Mon cher ami,
Votre message m'est arrivé hier (dimanche) et a suspendu mon départ qui devait avoir lieu ce matin. Je l'ai regretté parce qu'il est de quelque importance que je retourne à Paris avant l'ouverture du Parlement anglais, ayant à entretenir le Prince de choses assez importantes. Enfin, j'attendrai deux ou trois jours la lettre que vous devez m'écrire.
Hier à White's on a dit que le Président avait le projet de confisquer les biens de la Maison d'Orléans, et je n'ai pas besoin de vous dire de quelles réflexions cela a été accompagné. J'espère que c'est un de ces faux bruits, une de ces infâmes calomnies, qui abondent dans les journaux anglais. Je ne puis croire qu'un Prince d'un esprit juste et ferme, d'un coeur noble et généreux, puisse concevoir la pensée d'une spoliation qui révolterait tous les hommes honnêtes. Moi, qui me souviens de l'effet produit en 1814 par une telle mesure, prise par le Roi Louis XVIII contre la famille de l'Empereur - moi, qui en ai été revolté - je ne puis croire que le Prince veuille s'exposer à produire un effet aussi déplorable.
La confiscation faisait partie du code pénal français jusqu'à la fin de l'Empire, mais le législateur qui avait senti lui-même tout l'odieux d'une semblable punition (qui frappe l'innocent et non le coupable puisqu'elle est la conséquence de la condamnation à mort de ce dernier), avait donné au chef de l'Etat le pouvoir d'en atténuer la rigueur, en disposant des biens confisqués en faveur, soit des pères, mères ou autres ascendants, soit de la veuve, soit des enfants et autres descendants légitimes, naturels ou adoptifs, soit des autres parents du condamné.
La confiscation d'ailleurs ne pouvait avoir lieu que dans les cas où la loi la prononce expressément, et la loi ne la prononce que contre tout Français qui aura porté les armes contre la France. Le livre III du Code Pénal contient tous les cas où une telle punition doit être infligée, et certes aucun des fils du Roi L.Philippe ne se trouve dans ce cas ; car depuis la révolution de février, ils se sont soumis à toutes les mesures de rigueur prises contre eux. D'ailleurs la confiscation a été formellement, et à tout jamais, abolie par l'article 66 de la Charte constitutionnelle, et cette abolition est tellement entrée dans les moeurs, qu'une telle mesure ne saurait manquer d'être considérée comme une atteinte violente portée aux droits de la propriété.
Soyez parfaitement certain que, si le Prince se décidait à une pareille mesure, il s'aliènerait l'opinion publique de la France et de toute l'Europe ; et réellement si l'on veut descendre à un si misérable calcul, les biens dont il s'agit n'en valent pas la peine.
depuis le 10 décembre 1848 le prince Louis-Napoléon a gagné par sa conduite ferme, honnête, élevé, la bonne opinion de tous les honnêtes gens, et il serait bien affligeant de la lui voir perdre pour ce qui ne paraîtrait à tout le monde qu'une petite et honteuse vengeance. Mais je le répète, je ne puis admettre qu'il y ait le moindre fondement à de pareils bruits.
* Le secret du coup d'Etat (Guedalla-Kerry / Emile-Paul 1928 /p.249 à 251)
Londres, 19 janvier 1852 | Charles de Flahaut à Morny | les biens d’Orléans
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