"Ah, cher ami, quelle journée j'ai passée le jour de cet affreux événement. Je savais que mon fils avait été convoqué comme lieutenant général pour accompagner le roi à la revue. A une heure, un voisin qui l'ignorait vient me dire qu'on a tiré sur le Roi, que le maréchal Mortier est mort et qu'il y a quinze généraux très grièvement blessés près de lui, et je passe toute seule depuis une heure jusqu'à cinq heures sans savoir le sort de mon fils. Mon ami, ces quatre heures ont été affreuses et m'ont tellement porté sur les nerfs qu'à présent le moindre bruit, un mot un peu plus vif, me feraient pleurer. Tout me fait mal. Je ne vous ai pas écrit de suite parce que je n'aurais pu former une lettre. Du reste, mon fils n'a rien cul mais son cheval a reçu deux balles dont une a traversé l'oreille de part en part, ce qui est assez près du maître, comme vous jugerez. L'autre est dans le cou. Ah ! mon vrai ami, quelle vie j'ai menée depuis cinquante ans !
Auguste est à sa garnison de Nevers, bien inquiet de nous tous, et vous le trouverez naturel. On me promet toujours de me payer ce qui m'est dû en Portugal. Cependant rien n'arrive. Toutefois ils sont mieux qu'en Espagne. J'ai trouvé dans les Mémoires du temps, en 1701, ces vers de l'abbé Régnier, j'ai envie de les envoyer à ceux qui veulent l'intervention :
Le destin de I'Espagne est toujours de nous
Nuire
Et le siècle à venir aura peine à juger,
S'il nous a plus coûté de la vouloir
Détruire
Que de la vouloir protéger.
" Sur ce, je vous aime, bien de tout mon coeur, cher et bon ami. Donnez-moi de vos nouvelles. Le repos et les loisirs de la campagne rendent votre silence impardonnable, Monsieur. "
* Madame de Souza et sa famille (baron André de Maricourt / Emile-Paul frères / p.371-372)