Londres, 7 janvier 1852 | Charles de Flahaut à Morny | presse anglaise

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Contenu de la correspondance

Mon cher ami,
Les journaux anglais m'ayant assigné une certaine part dans les communications qui ont mené au renvoi de Palmerston, j'ai cru devoir adresser au Times un démenti formel à ce sujet. Vous savez à quel point nous étions peu préparés à cet événement, et la surprise qu'il nous a causée. Il a été uniquement le résultat de la connaissance donnée imprudemment par Turgot à Normanby de la communication qu'il avait reçu de Walewski.
Comme je n'ai plus entendu parler de l'idée de la mission extraordinaire relative au vote, je suppose qu'elle est abandonnée, et je m'en réjouis.
" Quoique (Bien que, comme je vous l'ai mandé, je sois) convaincu que les relations entre les deux gouvernements et les deux pays ne seront pas troublées (altérées) par les événements du 2 décembre, il serait vain de nier (il ne faut pas se dissimuler) que ces événements n'ont pas produit un mauvais effet (une impression très désagréable) à Windsor ; il serait aussi vain de nier que la reine, si favorable aux habitants de Claremont en raison de ses alliances Cobourg (à qui ses sentiments Cobourg inspirent une sympathie très vive pour les habitants de Claremont), n'est pas, en ce moment, très mal disposée (ne soit très défavorablement disposée) pour le Prince (et nous en ce moment). Elle est un souverain constitutionnel dans tous les sens du terme et elle agira, quant à la politique, selon le vœu de ses ministres (ce que lui conseilleront ses ministres), mais, en ce qui touche (ce qui aura le caractère de) ses relations personnelles, elle ne manquera pas de témoigner (elle laissera éclater) sa mauvaise humeur ou du moins son antipathie (sa froideur). Si j'étais la personne à qui l'on confiait cette mission, il y aurait en plus (il s'y serait joint) le désir de me marquer (témoigner) sa désapprobation de mon attitude (du parti que j'ai pris)… S'il ne se fût agi que de moi-même, cela m'eût été peut-être indifférent ; car je saurai toujours supporter la conséquence de mes actions. Mais on n'aurait pas manqué de remonter jusqu'au Président, et [de manifester à l'occasion de] l'acte glorieux par lequel il a sauvé la France, l'expression de déplaisir dans laquelle je serais probablement entré pour une bonne part. Si Walewski rapporte (rend compte), comme il le fera certainement (comme je n'en doute pas), le ton de sa réception à Windsor l'autre jour, il confirmera tout ce que je vous dis."
Je suppose que la Constitution paraîtra d'ici à quelques jours, et si mon nom se trouve parmi les sénateurs j'irai prendre ma place parmi eux.
Le rapport que vous m'avez envoyé (sur les pertes causées par le coup d'Etat) a paru dans le Morning Post et dans le Herald. Le Times a de la peine à se décider à le publier - ce que l'on conçoit aisément, puisque c'est le démenti de toutes les exagérations qui ont paru dans cette feuille. M de Saux qui l'avait envoyé au Morning Post s'est (à ce qu'il paraît) trompé de chiffre, car il a mis 315 a lieu de 215. Pourquoi ce rapport ne paraît-il pas dans les journaux français ?
Je crois que vous verrez un changement dans le langage du Times. Je ne dis pas qu'il se montrera favorable, mais il sera peut-être moins calomnieux et moins hostile. Ellice nie de la manière la plus formelle avoir exercé aucune influence sur sa polémique. Il m'a dit avoir écrit à Thiers pour l'engager à ne pas venir en Angleterre, tout en lui offrant l'hospitalité dans le cas où il ne suivrait pas cet avis. Mais il lui a fait sentir combien le vote de 7 millions et demi de suffrages changeait la nature des choses, et de quel poids ce vore pèserait dans les opinions de ce pays-ci. Je sis toujours d'avis qu'il vaudrait mieux que Thiers fût Place Saint-Georges qu'exilé. Ce mot d'exil fait un mauvais effet et l'on ne conçoit dans ce pays-ci que deux choses - ou qu'un homme soit en liberté, ou jugé.
Adieu, mon cher ami. Je vous embrasse de tout mon coeur.
"Je sais de bonne source que la reine a envoyé van de Weyer à Bruxelles pour consulter le roi Léopold sur les relations à entretenir avec la France. C'est un drôle de petit homme que ce van de Weyer : il est fin et faux, avec une allure de franchise. C'est singulier que dans le temps il ait donné un passeport au Prince Louis-Napoléon, et qu'il en ait donné un aussi au Prince de Joinville dans sa dernière escapade ! Je me tromperai bien si le Roi Leopold ne conseillait pas de maintenir des relations amicales avec le Président."
* Flahaut (Françoise de Bernardy / Perrin / p.316-317)* Le duc de Morny (Gerda Grothe / Fayard / p.107)* Le secret du coup d'Etat (Guedalla-Kerry / Emile-Paul 1928 /p.226 à 229)