Lettre d'Hortense de Beauharnais à son frère Eugène
21 novembre 1805
Combien ton portrait m'a fait plaisir, mon cher Eugène ! Je ferai faire pour toi le portrait de mes petits-enfants, mais, n'ayant pas regardé le jour de notre fête, elle m'a surprise et ils n'ont pas été prêts. Je suis bien aise qu'on t'ait fêté : je suis sûre que c'est du fond du coeur, car tu es bien aimé en Italie.
Je ne devine pas ce que l'Empereur va faire en Allemagne, mais M. de Rémusat est venu chercher tous ses habillements du couronnement. On parle beaucoup de la paix. On parle aussi de ton mariage et puis de te faire roi d'Italie : ce ne sont pas des nouvelles de Paris, mais de M. de Talleyrand. L'Empereur lui a dit un jour en lui parlant de toi : "Comme ce jeune homme s'est formé ! A présent, il est en état de gouverner aussi bien que moi."
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Mme de Cetto est venue lundi dernier me voir. Elle m'a beaucoup parlé de la princesse Auguste, et combien elle rendrait son mari heureux, qu'elle était sûre qu'elle le serait aussi avec toi ; que, si l'Empereur en avait toujours l'idée, cela serait bientôt fait ; qu'elle m'en parlait parce qu'elle pensait que je devais le savoir. Je lui ai dit que si elle te rendait heureux, je l'aimerais de toute mon âme, que je savais qu'on en disait beaucoup de bien et que je ne pouvais pas faire un plus grand éloge de toi que d'assurer que, même n'aimant pas ta femme, tu la rendrais fort heureuse. C'est ce que je pense. Aussi, mon cher Eugène, j'ai demandé à Mme de Cetto si la jeune personne le savait. Elle m'a dit qu'elle le croyait ; que, quand M. de Cetto avait été en Bavière, il avait parlé de toi devant elle et qu'elle était devenue fort rouge. Son frère, qu'elle aime beaucoup, est enchanté de toi ; il ne fait qu'en parler. Tâche donc de te plaire dans cette idée-là, d'y penser un peu.
J'espère bien que si tu es roi d'Italie, cela ne t'empêchera pas de venir souvent à Paris, car je maudirais bien ta royauté. C'est terrible, dans notre position, de n'avoir pas un peu d'ambition ! Nous serions souvent bien heureux de choses qui nous causent du chagrin.
Adieu, mon meilleur ami, n'importe ce qui nous arrivé, nous nous aimons toujours bien et cela console.
Hortense
P.S. Je t'envoie une relation particulière du combat de Cadix.
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Lettre d'Hortense de Beauharnais à son frère Eugène
23 septembre 1805 , Paris
L'Empereur est dans ce moment au Sénat ; il part cette nuit pour Strasbourg avec l'Impératrice. Ils iront jour et nuit, et les dames rejoindront après.
Paris sera bientôt triste et, malgré toutes les promesses que j'ai de recevoir souvent des nouvelles, j'ai bien peur d'être souvent dans l'inquiétude.
Si tu fais la guerre, comme j'en suis presque sûre, j'espère que tu m'écriras. Pense combien je serai tourmentée, et quand tu ne pourras pas, charges-en M. Bataille.
Adieu, mon cher Eugène ; je vais m'habiller pour aller à Saint-Cloud.
Hortense
Lettre d'Hortense de Beauharnais à son frère Eugène
25 octobre 1805
Maman m'envoie une lettre qu'elle reçoit de l'Empereur ; il dit qu'il va battre les Russes et il finit sa lettre en disant : "Je pense que Masséna doit être à Vicence ; dès l'instant que je serai tranquille sur l'Italie, Eugène se battra." Je suis sûre que tu seras bien heureux de cela, et moi je commence à trembler. Moi qui ne connaît personne à l'armée d'Italie, je ne m'occupais que de celle du Rhin, mais, à présent, comme je vais être partagée, et que je serai inquiète si tu ne me donnes pas souvent de tes nouvelles ! Je me repose sur M. Bataille pour le faire, les jours où tu ne le pourras pas.
