Mon cher ami,
Vous apprendrez par le Moniteur le changement de ministère et l'acte si grave qui en est le motif. J'en suis réduit à souhaiter de tout mon coeur qu'il ne fasse pas aussi mauvais effet que je l'ai craint. Je ne puis vous dire quel chagrin j'en éprouve, la route était si belle, le succès si grand ! C'est l'accusation des journaux anglais qui en est cause (C'est à dire les articles relatifs à la parenté de Morny avec Louis-Napoléon)
Vous comprendrez pourquoi je vous ai supplié de rester à Londres. Vous n'auriez rien empêché, et votre présence ici aurait donné lieu à mille bruits divers, dont vous et moi aurions été chagrins.
Quant à moi, je m'en vais avec l'estime du monde et déplorant que la faveur qui s'attache à moi retombe en défaveur sur ce pauvre Pr[ince]. Du reste, je ne suis nullement mal avec lui et ne compte, ni dans ma conduite, ni dans mon langage, lui donner le moindre sujet de mécontentement.
Le 2 décembre est bien loin. Adieu, mon cher ami. Je vous embrasse tendrement. Faites attention à ce que vous m'écrivez ; avec un homme comme M de Maupas à la Police, il faut tout craindre.
Maintenant, mon cher ami, c'est à vous de juger si vous ferez bien de venir ou non. Vous savez combien je suis toujours heureux de vous voir. Croyez bien qu'en vous évitant le commandement de la Garde Nationale (Ce commandement avait dû, semble-t-il, être offert à Flahaut immédiatement après le coup d'Etat), en retenant votre dévouement si noble, si désintéressé, je n'ai eu en vue que votre intérêt et votre honneur que j'estime plus que tout le reste.
AUG.
Morny, un voluptueux au pouvoir (Rouart / Gallimard / p.170)
Morny, l'homme du second empire (Dufresne / Perrin / p.173)
Morny et son temps (Parturier / Hachette / p.101)
Le secret du coup d'Etat (Guedalla-Kerry / Emile-Paul 1928 /p.258-259)
Le coup du 2 décembre (Henri Guillemin / Gallimard / p.304)