Londres, 3 mars 1852 | Charles de Flahaut à Morny | amertume

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Contenu de la correspondance

Mon cher Auguste,
"Je reçois à l'instant votre lettre du 2, et j'en reviens à ma vieille opinion que tous les Princes se ressemblent et que les illégitimes sont encore ceux qui valent le moins.
Vous pouvez être sûr que votre attitude du 22 janvier n'effacera pas aux yeux de Claremont le souvenir du 2 décembre, tandis qu'à l'Elysée elle fera oublier complètement cette journée. Mais que vous importe après tout (mais au fait, qu'est-ce que tout cela vous fait ?) ; vous avez été guidé (guidé) par un sentiment d'affection envers celui pour qui vous avez risqué votre vie (vous exposiez votre vie), ou du moins votre liberté, et s'il ne vous en témoigne pas de gratitude (s'il est ingrat), tant pis pour lui ! Ce ne sera pas fait pour lui gagner beaucoup de coeurs honnêtes et ne lui vaudra pas beaucoup d'actes de dévoûment. Il obtiendra peut-être des hommes tels que ceux qui l'entourent et le servent aujourd'hui, mais cela ne relèvera pas sa considération et ne lui procurera pas la confiance du pays.
Vous savez combien j'hésitais pour savoir si vous deviez accepter ou refuser la position de président du Corps législatif, il y avait beaucoup à dire pour et contre ; quant aux postes (places) que le prince vous offre maintenant à l'étranger, je n'ai aucune hésitation à vous dire que rien au monde ne pourrait me décider à en accepter aucun. S'il peut vous soupçonner sur les propos (les prévisions) d'un tiers de pouvoir trahir sa cause pour celle de ses adversaires, il serait très capable de vous soupçonner de le trahir pour servir la cour auprès de laquelle vous seriez accrédité… Comment posséder la confiance d'un homme aussi soupçonneux ?… Quelle différence, grand Dieu ! entre lui et son oncle ! Et combien je me trompais dans mon appréciation, même la dernière fois que j'ai été reçu par lui.
Mon conseil pour vous serait de rester purement et simplement membre du Corps Législatif, de n'y point faire opposition, de voter honnêtement pour les mesures et lois qui vous paraîtront utiles, et de repousser sans aucune considération celles qui vous paraîtront nuisibles aux intérêts du pays. De voir beaucoup moins de monde, de déclarer que vous ne recommandez personne, parce que vous n'avez de rapports avec aucun membre du gouvernement, et d'être en même temps très réservé dans votre langage et très respectueux et froid en parlant du Président.
Quant à moi, ce qui vient de vous arriver me confirme dans la conduite d'abstention absolue que j'ai adoptée. A Claremont on est aussi mal disposé pour moi qu'il est possible de l'être, mais quand bien même cette disposition se modifierait, jamais je n'aurais de rapports avec la famille d'Orléans. Je n'ai jamais eu leur confiance, malgré les bons services que je leur ai rendus, et je ne vois rien dans ma conduite qui ait été de nature à leur inspirer l'indignation qu'ils en ont éprouvée ; mais en même temps, je resterai étranger à ce qui se passe à Paris. Je ne suis pas de mise là où on se méfie des honnêtes gens. Dans des moments comme celui-ci, c'est un singulier souvenir que celui de votre départ de la maison le main du 2 décembre !
Si j'avais été à Paris, je vous aurais conjuré (recommandé) de tenir toute cette affaire aussi secrète que possible, car elle pourrait (elle est de nature à) nuire au prince, ce qui doit être évité à tout prix. Le fait que quelqu'un vous a fait tort n'est jamais une excuse pour lui nuire en retour. Laissez-lui les tiens (ses torts) envers vous et n'en ayez pas envers lui."
 

Dans l'entourage de l'Empereur (Emile Dard / Plon / p.63)
Le duc de Morny (Gerda Grothe / Fayard / p.121)
Flahaut (Françoise de Bernardy / Perrin / p.327-328)
Le secret du coup d'Etat (Guedalla-Kerry / Emile-Paul 1928 /p.291 à 294)