Comme les succès de l'armée du Rhin sont inconcevables et comme on est fière d'appartenir à l'Empereur ! Hier au soir, il y a eu une petite dispute entre Louis et Mme Murat. Louis soutenait que, dans cette campagne, tout était dû au génie de l'Empereur et que personne n'avait rien fait. Tout cela est possible mais c'était inutile à dire. Mme Murat s'est un peu fâchée et a dit : "Comment ? Vous dites à des personnes qui se fatiguent et qui courent risque d'être tuées qu'elles n'ont rien fait ..." Heureusement j'étais là et j'ai ramené la paix. J'ai grondé Louis après ; je lui ai dit que c'était mal, qu'il ne fallait jamais humilier l'amour-propre de personne. Il m'a répondu qu'elle en avait trop et qu'à l'entendre, on croirait que Murat avait tout fait, tandis qu'il ne faisait jamais que ce que l'Empereur disait. Je lui ai répondu que c'était toujours un mérite et notre dispute en est restée là. Je pense cependant que Murat le saura et que ce sera lui qui sera le plus piqué.
L'Impératrice reste, à ce qu'il paraît, tout l'hiver à Strasbourg ; les quatre dames qui ont été avec elle sont Mmes de Ségur, de Talhouet, de Turenne, et Mme Lavalette. Mme Ney a été la rejoindre il y a six jours. Mme de Lauriston est partie avec son mari il y a deux jours : elle restera à Strasbourg et lui va rejoindre l'Empereur. Mme Lannes est partie hier. Tu vois qu'il y a beaucoup de dames auprès de l'Impératrice : elles sont plus près des nouvelles et je conçois que ce soit un bonheur.
Adieu, mon cher Eugène, je t'embrasse. Mande-moi de suite les nouvelles que tu auras de l'Empereur ; je désire que tu sois content et, cependant, je tremble.
Hortense
P.S. Je pense que l'Empereur ne veut pas que des revers passent sur ton compte et qu'il veut être sûr des succès de l'armée d'Italie, ou bien, sachant ce pays tranquille, il te fera venir près de lui.
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Lettre d'Hortense de Beauharnais à son frère Eugène
26 août 1805 , Saint-Amand
J'arrive de faire un bien joli voyage, mon cher Eugène ; je suis un peu fatiguée, mais demain, je t'enverrai un petit journal. En arrivant, j'ai trouvé des lettres de toi. Tu as tort de t'affecter de ne pas recevoir de lettres de maman : dans tout son voyage d'Italie, je n'en ai reçu qu'une petite ; personne n'est paresseuse comme elle ; si tu savais qu'elle ne peut pas encore parler de toi sans pleurer, tu lui pardonnerais sa paresse. J'ai eu bien du plaisir à voir ton aide de camp, et en même temps, du chagrin de revoir toutes les personnes avec lesquelles tu étais habituellement et de ne plus te retouver parmi elles. Je dois rendre justice à tous tes anciens camarades qu'ils m'ont beaucoup parlé de toi, qu'ils ont l'air de te regretter beaucoup. Clarke m'a dit qu'il recevait souvent des nouvelles d'Italie et qu'on disait beaucoup de bien de toi. Savary m'a dit qu'il n'osait pas t'écrire et te donner des nouvelles, de peur que l'on ouvrît les lettres, mais je t'assure que tous t'aiment toujours bien. J'aurais trop de choses à te dire s'il fallait te répéter tout ce que tout le monde m'a dit de toi et toutes les personnes qui m'en ont parlé : plusieurs m'ont dit qu'ils t'avaient écrit, mais que tu ne leur avais pas répondu.
Adieu, je t'embrasse bien tendrement. A demain. Louis me charge de te dire bien des choses.
Napoléon a été bien gentil et n'est pas du tout fatigué du voyage.
J'avais écrit à l'Empereur pour le jour de sa fête, et c'est en me répondant qu'il m'engagea à venir passer quelques jours avec lui, ainsi que Napoléon. Ce voyage m'a fait du bien. Il n'y a rien de tel que la liberté.
Hortense
Lettre d'Hortense de Beauharnais à son frère Eugène
27 août 1805 , Saint-Amand
Je t'ai promis le journal de mon petit voyage, et, quoique je sois un peu fatiguée, je m'empresse de te le donner.
Je suis partie de Saint-Amand le vendredi 28 thermidor (16 août 1805) , jour de la fête de l'Empereur. La veille, nous avions fait notre fête en mariant une jeune fille à Saint-Amand, et en ayant un petit feu d'artifice le soir. Le vendredi donc, nous partîmes à cinq heures du matin : j'avais avec moi Adèle, Mlle de Mornay, Mlle de Cochelet, M. d'Arjuzon, et toujours Napoléon.
