Mon cher Auguste,
Nous sommes revenus aujourd'hui de Bowood, et j'ai trouvé votre lettre qui m'a fait le plus grand plaisir. Je suis charmé que la cérémonie (Le Te Deum à Notre-Dame, où, le 2 janvier, le Président rendit grâces publiquement à l'occasion de sa réélection) ait eu lieu, puisque cela donne la consécration religieuse au voeu populaire ; et je suis très satisfait aussi - puisque c'est vous qui en avez été chargé - que les arrangements aient été aussi bien faits. Mais ce qui me charme surtout, c'est que le prince soit rentré sans malencontre à l'Elysée.
Je ferai usage du rapport (Sur les pertes causées par le coup d'Etat. Il semble qu'il faille attribuer à M de Saux la version du Morning Post sur ce rapport, sous l'étiquette "Notre correspondant à Paris") que vous m'avez envoyé, et l'ai déjà fait communiquer au Morning Post par M de Saux et par un de mes amis au Prince (Evidemment le prince Consort, qui témoigna durant les événements une hostilité marquée à Louis-Napoléon). Je ne désespère pas d'adoucir ce dernier, mais c'est plus difficile que je ne croyais. Il me semble qu'il y a des influences françaises qui l'excitent. Je ne serais pas étonné que Léon Faucher et ses amis y fussent pour quelque chose. Cependant l'opinion revient, surtout en ce qui concerne les événements des premiers jours de Décembre, et on commence à sentir qu'il n'y avait pas d'autre moyen de venir à bout de l'entreprise que de prendre les mesures de rigueur que l'on a été forcé d'adopter. J'espère que l'on a recommandé beaucoup de modération de langage aux Affaires Etrangères, car il n'y a rien de plus fâcheux que de parler avec énergie et de faire craindre des actes que l'on a aucune intention de commettre. J'ai cru voir dans mes conversations avec plusieurs des ministres qu'on craint une intervention trop active et trop vive en ce qui concerne les Etats limitrophes, tels que la Suisse et le Piémont. Je crois avoir rassuré, cependant je n'ai pas hésité à dire qu'il me paraissait impossible que l'on insistât pas sur l'éloignement de nos frontières des foyers révolutionnaires, composés des réfugiés politiques de toutes les nations. Enfin, tout en cherchant à les rassurer, je n'ai pas manqué de maintenir ce que je considère comme nos droits.
Adieu, mon cher ami. Donnez-moi le plus souvent que vous pourrez de vos nouvelles. Si je vous manque comme vous le dites, vous me manquez bien aussi ; mais quand je suis à Paris, c'est encore la même chose, car je n'ai pas ce que je retrouve ici. Enfin nous verrons comment tout cela pourra s'arranger.
Quand vous en trouverez l'occasion présentez mon respectueux hommage au Prince. Croyez, mon cher ami, a toute l'affection que je vous ai vouée.
F.
Ld Grey est venu à Bowood et y a passé les trois derniers jours que nous y sommes restés. Il a bien peur que nous ne rendons pas au pays toutes ses libertés, et je lui ai dit qu'il pouvait en être parfaitement sûr ; que si quelqu'un en France était disposé à rendre au pays toutes ses libertés, c'était le Président ; mais que, s'il le faisait, il encourrait par là la perte de toute sa popularité. Adieu encore.
Le secret du coup d'Etat (Guedalla-Kerry / Emile-Paul 1928 /p.221 à 223)