" Voici des vers qu'Auguste a faits en deux heures et demie de temps, à la montre. Ainsi, cher ami, vous jugez qu'ils ne peuvent être bien soignés. Cependant j'en ai trouvés d'assez jolis et je vous les envoie, mais n'en parlez pas à Auguste, car lui, qui en est mécontent m'a défendu de les montrer. C'est pour mon fils, qui le gronde tout le jour, tantôt sur une chose, tantôt sur une autre, et l'appelle sans cesse flâneur, lambin, etc. Vous les brûlerez, ainsi que ma lettre, après les avoir lus :
Oui, plus j'avance dans la vie,
Plus je rencontre de censeurs.
Les hommes réglant tout d'après leur fantaisie.
Voient les défauts d'autrui sans connaître les leurs,
Et chacun ici-bas, aveugle sur soi-même,
N'a des yeux que pour voir le mal chez son voisin
Si je ris je suis fou, si je suis pâle, blême.
Si je tarde un instant votre joie est extrême,
Vous pouvez m'appeler et flâneur et lambin !
Et bien souvent après dix heures du matin,
Vous me tancez sur ma paresse
Les yeux à peine ouverts et vos rideaux fermés.
Encore est-ce un effort, hélas, quand vous parlez !
Votre bouche s'oppose au désir qui vous presse.
Mais bientôt ce dernier devient victorieux.
Sur vos sens engourdis l'habitude l'emporte,
Le plaisir de gronder ! Ah ! l'amorce est trop forte!
De grâce, avouez-le, je suis bien malheureux.
Mais vous qui contrôlez mes actions sans cesse
Dites-moi, dans votre jeunesse
Fûtes-vous toujours un Caton ?
L'écho dit : Non.
C'est aujourd'hui votre fête.
C'est aujourd'hui la saint Charles, je crois.
On dit qu'on peut blâmer et louer à la fois.
J'ai voulu commencer par vous laver la tête,
Et, ma fois, j'ai trouvé cela fort amusant.
Le passe-temps est doux, certes il doit vous plaire ;
Je vous excuse alors et, pour vous satisfaire,
Je vous livre ample carrière.
Oh, vous aurez de quoi vous amuser souvent,
C'est plaisanter assez. Retournons la médaille.
A présent donc, prenons le bon côté.
Jusqu'ici je n'ai rien fait qui vaille
Et je vais dire enfin la vérité :
A vos amis toujours fidèle,
Fidèle à votre opinion
Vous devancez l'honneur quand il appelle.
La gloire est votre passion,
Mais écoutez l'écho du monde.
Sur lui, conriant, je me fonde.
Or, écoutez ce qu'il dit aujourd'hui :
L'écho dit : Oui.
" Voilà, cher ami, ce qu'il a tiré de son cerveau sans peine, sans travail, presque sans y penser. Cela ne vous promet-il pas un poète?... Malgré ce que dit le sévère G(allois) sur les éducations publiques, la chose qui prouve que les fréquentes visites dans la maison, je dirais volontiers maternelle (car j'aime cet enfant comme s'il était le mien), valent mieux que la poussière des classes, c'est que dans tout ce qu'a fait Auguste il n'y a pas une faute de goût. Ces sages ne sentent pas combien cela est remarquable. "
* Le duc de Morny (Gerda Grothe / Fayard / p.17)* Madame de Souza et sa famille (baron André de Maricourt / Emile-Paul frères / p.346-347)