" … Quelle affreuse barbarie! Je l'ai vu encore à cinq heures cet ami si cher. On a dû m'arracher de ses bras... Quel calme avait sa physionomie ! Pas une plainte contre ses assassins ! Ah ! du moins, que l'on rende hommage à sa mémoire, qu'on la disculpe des accusations fausses que l'on a portées contre lui ! Ne serait-il pas possible, Madame, et n'auriez-vous pas les moyens de faire rédiger un article en sa faveur à mettre dans les journaux ? C'est un assassinat épouvantable. On devrait mettre de l'intérêt à ne pas laisser passer sous silence un semblable jugement el à prouver qu'il n'était pas coupable des fautes qu'on lui imputait, puisque la déclaration du Roi, datée de Cambrai, le mettait hors de la liste. Si un parti trop acharné ou des ennemis particuliers n'avaient de l'intérêt à cette exécution et ne l'avaient pressée d'une manière qui devait le disculper aux yeux de tous, il aurait dû être mis en liberté après sa défense au Conseil de guerre. Vous qui le con naissez, Madame, ne serait-il pas possible de diriger la rédaction de quelques phrases bien simples, bien impartiales sur tout le cours de cette procédure, de montrer les défectuosités et l'injustice du traitement qu'on lui a fait jusqu'au dernier moment (puisque, contre toutes les règles, il a été toujours au secret) et de parler de ses derniers moments si admirables, si héroïques. Il avait bien le calme de sa conscience. Il m'a chargée de remettre à Monsieur votre fils l'anneau qui tient les breloques de sa montre, comme gage de son amitié. Je le garderai jusqu'à ce que je puisse le lui remettre à lui-même, ou le fasse parvenir sûrement. Il regrettera cet ami de son enfance qui, jusqu'à son dernier soupir, n'a cessé de penser à lui, car il a voulu garder ce qu'il avait de lui jusqu'après le coup fatal. Il nous a écrit à toutes des lettres admirables, c'est-à-dire à sa mère, à la mienne et à moi, et son testament.
"Ah! Madame! quel ami j'ai perdu ! que de bonheur m'est enlevé ! Ma vie est un véritable martyre. Je vous remercie mille fois de votre petit billet. Je n'ai pas eu le courage d'y répondre... Tout est douleur pour moi... Je vous prie de témoigner toute ma reconnaissance à Mme de La Valette. Les deux personnes marquantes en qui nous avions confiance, vous et moi, Madame, ont été, je crois, les plus cruelles. " (Le nom et le rôle de ces deux personnes mystérieuses, auxquelles Mme de Souza fait également allusion dans sa réponse, sont demeurés jusqu'à présent inconnus, malgré les recherches faites, depuis, à cet égard par la famille de La Bédoyère. Il semble bien que se soit à elles que Mlle Gabrielle de Chastellux ait fait allusion dans une relation inédite demeurée dans les archives de la famille de Chastellux, intitulée : Récit du mois le plus douloureux de notre vie. Cette émouvante relation, dans laquelle aucun nom propre n'est cité dans son entier, concerne, semble-t-il de l'avis même de la famille de La Bédoyère, une autre tentative d'évasion tentée à la Conciergerie et, par conséquent, antérieure à Celle de l'Abbaye. Mme de Souza y fut peut-être mêlée, mais il n'a pas encore été possible de démêler l'imbroglio de cette intrigue demeurée fort obscure. / note du baron André de Maricourt)
* Madame de Souza et sa famille (baron André de Maricourt / Emile-Paul frères / p.298-299)