On dit qu'il ne faut pas se mettre en route le vendredi et je pourrais croire qu'on a raison, car nous avons eu plusieurs malheurs ; le plus grand a été de nous tromper de route, car je désirais aller coucher à Montreuil, et, tous mes domestiques s'étant mis dans la tête que j'allais droit à Boulogne, me menèrent à Saint-Omer. Ce n'était pas trop mon chemin de retourner à Montreuil, mais, comme Mme Ney m'attendait, je me décide à faire douze lieues de plus. Je n'arrivai chez Mme Ney qu'à quatre heures du matin : elle m'attendait ; les aides de camp de son mari étaient venus au-devant de moi. Elle est très bien logée dans un petit château, près de Montreuil. La seconde voiture où était la nourrice n'étant pas arrivée, je couchai Napoléon près de moi ; il avait si bien dormi dans la voiture qu'il ne demandait qu'à jouer ; je passai donc la nuit blanche et je partis pour Boulogne à onze heures. J'arrivai chez Mme Murat qui a un petit château tout près de Pont-de-Briques ; c'est très petit, mais nous nous arrangeâmes ; nous étions deux ou trois dans une même chambre. J'allai tout de suite chez l'Empereur qui me reçut à merveille. J'eus le plaisir d'y voir ton aide de camp et de parler de toi. Je comptais t'écrire par lui, mais, vraiment, je n'en ai pas eu le temps. Je dînai chez l'Empereur avec Napoléon, le prince Joseph, le prince et la princesse Murat. Après le dîner, je fis quelques parties d'échecs avec l'Empereur : j'étais si fatiguée que je m'endormis en jouant ; il s'en aperçut et me renvoya me coucher. Il mit à ma disposition une voiture à six chevaux pour tout le temps que je serais à Boulogne, et il donna l'ordre au général Defrance de m'accompagner partout à cheval.
Le dimanche matin, je vins avec la princesse Murat dire bonjour à l'Empereur, et, de là, nous allâmes ensemble voir Boulogne. Le maréchal Soult, le général Andreossy, l'amiral La Crosse, vinrent à cheval nous escorter jusqu'au camp de gauche ; nous passâmes toute la ligne en revue ; je descendis dans la baraque du prince Joseph pour déjeuner ; il me mena, après, voir plusieurs baraques de soldats ; de là, pour aller à la Tour d'Ordre et voir le camp de droite. Mme Murat, qui était un peu fatiguée, me quitta là ; je visitai de même tout le camp. Le général Saint-Hilaire et plusieurs colonels vinrent de même à ma voiture jusqu'à Wimereux. Je fis le tour du port ; je descendis dans un paquebot. Partout, les matelots criaient : "Vive l'Empereur !" Mes chevaux étaient bien fatigués : je m'arrêtai dans la baraque des officiers de marine. Napoléon demanda à manger, et tous ces messieurs s'empressèrent de nous apporter leur dîner, entre autre un gigot de mouton qui était excellent ; tu sens bien qu'il fallût y goûter ; Napoléon était vraiment bien gentil et leur distribuait à tous des petits gâteaux ; on but à notre santé, et nous partîmes pour rejoindre l'Empereur qui allait passer la revue des grenadiers près de là ; en arrivant à la manoeuvre, l'Empereur me fit descendre ; il donna la main à Napoléon et nous fit courir, ne s'occupant plus que de ses manoeuvres. Il ordonna les feux. Nous étions juste devant la ligne : il me demanda si j'avais peur ; mais je lui répondis qu'avec lui, personne ne devait avoir peur. Napoléon était charmé ; il criait ; "Feu, tous ensemble." En sortant de là, il dit : "Mon Dieu, que je voudrais que Tété (le prince Eugène) ait vu cela ; comme c'est beau la guerre !" Je rentrai vite de la manoeuvre pour m'habiller et aller dîner chez l'Empereur ; nous fîmes encore une partie d'échecs, ce qui ne m'amuse pas beaucoup, et je retournai à dix heures me coucher.
Mme Ney était venue avec moi à Boulogne : elle logeait avec Mme Lambert et elle m'accompagnait partout.
