Mon cher L.
Je partage entièrement votre manière de voir sur les inconvénients et les dangers qui résulteraient de la continuation du système adopté par la Commission pour la publication de la Correspondance de l'Empereur.
Parmi les premiers je place le principe qui paraît prévaloir d'imprimer même les lettres ou pièces les plus insignifiantes, du moment où l'on peut tracer leur origine comme venant de l'Empereur ou de son cabinet. Si nous continuons ainsi il en résultera que nous publierons un ouvrage interminable et terriblement ennuyeux, dont personne ne voudra, et qui ne se trouvera que dans les bibliothèques publiques auxquelles l'Empereur en aura fait présent. Je n'ai pas reçu une épreuve dans laquelle je n'eusse désiré supprimer bon nombre de lettres, tout en en conservant assez pour prouver qu'aucun détail n'échappait à l'infatigable attention du grand homme.
J'arrive maintenant aux dangers qui découleraient des pièces semblables à celle (10,060) que vous m'avez envoyée, et je n'hésite pas à dire que sa publication ferait un grand tort à la mémoire de celui à qui l'Empereur s'est proposé d'élever un monument ; car une politique semblable justifierait celle adoptée contre lui en 1814 et 15, alors et depuis si généralement blâmée par tous les hommes honnêtes et impartiaux. Je n'ai point reçu la pièce 10,138, et ne puis par conséquent exprimer aucune opinion.
Quel but s'est proposé l'Empereur Napoléon III en ordonnant cette publication, et en instituant cette Commission ? A-t-il entendu que l'on imprimerait aveuglément tout ce qui serait sorti du cabinet de son oncle ? ce serait la première fois que l'héritier et le successeur d'un grand homme aurait voulu une telle chose. Aussi n'est-il pas évident que ce n'est pas là son intention ? - mais qu'il a cru que la commission, composée d'hommes éclairés et dévoués à la gloire impériale - ne donnerait pas de publicité à des pièces qui n'y étaient pas destinées et qui avaient été écrites ou dictées dans des moments ou des circonstances où le génie le plus puissant, le plus fort, et le plus élevé, n'est pas toujours maître de lui-même.
En ce qui touche au mérite de l'ouvrage et aux intérêts de l'Empereur Napoléon III et de la France dans la publication de la Correspondance de Napoléon Ier, je ne prétends à exercer d'autre influence que celle qui appartient à tous mes collègues, certain que ces intérêts leur sont aussi chers qu'à moi-même. Mais sa Majesté l'Empereur ayant été consultée et ayant déclaré que la commission était souveraine, je crois devoir lui dire qu'ayant eu l'honneur d'être aide de Camp de l'Empereur Napoléon Ier, et pénétré d'un profond respect pour sa mémoire, s'il arrivait qu'elle autorisât l'impression d'une pièce confidentielle - écrite dans un moment d'irritation et qui n'était pas destinée à devenir publique et qui fut de nature à porter atteinte à la considération du grand homme duquel elle serait émanée - quel qu'honneur que ce soit de compter dans ses rangs, je me croirais obligé de prier l'Empereur de me permettre de ne plus m'en faire partie.
Vous connaissez, mon cher Léon ( ?), tous les sentimens que je vous ai voués.
The First Napoleon / Some unpublished documents from the Bowood papers / The Earl of Kerry / p. 333-334