" Je pense bien à marier mon fils, mais je n'ai encore aucune idée fixe ni aucune espérance fondée."
* Flahaut (Françoise de Bernardy / Perrin / p.175)* lettre intégrale (le portefeuille de Madame d'Albany, par Léon-G Pélissier)
Lettre d'Hortense de Beauharnais à son frère Eugène
10 février 1814
Je t'envoie la lettre de l'Empereur à l'Impératrice et la réponse de notre mère ; je ne comprends rien à tout cela... Au reste, la paix se fait, car on en parle beaucoup ; cela ne nous empêchera peut-être pas d'être pris à Paris mais tout cela sera décidé dans peu de jours. Ce qui prouve bien que l'Empereur ne comptait pas sur toi pour revenir en France, c'est que, d'après sa lettre, il dit ne t'avoir ordonné de quitter l'Italie que quand le roi de Naples lui déclarerait la guerre et cette guerre, à laquelle il devait bien s'attendre depuis si longtemps, je parie qu'il s'est toujours fait illusion et ne l'a pas crue possible... Il est vrai qu'il est plus pénible de voir des torts à ceux qu'on a beaucoup aimés.
Tes proclamations sont à merveille et tu ne dois jamais envier ton voisin victorieux et puissant. Tu vas te trouver dans un grand embarras. Suis ta tête, elle te fera mieux juger ce qu'il faut faire étant de près et je suis sûre que tu suivras toujours ton coeur en faisant ce qui sera le mieux pour l'Empereur et qui lui-même ne pourra jamais en douter. Comme c'est là la seule récompense que tu attends, il serait pénible de ne pas l'obtenir.
Hortense
Lettre d'Hortense de Beauharnais à son frère Eugène
16 décembre 1814, Paris
Mon cher Eugène, je n'ai rien de nouveau à t'écrire sur moi. Sans ce vilain procès et si ma fortune était fixée, je me trouverais très heureuse. Je mène la vie qui me convient : j'ai une petite société. Tous les soirs, nous faisons de la musique. Quelques Anglais ont voulu venir chez moi, mais je me fais beaucoup prier, car je ne veux pas recevoir beaucoup de monde, surtout des étrangers. S'occuper de ses enfants, se distraire avec ses petits talents et ne pas faire parler d'elle, voilà la vie d'une femme, et voilà le bonheur que j'ambitionne.
Le duc de Wellington m'a fait demander de venir me voir ; je le recevrai une fois. J'ai eu hier à dîner M. de Rivière, aide de camp de Monsieur, et Sosthène de la Rochefoucauld. Je reçois toujours avec plaisir les personnes qui sont attachées à la famille royale, car je devine bien qu'on voit, en me jugeant, quels sont mes sentiments. D'ailleurs, de tout temps, on n'a jamais parlé politique chez moi, et c'est une conversation que j'interdirai toujours ; elle est d'ailleurs fort ennuyeuse et j'ai toujours prétendu avoir assez d'esprit pour pouvoir m'en passer. Je suis sûre qu'il sera venu chez moi quelques vieux Anglais de l'opposition qui s'attendaient à voir discuter des intérêts de l'Europe ; ils auront été bien désappointés et ils m'auront trouvée bien futile de ne parler que romances ou opéras nouveaux ; mais chacun parle de ce qui l'occupe et, en vérité, sans ton sort qui ne peut m'être indifférent, toutes les forces du monde me seraient bien égales.
Nos petites affaires d'intérêt ne sont cependant pas très florissantes ; pour moi j'espère toujours, puisque le Roi l'a promis ; mais je suis en colère contre toutes ces personnes auxquelles nous faisons des pensions ; ils croient que cela leur est dû sur la succession et ne nous en ont aucune obligation; tandis que je me gêne pour pouvoir remplir ces engagements et, si cela continue, je ne pourrai plus rien faire. Je leur céderais bien ce qui me reviendrait de la succession, car je crois que ce que nous aurons de clair ne sera pas considérable, mais chacun ne pense qu'à soi. M. Dugué, outre la pension que je lui fais, se plaint et m'écrit qu'il ne peut pas vivre comme cela, que je lui donne les moyens de retourner à la Martinique ; les Tascher voudraient l'habitation ; enfin, avec tous les anciens domestiques et ceux de notre mère, il n'y a plus moyen d'y tenir et, si mon sort ne se finissait pas, je m'en irais bien loin d'ici. Mais adieu ; je babille : c'est pour tout le temps de ma paresse. Bourgalic va mieux ; il commence une nouvelle cure qui semble lui faire du bien, mais ces maladies de langueur sont terribles ; je commence à prendre le dessus de la mienne et c'est le ciel qui m'envoie toujours un peu de santé, quand mes petits enfants en ont besoin.