Le lundi, il fit un temps affreux, ce qui m'empêcha d'aller sur mer comme j'en avais le projet. J'allai toujours dîner chez l'Empereur et, après le dîner, il envoya chercher Adèle et Mme Ney. Elles firent une partie de whist et moi toujours ma malheureuse partie d'échecs ; j'avais engagé l'Empereur à les faire venir, car je désirais bien que le général Bertrand vit Adèle. On en dit beaucoup de bien ; je voudrais bien que l'Empereur fît ce mariage-là ; il ne la trouve pas assez riche pour lui, mais, malgré cela, j'espère l'emporter.
Le mardi, Mme Ney partit de bonne heure pour me préparer une petite fête qu'elle voulait me donner le soir. Moi, je fus tout droit à Etaples : je vis le port, la baraque de l'Empereur et une manoeuvre charmante que le maréchal Ney fit pour moi. Je restai longtemps à pied, ce qui me fatigua un peu, mais cela ne m'empêcha pas de danser le soir chez Mme Ney : la salle de bal était fort jolie, toute arrangée en fleurs avec mon chiffre. Je vis le général Dutaillis qui est fort amoureux d'Adèle, mais le maréchal Ney ne veut pas en entendre parler. Aussi, ai-je été obligée de lui dire qu'elle était promise. Le bal dura jusqu'à quatre heures ; je devais partir pour retourner à Saint-Amand, mais l'Empereur m'avait engagée à rester quelques jours de plus, espérant que le vent changerait et que je pourrais voir la flotille dehors, ce qui est très beau, mais le vent a toujours été contraire à mes voeux et je suis partie sans voir un petit combat ; ce n'est pas bien gai ; aussi ne le regretterai-je pas beaucoup.
La nuit que j'étais au bal, l'Empereur a embarqué toute l'armée ; ils croyaient tous partir : on dit que cela se fait en fort peu de temps.
En retournant, le mercredi matin, sur toute la route, on nous disait :"L'Empereur est parti, toute l'armée est embarquée." Tu juges de notre impatience d'être à Boulogne. Le général Defrance croyait ne pas arriver assez tôt pour être de l'expédition. On dit que toute la nuit l'Empereur courait sur toute la flotille et voyait lui-même si tous les soldats avaient leur place. En arrivant, tout était déjà dans l'ordre accoutumé, je fus cependant sur-le-champ à Boulogne pour voir encore un peu le remue-ménage. Les chevaux seuls étaient restés embarqués.
Je désirais faire une petite course sur mer, mais les marins s'y sont opposés ; je fus remise au lendemain à la marée qui était à huit heures ; je fus exacte et j'allai dans la chaloupe de l'amiral jusqu'au Wimereux ; le maréchal Soult nous suivait dans la sienne : la mer était fort grosse ; le général Defrance et M. D'Arjuzon étaient dans un état terrible. J'ai été bien méchante, car j'en ai bien ri. Je suis revenue déjeuner à la Tour d'Ordre et dîner toujours chez l'Empereur. Nous avons eu encore un jour de pluie et le samedi, jour de mon départ, je fus le matin dire adieu à l'Empereur. Je m'embarquai sur le vaisseau amiral : je fis à peu près trois lieues sur mer jusqu'à Ambleteuse, le maréchal Davout, ainsi que l'amiral batave, vinrent me prendre dans une chaloupe charmante. Je traversai toute la flotille au son de la musique et des cris de "Hourra !" Le maréchal Davout me donna un fort beau déjeuner sous une tente avec tous les généraux et les colonels de son armée : j'étais entre lui et l'amiral dont tout le monde fait l'éloge, surtout depuis son dernier combat avec les Anglais, lors de son passage avec le maréchal Davout. Pendant le déjeuner, on a chanté des couplets et des rondes et les grenadiers répétaient le refrain ; ils m'ont tous escortée pendant longtemps.
Je me suis arrêtée à Calais pour voir le port et recevoir, dans la fameuse auberge, tous les colonels de dragons ; j'ai été ensuite coucher à Dunkerque.
Le lendemain, j'ai reçu, à six heures du matin, des visites de corps ; j'ai été visiter le camp où il n'y a plus beaucoup de troupes ; j'ai vu le port et une frégate que l'on nomme la Milanaise et qui sera bientôt lancée.
