de Caulaincourt.), et, quant aux conspirations qui l'ont ramené, quelques choses que vous lisiez, n'y croyez pas. (Ceci est aussi l'exacte vérité).
Permettez-moi, Madame, de saisir cette occasion de vous offrir l'hommage de mon ancien et inaltérable attachement et de mon profond respect.
CHARLES.
Voulez-vous bien me rappeler au souvenir de M Fabre ?
La Comtesse d'Albany Lettres inédites de Madame de Souza (et d'autres...)(Le Portefeuille de la comtesse d'Albany : 1806-1824, par Léon-G. Pélissier)
Les annotations (en italique) sont de Léon-G. Pélissier ; Les passages [entre crochets] sont dans Saint-René Taillandier ; "Néné" est le surnom que Mme de Souza a donné à Charles de Flahaut, son fils ; les sujets concernant Charles de Flahaut sont reproduits en rouge ; l'orthographe ancienne est respectée.
lettre de Madame de Souza à la comtesse d'AlbanyParis, 1815
Si quelque chose avait pu me mettre en colère contre vous, ma chère amie, c'est la lettre que j'ai reçue de vous du 14. Comment vous, qui me connoissez, pouvez-vous me dire que j'ai pardonné les conquêtes, parce que je n'y voyois que de l'avancement et de l'argent pour mon fils ? Ce seroit un sentiment indigne que, grâce au ciel, je n'ai jamais senti. Et quant à l'argent, l'invasion du Portugal m'a plus ruinée que jamais. Charles ne pouvoit avoir de fortune par la guerre. Ces guerres, qui pouvoient me l'enlever et causoient tant de malheurs, m'étoient odieuses. Et j'avoue que je ne m'attendois pas trouver à cette phrase dans une lettre de vous. Elle m'a blessée, affligée et je suis sûre que vous serez fâchée de me l'avoir écrite.
Quant à votre amour de la vengeance, je ne puis croire que vous l'éprouviez si vif que vous me le dites, mais du reste je ne disputerai point sur ce sentiment ; et dans votre lettre, ma chère amie, comme dans toutes choses, je trouve fort sage aujourd'hui d'être comme cet homme qui disoit : "Je ne m'intéresses qu'à ce qui me regarde."
[Je ne disputerai ni ne discuterai même point sur la politique. On m'a calomnié, la calomnie passera. Si elle ne passe pas, moi je passerai ; et au dernier jour, ce qui importe, c'est de n'avoir jamais causé un moment de peine à personne : c'est ce que je pourrai dire à Dieu qui, du moins, voit le fond des coeurs.]
Néné n'est point avec votre ex-passion. (Hortense de Beauharnais. Mme d'Albany avait-elle assez de délicatesse pour comprendre l'amertume ironique de cet ex-passion ?) C'est encore une gentillesse du moment pour lui faire de la peine à elle comme femme. Adieu, ma chère amie, j'attendois M La Neuville pour enlever les tableaux : je ne sais pourquoi il n'est pas venu.
Je crains bien qu'il n'y aie un coin de la caisse qui n'ait été gâté par les Cosaques qui ont logé chez moi, car ils y ont un jour jettés de l'huile. Je me suis fort fâchée, mais ils n'en ont fait que rire. Ce que je puis vous assurer, c'est que j'en ai été mille fois plus fâchée que si cette caisse eût été à moi. Mais comme l'huille a été essuyée tout de suite j'espère qu'elle aura peu pénétré.
La duchesse de Devonshire est très aimable, et je l'ai vue ici avec un grand plaisir.
Adieu, ma chère amie, je vous aime et vous regrette bien sincèrement. [Quand la furie de l'esprit (S.-René Taillandier, loc. cit., p.88 a lu fièvre) de parti sera passée, j'espère que vous viendrez voir Paris. Mmes vos soeurs et vos amis le désirent bien vivement ; pour moi vous en êtes bien sûre, et mon petit dîner et la casa prendront un air de fête pour vous recevoir.]
Mille complimens à M Fabre.
CHAN 565 AP 9
Correspondance familiale
Lettres de Madame de Souza à son fils Charles de Flahaut
Dossier 2
quatorze lettres du 16 août au 30 décembre 1815.
Les pièces 2 et 3 sont adressées à Genève à Monsieur Valentin.
La pièce 17 comprend un post-scriptum d’un ami de Charles de Flahaut
" Plusieurs personnes ont reçu des passeports et l'invitation de voyager. Mme de Souza est de ce nombre, ainsi que son mari, et l'on prétend que cela s'étend à tout ce qui leur appartient "
* Madame de Souza et sa famille (baron André de Maricourt / Emile-Paul frères / p.297)
"Que diront vos politiciens si nous séparons les Prussiens des Anglais et marchons rapidement sur Bruxelles ? demanda Flahaut à son visiteur. Nous pouvons battre Blücher d'abord, et puis nous essayer sur votre Wellington. Nous ne doutons pas de la bravoure anglaise, ajouta-t-il gravement, mais 20 000 morts front pâlir Londres. Vous êtes ménagers de votre sang, encore que vous ne vous souciiez guère de celui de vos alliés (Castlereagh venait de déclarer aux Communes qu'un Britannique coûtait entre 60 et 70 livres, mais que, sur le continent, il trouvait à acheter un individu de même espèce et doué des mêmes qualités combatives pour 11 livres 2 shillings.)
* Flahaut (Françoise de Bernardy / Perrin / p.147)