1850 (octobre ?) depuis Londres | Charles à Morny | position du Prince

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"Mon cher ami,
Est-ce vrai ce que dit le Times, d'une proposition faite par les gouvernements russes et français à l'Angleterre, qui aurait pour objet la présentation d'une note collective à la Prusse par les trois puissances (En octobre 1850, la Russie proposa d'intervenir, de concert avec la France et l'Angleterre, pour assister le Danemark dans sa dispute avec les duchés), l'engageant à exécuter fidèlement le pacte conclu par elle avec le Danemark avec le Danemark relativement aux Duchés, et la menaçant en cas de refus, ou dans celui où elle persévèrerait dans la non-exécution de ce traité, de faire occuper la Silésie par les troupes françaises ? Je crois la diplomatie russe beaucoup trop habile pour avoir fait une telle proposition au Cabinet anglais ; car la réponse de celui-ci ne pouvait être douteuse, et devait être prévue d'avance. Il n'est pas question ici de Palmerston, mais aucun membre du Cabinet englais, soit whig soit tory, ne se prêterait à une pareille démarche, et ne préférerait l'anéantissement de tous les habitants des Duchés, à l'une ou l'autre des occupations proposées.
Vous connaissez mon opinion quant à celles des provinces rhénanes. Je ne ferais point de menaces à la Prusse, ni de propositions à l'Angleterre ; mais si la Prusse tirait un seul coup de canon, j'occuperais sur le champ les provinces rhénanes. Il serait bon en pareil cas que la Russie occupât la Silésie ; parce que cela la compromettrait et l'empêcherait de faire cause commune avec l'Allemagne, si celle-ci, oubliant ses querelles intérieures en présence de cet acte d'agression étrangère, voulait se réconcilier et se [lever ?] tout entière contre l'ennemi commun. Quant à l'Angleterre, elle ne ferait rien, une fois la chose faite. Il est fort différent de se refuser à une proposition de faire quelque chose, ou de s'opposer par les armes à une chose faite. Mais ce qu'il y aurait de fâcheux dans la proposition même, c'est qu'en la répétant on prend en quelque sorte l'engagement de s'opposer à son exécution.
L'Angleterre, dans son état financier et politique, et l'opinion publique de ce pays n'attache pas assez d'importance aux provinces rhénanes pour que le Parlement vote les taxes que la guerre nécessiterait. S'il s'agissait de la Belgique et surtout d'Anvers, ce serait autre chose. Quant au Prince Louis, je ne sache rien qui fût plus de nature à assurer sa position personnelle qu'une telle opération. Il y a deux choses dont je suis profondément convaincu : c'est que le gouvernement anglais n'y donnera jamais son consentement d'avance et ne fera pas la guerre pour s'y opposer.
J'ai lu les articles de Granier de Cassagnac. Ils sont habilement faits, mais selon moi il eût encore été plus habile de ne les pas faire. Laissez faire le temps ; le moment arrivera où les plus récalcitrants aujourd'hui seront peut-être les plus empressés à demander à voter la prolongation. Et il y a de plus cette différence : c'est qu'aujourd'hui, si cette proposition se présente, l'Assemblée en dictera les conditions au Prince L[ouis], tandis que vers l'automne de 1851, ce sera le prince Louis qui dictera ses conditions à l'Assemblée . La position est bien belle, car il n'a pas de compétiteur possible.
A Frosdorff [sic] M de Salvandy (Après la mort de Louis-Philippe le 26 août 1850, Salvandy avait été rendre visite au comte de Chambord à Frohsdorff, dans l'intention de servir la cause de la "fusion".) a été parfaitement bien reçu, comme du reste, me dit-on, le sont tous les visiteurs - d'après la maxime de l'Evangile qui dit qu'il y a plus de joie au ciel pour un pécheur qui se convertit que pour 99 justes ! Ce pauvre Salvandy se convertit aisément ! La publication de la Circulaire Barthélémy (M de Barthélémy était secrétaire du Comité Légitimiste de Paris. Il lança une circulaire aux comités provinciaux pour leur faire savoir que leur candidat, le comte de Chambord, ne désirait pas soumettre ses prétentions à un référendum populaire. Ce message fut publié dans les gazettes françaises le 20 septembre 1850.) n'a été dans l'intention ni de M le duc de Chambord [sic], ni de ceux qui le conseillent, et a été faite sans leur aveu. On en a donc été un peu contrarié. Mais comme là-bas on est dans l'usage de voir le doigt de Dieu dans tout ce qui arrive, on en a pris son parti ; et comme aussi on en trouve le langage franc et loyal, et qu'au fait elle exprime les sentiments et les intentions du chef, qu'il est bien décidé à ne jamais rentrer en France que pour obéir à son devoir et lorsqu'on y reconnaîtra ses droits, on n'est pas fâché de la publicité que cette pièce a reçue. Vous pouvez compter sur l'exactitude de ces détails.
Je n'ai pas encore été à Claremont, ni à Esher, mais je compte le faire dans quelques jours. Pauvre famille ! comme elle est éprouvée !
* Le coup du 2 décembre (Henri Guillemin / Gallimard / p.244)* Le secret du coup d'Etat (Guedalla-Kerry / Emile-Paul 1928 /p.112 à 115)