J'ai vu ce bon M. Emmery et je suis repartie en passant par Cassel, d'où l'on découvre tant de villes de guerre. Je ne me suis pas arrêtée à Lille et je suis arrivée à onze heures du soir à Saint-Amand, très fatiguée comme tu peux bien le penser, mais bien contente de mon joli voyage.
On a cherché à me plaire partout, ca on m'a beaucoup parlé de toi. Adieu, mon cher Eugène, mon meilleur ami, aime-moi toujours bien.
Hortense
P.S. M. de Flahaut et Lagrange ont été bien aimables pour toi ; j'ai eu du plaisir à en parler ; ce sont les seuls qui m'entendaient, car, comme ils sont encore jeunes, ils ne connaissent pas l'ambition, et, comme moi, ne voyaient que du triste dans ta position.
Lettre d'Hortense de Beauharnais à son frère Eugène
28 juillet 1805 , Saint-Amand
Oui, mon cher Eugène, je veux te donner du courage, mais ne crains pas de m'affliger en me parlant de tes peines : je sens que tu as besoin de t'épancher avec quelqu'un, et je serais bien fâchée que ta crainte de me causer du chagrin t'empêche de me causer à coeur ouvert. Moi-même, quand je te parle de moi, c'est une consolation de penser que tu partages mes chagrins comme moi-même.
Corvisart est ici ; il m'a dit que l'Impératrice partait ces jours-ci pour Plombières ; comme Eglé ne va pas avec elle, elle va venir me voir en retournant à Montreuil. Ne crois pas que les absents aient toujours tort : l'absence des personnes qui nous intéressent, en nous attristant, nous donne le besoin d'y penser plus souvent.
Tu sais que Louis commande l'armée de réserve. Le général Nansouty, qui commande une division de carabiniers et de cuirassiers sous ses ordres, est arrivé à Valenciennes, à ce qu'il paraît ; le quartier général sera dans les environs ; on parle beaucoup de guerre mais avec tout le monde, ce qui serait bien triste. Je te parle de tout cela, car je sais que c'est ton endroit sensible, et je te vois déjà faire de beaux châteaux en Espagne qui, peut-être, t'égaieront un instant.
Mme de Boubers, que j'avais laissée à Saint-Leu avec mon petit garçon et qui est avec lui à Saint-Cloud, est dans ce moment bien heureuse : l'Empereur approuve le mariage de sa fille avec le frère de Lauriston et même fait quelque chose pour eux. Elle m'écrit souvent et me dit que maman est toujours bien triste d'être séparée de nous deux et, sans mon petit garçon qui la distrait, elle serait bien isolée parmi tant de monde.
Adieu, mon cher Eugène, je t'embrasse bien tendrement.
Hortense
Lettre d'Hortense de Beauharnais à son frère Eugène
3 décembre 1805
Quel bonheur, mon cher Eugène : la paix . J'espère du moins que ce sera pour tout de bon et pour longtemps.
Viens-tu à Paris ? Vas-tu à Munich ? Mon Dieu, je voudrais être plus vieille d'un mois. On parle beaucoup de ton mariage et tout le monde s'en réjouit.
La famille de M. de Berchiny est fort inquiète de lui : il est dans l'armée du prince Charles ; tu serais bien aimable de t'en informer et de m'en donner des nouvelles. Tu te souviens sans doute de lui : étant petits, nous jouions ensemble ; il était au collège avec toi.
Adieu, je t'embrasse.
Hortense
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Lettre d'Hortense de Beauharnais à son frère Eugène
30 août 1805 , Saint-Amand
Toute la division du général Nansouty, qui était à Lille, vient de partir pour aller sur le Rhin ; tous les dragons quittent aussi les côtes et la division de grenadiers commandée par le général Oudinot a aussi ordre de marcher. Tu vois que ce sont de grands motifs de croire à la guerre continentale. Le maréchal Duroc est parti incognito de Boulogne, pour aller je ne sais où, mais il est passé par Bruxelles ; voilà toutes mes nouvelles.
J'avais oublié de te dire, dans ma dernière lettre, que j'avais parlé de toi avec l'Empereur ; je lui ai dit combien tu désirais ce qui lui serait agréable et que, si tu ne remplissait pas exactement ses vues, il n'y aurait jamais de ta faute ; que tu étais bien triste d'être séparé de lui ; que je désirerais bien que tu fusses marié. Il m'a répondu à cela qu'il faudrait trouver une petite Parisienne. Je t'avoue que cela m'a étonné beaucoup, mais j'ai pensé que, peut-être, il ne se souvenait plus qu'il m'avait parlé autrement cet hiver et qu'il ne voulait pas me faire part de ses projets.
