Le Correspondant
1878 – 1880 – 1884 – 1885 – 1886 – 1887 – 1901 – 1902 – 1904 – 1907 – 1908 – 1909 – 1912 – 1913 – 1925
1878
Souvenirs d’un étranger
« Je suis désolé de ces poursuites, disait M. de Flahaut à Senior ; Montalembert est un ultramondain ; mais je respecte sa sincérité, son courage, et j’admire son talent. Il a combattu pour l’ordre sous la République avec une énergie, une résolution et un génie vraiment admirables… S’il est acquitté, ce sera un coup grave porté au Gouvernement ; s’il est déclaré coupable, une grande partie du public attribuera la condamnation à l’influence des Tuileries, et le caractère de notre institution la plus importante – la magistrature – aura à en souffrir. Toute cette affaire m’est excessivement pénible. »
1880
… « Le Roi, qui jugeait l’Angleterre de 1848, par celle de 1807, n’admettait pas alors qu’il fût possible d’obtenir, et qu’il y eût lieu par conséquent à demander la permission de célébrer la messe dans une résidence de la couronne. Il se trouva cependant que la question fut traitée un jour devant M de Flahault, qui avait une alliance de famille avec un des membres les plus importants du vabinet britannique, le marquis de Landsdowne. M. de Flahault prit sur lui de parler de l’affaire au ministre, et celui-ci obtint sans peine de la reine Victoria la faveur qu’on n’avait osé solliciter d’elle, avec cette réserve toutefois qu’elle était exclusivement accordée à la famille royale et aux personnes de sa suite. »
1884
Napoléon III et lord Malmesbury
… Morny était le fils naturel reconnu du comte de Flahaut et de la reine Hortense. Il était donc le frère utérin de l’Empereur. Il était son bras droit et lui donnait en général de bons conseils, car c’était un homme du monde, doué de beaucoup d’intelligence et de tact…
… après une pareille scène, Persigny sera remplacé. Il le fut en effet par M. de Flahaut…
… Le comte de Flahaut n’avait pu soutenir longtemps le fardeau de l’ambassade de Londres et il avait été remplacé par le prince de la Tour d’Auvergne. Le 12 mars 1864, lord Malmesbury avait été présenté au nouvel ambassadeur…
(Frédéric de Bernhardt)
Le journal d’Henry Gréville
… Gréville a de fréquents entretiens avec M. de Flahaut : ce ne seront pas les moins curieux parmi ceux que nous aurons à reproduire…
… En apprenant cette réponse du ministre de la Guerre, Gréville va trouver M. de Flahaut , qu’il connaissait beaucoup, et lui demande comment les préparatifs de la guerre ont pu être si mal faits, alors que l’empereur passait pour surveiller lui-même tous les détails et pour exiger que tout fût exécuté sous ses propres yeux. Flahaut lui répondit que « c’était une grande erreur, que l’empereur était extrêmement paresseux, et ne s’inquiétait presque jamais des affaires d’aucun ministère ».
Parmi les épisodes du séjour de la reine Victoria à Paris, le plus curieux de ceux que Greville a consignés est incontestablement la conversation échangée entre le reine et Napoléon III, au sujet du décret de 1852 qui avait confisqué les biens de la famille d’Orléans. Voici en quels termes Greville s’exprime à la suite d’un dîner donné par M. de Flahaut à Londres, le 4 décembre 1855, trois mois après le voyage de la reine à Paris :
Ce qui prouve, dis-je à Flahaut, combien la reine s’est sentie à l’aise avec l’empereur, c’est qu’elle l’a attaqué au sujet de la confiscation des biens de la famille d’Orléans ; l’empereur a défendu cette mesure sous prétexte qu’il savait positivement que le fortune de la famille d’Orléans avait été employée à des tentatives pour le renverser, lui et son gouvernement ; il avait donc été contraint de confisquer ces propriétés. La reine lui répondit qu’en tout cas, il aurait pu se contenter, comme mesure de précaution, de mettre les propriétés sous séquestre, ce qui, à supposer que le danger existât réellement, aurait conduit au même résultat, tout en étant infiniment plus juste ; elle ajouta qu’à l’heure actuelle où l’empereur n’avait plus rien à craindre, il pourrait restituer ces biens. Flahaut dit alors que l’empereur, dans sa réponse à la reine, avait fait une affirmation qu’il savait être inexacte. L’argent de la famille d’Orléans n’avait jamais été employé de la sorte, et il n’y avait jamais eu de complots orléanistes ; l’empereur a eu conscience qu’il commettait une injustice … ; la réalité est que toute cette affaire a été une intrigue de Persigny et autres ; ils n’ont pas laissé la paix à l’empereur jusqu’à la publication des décrets, tout en sachant combien y étaient opposés Morny et tous ceux qui avaient préparé avec Napoléon le coup d’Etat. cet acte a été en outre une grande injustice et une faute politique capitale.