J'espère que les eaux me guériront tout à fait cette année si je n'ai pas de nouveau chagrin. Je t'embrasse comme je t'aime. A propos, tout le monde parle ici d'un duel entre toi et le grand duc Constantin : est-ce vrai ? Il serait assez triste de se battre encore en temps de paix. C'est cependant bien doux de ne plus trembler toujours pour la vie de ceux qu'on aime ; il faut que nous jouissions bien de cela ; ta pauvre femme était si malheureuse que seule l'inquiétude du sort n'est rien en comparaison.
Hortense
Lettre d'Hortense de Beauharnais à son frère Eugène
2 décembre 1814, Paris
On me dit qu'une occasion part pour Vienne. Comme la poste va bien lentement, j'en profite avec plaisir. Il n'y a rien de nouveau pour moi. Je ne sais quand mes affaires finiront ici ; pour mon procès, tu as beau dire, il n'y a pas de doute que je dois le gagner, puisque c'est moi qui donne un état à mon fils et que son père veut le lui faire perdre.
Pour toi, je suis bien tourmentée de voir que ce Congrès ne se finit pas, car tes affaires te forceront à venir bientôt ici ; si tu as le projet de vendre la Malmaison, tu le pourrais peut-être bientôt et, pour payer toutes nos dettes, il faut venir ici ; il faut ta présence pour arranger cela, car Soulange et ce pauvre Bourgalic n'y entendent rien ; ce dernier, même, est bien malade, et si tu devais venir bientôt, tu ne le trouverais même peut-être pas. Mais tout cela est peu de chose en comparaison de nos affaires qu'il faut enfin finir et c'est terrible, quand on n'a que des bijoux qu'on ne peut pas vendre, et qu'on a beaucoup de dettes à payer. On dit que le cher roi de Naples a placé en Angleterre 100 millions ; c'est bien heureux pour lui et le voilà à l'abri de toutes les mauvaises fortunes.
Adieu, je t'embrasse. Réponds-moi si réellement tu comptes venir pour arranger toi-même nos intérêts.
Hortense
Lettre d'Hortense de Beauharnais à son frère Eugène
20 décembre 1814, Paris
Un courrier vient me demander mes commissions pour toi ; je t'ai écrit il y a quelques jours par la poste et je n'ai pas grand'chose à te dire, si ce n'est que j'ai eu hier au soir la visite de lord Wellington qui m'a parlé de toi avec intérêt.
On m'apporte un portrait que l'on me prie de te faire passer ; le marchand l'a gardé bien longtemps, et puisque tu désires l'avoir là-bas à cause de la manière dont il est fait, je te prie d'en avoir bien soin et de me le renvoyer, étant le seul fait dans cette manière en cire. Mais adieu, le courrier part et je ne veux pas le retarder. Mes enfants vont bien, mon procès va comme le Congrès, mais cela m'arrange, car je désire autant que possible l'empêcher de commencer.
Je t'embrasse.
Hortense
Lettre d'Hortense de Beauharnais à son frère Eugène
23 février 1814, Paris
Je t'envoie une lettre que je viens de recevoir. Tascher sera sans doute arrivé et tu sais à présent à quoi t'en tenir et qu'il faut rester en Italie. C'est que les affaires étaient bien mauvaises quand on t'avait dit de revenir. A présent, notre pauvre capitale est, je crois, sauvée. Elle l'aura bien échappé.
On parle beaucoup de paix, de désunion entre les Russes et les Autrichiens, enfin nous respirons un moment ; il n'y a pas de doute que les Coalisés ne voulussent remettre un Bourbon. L'Empereur vient de regagner sa couronne et l'on assure qu'il ne demande que la paix de Francfort. Dieu veuille qu'elle arrive bientôt.
L'on rit beaucoup du roi de Naples ; où en est-il ? Nos victoires doivent bien l'étonner ; ce que c'est que de ne pas suivre sa ligne droite, on n'est jamais embarrassé ; mais ta position, toute droite qu'elle est, me tourmente bien. Cet ordre, ce contre-ordre t'auront sans doute tourmenté ; j'espère à cause de ma soeur, que tu n'auras pas quitté Milan. Donne-nous souvent de tes nouvelles, car tu sais combien nous en avons besoin. J'espère que ce pauvre Tascher n'aura pas été fait prisonnier.
Adieu, je t'embrasse tendrement.
Hortense
Lettre d'Hortense de Beauharnais à son frère Eugène
27 février 1814, Paris
Mon cher Eugène, j'ai vu toutes tes lettres et je les approuve bien ; mais ce qui me désole de tout cela c'est de voir, par une lettre que je reçois de ta femme, combien elle est affectée. Rassure-la, je t'en prie car, dans sa position et avec son coeur, on sent tout vivement, et, quand on est plus âgé, on connaît davantage l'injustice et on prend plus son parti. Le monde, au reste, te rend bien ce qu'on ne pourra pas t'ôter ; il est impossible de mieux parler de toi et, depuis tes proclamations, je suis obligée de faire continuellement la modeste pour toi. Le jour où notre mère avait reçu la lettre de l'Empereur et où elle en était si affectée, je n'ai trouvé rien de mieux pour la remonter, que de lui dire : L'Empereur fait tant de cas des personnes dont il se méfie, qu'en vérité il ne faut pas trop se tourmenter s'il méconnaît Eugène. Il l'en appréciera peut-être davantage.