Du reste, il a été fort bon pour moi ; il a beaucoup caressé Napoléon. Un jour, devant Murat et sa femme, il nous dit : "Ce pauvre enfant, je le plains ; il serait bien plus heureux s'il avait trois cent mille livres de rentes et qu'il puisse jouir de sa liberté que de gouverner un grand pays ; c'est une chose bien triste." Tu sais que je n'aime pas beaucoup que l'Empereur prédise l'avenir à ce pauvre petit. Qui sait ce qu'il deviendra ? Et, en attendant, c'est lui faire des jaloux et des ennemis. Adieu, mon cher Eugène, je t'embrasse comme je t'aime.
Hortense
P.S. Il faut absolument que tu me fasses un plaisir : ce pauvre M. Beaufond et sa petite femme ne demandent qu'à être ensemble et à avoir de quoi vivre ; tu pourrais peut-être les fourrer quelque part, soit concierge dans un château. Tâche, je te prie, de les rendre heureux, car il faut bien peu de choses pour cela. J'ai parlé à l'Empereur de la croix de la Légion pour M. Bataille ; je ne sais ce qu'il fera.
Lettre d'Hortense de Beauharnais à son frère Eugène
30 décembre 1805
Il faut avouer que je suis bien malheureuse ; je vais fâcher tout le monde et cependant je serai toujours la plus triste. L'Empereur écrit, du 15, à Louis ; il lui mande de me faire partir sur-le-champ, avec Napoléon, pour Munich.
Cette invitation met Louis au désespoir : c'est un homme perdu, déshonoré si sa femme part sans lui ; aller retrouver sa mère, son beau-père, et peut-être son frère, tout cela n'est rien pour lui. Moi, toujours habituée aux sacrifices pour avoir tout au plus, la paix, je cède, mais je vois qu'il me reviendra de tout cela beaucoup d'ennuis, beaucoup de chagrin si tu y vas, du côté de l'Empereur de la gronde sur ma faiblesse et, du côté de mon mari, pas plus de bonheur qu'à l'ordinaire. Je reste donc avec la consolation qu'il n'y a que moi qui souffre et que, si l'on me fait du chagrin, je n'en fais du moins à personne.
Si, cependant, ton mariage, dont on parle beaucoup, se faisait à Munich, je me révolterais peut-être bien un peu et je t'engage bien à passer par Paris, car nous irions ensemble jour et nuit ; on n'aurait plus à m'alléguer que je suis seule, car c'est la seule excuse qu'on puisse me donner.
Adieu, mon cher Eugène ; si l'on te demande, n'oublie pas de passer par Paris ; ne crains pas que je te regarde, tu sais que je ne suis pas petite maîtresse.
Malgré mon chagrin, j'ai été bien sensible au souvenir de l'Empereur.
Hortense
P.S. De toute manière, je n'emmènerai pas Napoléon ; il fait trop froid, ce serait lui faire du mal.
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Lettre d'Hortense de Beauharnais à son frère Eugène
5 décembre 1805
Moi qui me réjouissait de la paix, mon cher Eugène, et tu vas peut-être te battre ! On parle beaucoup à Paris du débarquement de Naples. Lavalette n'avait pas voulu m'en parler, de peur de m'inquiéter, mais il avait tort ; est-ce que je n'ai pas de courage ? Quand mes fils seront grands et qu'ils iront se battre, je pleurerai en les quittant, mais je ne ferai pas un pas pour les retenir. Dis à Lavalette qu'il ne me cache plus rien de ce que tu lui écris, car je serais bien plus inquiète si, me croyant plus faible que je ne le suis, tu crains de me donner de l'inquiétude. J'ai bien dans l'idée que l'Empereur ira en Italie ; tu serais bien heureux de te battre sous ses yeux et je t'assure que je n'en serais pas fâchée non plus.
Adieu, je t'embrasse. J'ai toujours recours à M. Bataille pour me donner de tes nouvelles, quand tu n'en auras pas le temps.
J'ai vu avec plaisir combien tu es aimé, tout le monde prend bien de l'intérêt à ton mariage.
Hortense
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