" A la condition de l'abandon par notre commissaire de l'affaire Jecker dont Lord Russell a la plus mauvaise opinion et de la nomination d'une commission nommée par vous et appelée plus tard à fixer le chiffre de nos réclamations, il s'engage à recommander à Sir Charles Wyke de s'entendre avec son collègue…"
L'Ambassadeur de France à Londres (Flahault)
au ministre des Affaires étrangères.
Londres le 11 mars 1862
Monsieur le Ministre, j'ai vu hier le Principal Secrétaire d'Etat et mon entretien avec lui a été presque exclusivement consacré à la situation qu'a créée le grave dissentiment survenu entre les commissaires des Puissances alliées au Mexique. Il importe trop au succès de notre expédition que l'entente se rétablisse au plus tôt, pour que je ne me sois pas tout d'abord efforcé de vider la question du différend entre M. Dubois de Saligny et Sir Ch. Wyke à propos de l'ultimatum rédigé par le premier. J'ai donc fait connaître immédiatement au Principal Secrétaire d'Etat l'approbation que le Gouvernement de l'Empereur donnait à la conduite de son commissaire. M'inspirant de la dépêche de Votre Excellence du 7 mars, dont j'ai cru pouvoir lire plusieurs passages, j'ai amené lord Russell à reconnaître que le commissaire de Sa Majesté Britannique avait méconnu l'esprit de la convention signée à Londres, lorsqu'il avait refusé son assentiment au projet d'ultimatum de la France. Comme nous, lord Russell n'admet point, en effet, que les demandes formulées par un des représentants des Puissances alliées doivent avoir au préalable l'assentiment des deux autres ; il pense toutefois qu'en vertu de la solidarité qui lie leurs Gouvernements dans une action commune, et de la garantie réciproque qu'ils se prêtent, chacun des commissaires a le droit de faire des observations et de dire son opinion sur l'ultimatum de ses collègues. Le Principal Secrétaire d'Etat s'associe, pour sa part, à celle qu'a exprimée sir Ch. Wyke à propos des clauses de l'ultimatum présenté par M. Dubois de Saligny. Notre demande de douze millions de piastres lui semble exagérée : la clause qui exige l'exécution du contrat fait avec la maison Jecker lui paraît motiver aussi les plus sérieuses objections ; il m'a dit qu'à ses yeux ce n'était pas un de ces engagements qui méritaient une protection telle qu'il fallût en poser l'exécution comme une des conditions d'un ultimatum.
Je ne connaissais point suffisamment le contrat dont il s'agit, Monsieur le Ministre, pour pouvoir entrer, sur ce point, dans une discussion approfondie ; je me suis borné à répondre que Votre Excellence avait laissé M. Dubois de Saligny libre de modifier ses exigences et que ce dernier aurait consenti à laisser l'affaire Jecker parmi les questions réservées, si sir CH. Wyke avait voulu donner son assentiment aux autres conditions contenues dans l'ultimatum français et notamment à la première. Quant à l'exagération prétendue de la somme dont nous avions ficé le chiffre, j'ai maintenu le droit qu'avait eu le plénipotentiaire français de comprendre toute sa demande, non-seulement les créances qui avaient fait précédemment l'objet de conventions avec le Gouvernement mexicain ; mais encore celles qui n'avaient pas été reconnues par ce dernier et qui n'étaient pas liquidées, et, à ce propos, j'ai laissé entendre que si on continuait à prétendre que nous devions renfermer les réclamations que nous nous croyons en droit d'exiger du Mexique dans la mesure de celles dont les représentants de la Grande-Bretagne et de l'Espagne étaient décidés à se contenter, ce serait peut-être nous conduire à examiner si nos intérêts n'auraient pas trop à souffrir de concessions faites au maintien d'une action commune, et s'il ne serait pas préférable pour nous de poursuivre séparément les satisfactions qui nous sont dues. J'ai ajouté qu'il paraissait essentiel avant tout au Gouvernement de l'Empereur que le Gouvernement mexicain ne pût pas se trouver plus tard en position de discuter les obligations qui lui auraient été imposées, et que c'était surtout dans ce but qu'il jugeait nécessaire de fotmuler ses exigences en fixant dès aujourd'hui le chiffre des indemnités mises à la charge du Mexique. "Ce chiffre peut être maintenu ou modifié par notre commissaire, ai-je dit ; mais une fois accepté par le Gouvernement mexicain, nous ne nous refuserons pas à ce qu'une commission spéciale détermine plus tard exactement ce que doit être, en définitive, le montant de notre indemnité, pour satisfaire strictement à nos réclamations." Et j'ai alors indiqué quelles facilités de temps nous étions disposés à accorder au Gouvernement mexicain pour s'acquitter. Lord Russell a accepté cette idée d'une commission et m'a annoncé qu'il allait inviter sir Charles Wyke à se désister de son opposition.
Signé Flahault
* Charles de Flahaut (Françoise de Bernardy / Perrin / p.354)
11 mars 1862 | Charles de Flahaut à Thouvenel | lettre jointe
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