J'ai reçu, Madame, la lettre qu'il vous a plu m'écrire (sic). S'il ne falloit pas me servir d'expressions tant de fois prodiguées, je vous renouvellerai l'assurance de mes sentiments, mais vous me permettrez de me taire. Il me siérait mal de croire que vous doutez de toute ma reconnaissance ; après m'avoir enorgueilli par votre amitié et votre estime, vous ne voudriez pas m'ôter l'idée que j'en suis désormais digne.
Votre dragon est officier depuis un mois. Lorsqu'il s'y attendait le moins je l'ai fait recevoir par le chef d'escadron qu'il redoutoit tant. Je l'ai fait passer dans une compagnie dont le capitaine est très sévère, mais mon intention n'a nullement été remplie ; au lieu de maîtriser le novice, c'est celui-ci qui s'est emparé de l'esprit du capitaine ! Je ne le vois pas votre dragon plus souvent qu'un autre officier. Quand il a tort je le gronde et le punis comme un autre. J'ai été traité ainsi à son âge et je crois que cela lui est aussi nécessaire, qu'il es impossible que je fasse autrement. Mais soyez tranquille en outre que je compte avec raison le soin de veiller sur les hommes confiés à mon intelligence comme mon premier et plus sacré devoir. Je n'oublierai ni la surveillance que je dois exercer sur mon jeune ami, ni ce que je dois à votre fils. Madame, je ne puis lui servir de mentor, mais je puis veiller à ce qu'il s'accoutume graduellement et sans trop de peine réelle à son métier, si dur pour les hommes faits et surtout pour les enfants gâtés comme lui. Je vous supplie de vous rappeller que tout ceci me regarde et que c'est doublement mon devoir. Pour de l'argent vous lui en donnez trop. Permettez-moi de vous dire que ce que vous faites pour lui peut exactement se comparer à ce que font de vieilles nourrices qui, lorsque les enfants sont malades, leur donnent beaucoup de dragées, qui sont tôt ou tard la cause d'une maladie. Puis j'ajouterai que jeune et enfant comme il est, ayant à camardiser à d'anciens militaires, pour la plupart cicatrisés, il n'est pas bien qu'il s'élève trop au-dessus d'eux par des moyens pécuniaires.
Le jeune Meulan a de l'esprit, des moyens, mais il a le tort de se croire fait pour être officier d'armée, et il auroit dû cacher cela aux yeux surtout de ses camarades, qui ne peuvent voir en lui qu'une recrue - permettez-moi ce mot de caserne. Il est en effet très nouveau au service, il n'a point fait la guerre, il ne monte pas bien à cheval, il se tient très mal sous les armes, mais de manière à être remarqué par le général à chaque revue. Il n'a point de fermeté, et puis plus que tout cela, il fait fi de ses camarades. Il est toujours avec les officiers, il vit avec eux, ce qui est contraire à la discipline militaire, et m'a obligé à le tancer à l'ordre ; sans cela les autres sous-officiers auroient fait comme lui et il n'y auroit plus de subordination - en effet pourquoi les autres sous-officiers ne feroient-ils pas ce que fait un d'eux ? Je ne puis le souffrir, sans trahir mon devoir et me faire haïr avec raison de tout le monde. J'ai fait mettre à l'ordre du régiment que " celui qui vouloit s'élever au-dessus de ses camarades, au lieu de prouver qu'il étoit fait pour des grades supérieurs, prouvait qu'il n'étoit pas digne de celui qu'il avoit ", et cela à propos de lui. Il devoit se rappeller que votre fils a été un an dragon et qu'il a eu le bon esprit de se mettre à leur niveau. Mais M. Meulan se rangera. Il apprendra son métier ou quittera le régiment, et au retour de Portugal ce sera un bon officier ; pour cela il faut qu'il travaille. Mes promesses, quand elles ne sont pas officielles, n'obligent à l'exécution que Louis Bonaparte, mais il faut que le commandeur d'un régiment fasse son devoir aussi strictement que qui que ce soit. Les préférences trop marquées au lieu de faire…
Flahaut (Françoise de Bernardy / Perrin / p.39-40)
Morny, un voluptueux au pouvoir (Rouart / Gallimard / p.34-35)
The First Napoleon / Some unpublished documents from the Bowood papers / The Earl of Kerry / p. 327 à 329
Hortense, reine de l'Empire (Constance Wright / Arthaud / p. 81)