Que dis-tu de ma consolation ? Tu vois que, dans mon petit particulier, je sais ce que c'est que l'injustice, et, quoiqu'on s'habitue difficilement à cela, l'expérience fait qu'on y est moins sensible.
J'approuve bien toutes précautions pour ta femme, la vie de ce qu'on aime avant tout, et j'ai parlé même à Corvisart de ses souffrances. Il trouve qu'il serait imprudent de voyager. On assure que si l'armistice a lieu, c'est la paix, car les bases seront convenues ; mais, en attendant, le duc de Raguse est aujourd'hui à Meaux avec peu de troupes, l'armée de Châlons l'a un peu battu hier à Sezanne ; elle est forte dit-on de 20 000 hommes, et l'Empereur est à Troyes ; mais je ne doute pas que Paris ne se batte plutôt que de les laisser entrer ; après toutes les horreurs qu'ils commettent, c'est, je crois, ce qu'il y aurait de mieux. Adieu, je te quitte pour aller au dîner de famille et je t'embrasse tendrement.
Hortense
P.S. Le prince de Neuchâtel a écrit à sa femme que l'Empereur ferait une paix digne de lui et que la France serait dans ses limites naturelles ; on dit que les bases doivent être la paix de Francfort.
Lettre d'Hortense de Beauharnais à son frère Eugène
3 novembre 1814, Paris
Mon cher Eugène, je n'ai pas le courage de t'écrire. Je suis si triste et il me faut tant de résignation que je crains de la perdre en parlant de ce que j'éprouve à celui qui le sentirait et le partagerait. Je n'ai plus beaucoup d'espoir. Le roi de France a été bien bon pour moi ; mais j'ai bien senti qu'il ne pouvait pas mettre son autorité contre la loi.
Je crois de mon devoir de représenter à mon mari qu'il ne donne ni patrie ni Etat à ses enfants, qu'il leur fait perdre peut-être le droit de Français en les faisant sortir de France et si, en défendant l'existence de mes enfants, je dois succomber, je n'aurai rien à me reprocher et je tâcherai de négocier avec lui pour conserver le second.
Je lui avais proposer de les envoyer passer quelque temps avec lui mais de laisser leur domicile en France ; il suit toujours son système de ne pas renoncer à la Hollande et veut ravoir son fils pour n'avoir pas l'air d'accepter un sort qui aurait un air de renonciation.
Le roi de Westphalie n'a pas voulu non plus accepter le sort fait par le traité du 11 avril.
C'est avec un espoir !... Et tout cela paraît un désintéressement superbe aux yeux du monde ! Et les pauvres enfants doivent souffrir et perdre leur avenir pour la fausse gloire de leur père !
Sous deux jours, on va m'assigner aux tribunaux et me voilà forcée de plaider pour mes enfants et, pour éviter cet éclat qui sera si désagréable, je tâcherai de négocier avec lui ; mais je ne puis que gagner du temps pour cela et perdre mon fils au bout de tout. Cela est bien pénible.
Adieu, je suis bien triste, il me faut du courage ; je vais tout faire pour éviter l'éclat, mais cela ne dépend pas de moi, puisque mon mari le veut. Adieu, j'espère au moins que tu auras tout le bonheur dont j'ai toujours manqué.
Hortense
Nous voilà retombé dans une belle oisiveté qui lui paraît délicieuse, mais que je ne voudrais pas qui durât longtemps. Ceci entre nous, et ne me répondez pas là-dessus, car s'il me demandait, par attachement pour vous, à lire votre lettre et qu'il y vît cette coupable pensée, il ne me le pardonnerait pas. Il se croit revenu de toutes les ambitions, et il croit qu'à son âge on sait ce qu'on pensera dix ans après…"
* Flahaut (Françoise de Bernardy / Perrin / p.133)* lettre intégrale (le portefeuille de Madame d'Albany, par Léon-G Pélissier)
" Il y avait quelques maréchaux, quelques savants et beaucoup de chants. Mme Ney et le général de Flahaut avaient apporté plusieurs recueils de romance à mon intention. J'en feuilletai un, tandis qu'ils chantaient Dans le camp des Danois, lorsque le général de Flahaut se précipita et me l'arracha des mains. Je pensais qu'il contenait quelque grossièreté, mais Mme de Girardin me répondit : "C'est bien pis.""
* Flahaut (Françoise de Bernardy / Perrin / p.136)