Quelques mois plus tard, Greville retrouvait M. de Flahaut à Boulogne, en route pour Paris, comme lui ; tous deux reprirent leur conversation précédente sur les décrets de 1852, et M. de Flahaut profita de l’occasion pour raconter à son interlocuteur tout ce qui s’était passé entre l’empereur et lui, à propos de cette affaire :
A un moment, écrit Greville, Flahaut crut qu’il avait ébranlé l’empereur. Il le supplia d’annuler ces décrets, lui affirma qu’il s’acquerrait par là une gloire impérissable, que cet acte de justice l’élèverait plus haut que n’est placée la statue de son oncle. L’empereur répondit qu’à l’heure actuelle cela était impossible ; cet acte serait attribué à la faiblesse de sa position, et il n’y pouvait consentir. « Eh bien, lui répliqua alors Flahaut, comme on pourrait me croire personnellement favorable à la maison d’Orléans, je demande à Votre Majesté la permission de faire passer sous ses yeux le résumé écrit d’une conversation que j’ai eue avec Palmerston avant de quitter Londres. » L’empereur y consentit alors et Flahaut lui représenta que Palmerston ne blâmait pas seulement d’une façon fort vive ces décrets, mais qu’il se prononçait aussi nettement que possible en faveur de leur prompte abrogation. L’empereur écouta très attentivement la lecture que lui fit M. de Flahaut, mais se borna à répéter qu’il était impossible de revenir là-dessus. ce qui est curieux, c’est que ces décrets étaient prêts à être publiés le 2 décembre 1851, et auraient paru à cette date si l’imprimeur de l’Imprimerie nationale n’avait pas refusé positivement de les imprimer. M. de Flahaut ajouta que, s’ils avaient été publiés à cette date, Morny se serait immédiatement démis de ses fonctions et que le coup d’Etat aurait avorté.
(Anatole Langlois)
1885
Les débuts de M. Thiers
… Les ambassadeurs des trois cours, ravis de n’avoir plus affaire au duc de Broglie, s’empressaient à cajoler son successeur. (« MM. d’Apponyi et de Werther ne se cachaient pas du plaisir que leur causait l’avénement de M. Thiers » . Lettre de M. Bresson, du 7 mars (documents inédits). La duchesse de Dino, fort suspecte, il est vrai, et passionnée en cette affaire, écrivait à M. de Sainte-Aulaire, le 2 mars, que « les rapports du corps diplomatique avec M. de Broglie » étaient devenus « tellement désagréables, que tout autre ministre, quel qu’il fût, aurait paru aux ambassadeurs étrangers un ange du ciel ». (Mémoires inédits du comte de Sainte-Aulaire.) Plus tard, en 1842, M. de Metternich, causant avec M. de Flahaut du duc de Broglie, lui disait : « Le duc de Broglie, ah ! nous avons bien contribué dans le temps à le renverser. On nous avait persuadé que cela serait utile à notre politique. (Notes inédites de M. Duvergier de Hauranne.)
1886
La question d’Orient
Dès les premières insinuations que lui avaient faites M. Guizot en quittant Londres, lord Palmerston avait laissé voir ses dispositions revêches, (dépêche de lord Palmerston à lord Granville du 27 octobre 1480. (Correspondence relaive to the affairs of the Levant)) et, le 29 octobre, jour de la constitution du nouveau cabinet français, il écrivait à lord Granville : « Louis-Philippe semble vous avoir tenu le même langage que Flahaut et Guizot tenaient ici, particulièrement qu’il est nécessaire, afin d’aider le roi à maintenir la paix et à dompter le parti de la guerre, que nous fassions, à sa prière, des concessions que nous avons refusées aux menaces de Thiers…
1887
Les émigrés et la société française
Les émigrés avaient aussi leurs partisans à la cour de Berlin …
Le Premier consul luttait contre leur influence par son ambassadeur, le général Beurnonville, demeuré fanfaron et bruyant, mais non dépourvu de finesse ; par son frère Louis Bonaparte, qu’il envoyait à Belin avec le jeune Flahaut, et surtout par des complaisances inépuisables pour les demandes de la cour de Prusse…
… Vers cette époque (1814) M. de Flahaut avait été envoyé à Londres avec mission de proposer une alliance secrète offensive ; lord Palmerston déclina formellement l’ouverture, déclarant qu’il préférait se placer comme une sorte de médiateur entre les trois puissances et la France, résolu à se prononcer contre celle des deux parties qui romprait la paix ; il ajouta que, pour le moment, la France ne lui paraissait pas menacée, et que « s’il y avait danger, il venait plutôt de la France elle-même ».
1901
Les dernière années de l’Impératrice Joséphine.
… Un roman moins édifiant était celui d’Hortense, qui s’estimait, à cette heure, affranchie de tout devoir envers Louis Bonaparte. Si tendre fille qu’elle fût, elle se faisait rare à Navarre, où la présence de Flahaut n’eût sans doute offusqué personne, mais où on eût été plus embarrassé de la prochaine venue au monde du futur duc de Morny. Les visites de cette femme étrange et inconséquente avaient d’ailleurs, pour résultat de rétablir l’observation de l’étiquette, de sorte qu’elles étaient peu désirées…
(L. de Lanzac de Laborie)
1902
Le premier siècle de la Légion d’honneur
… Les grands chanceliers furent d’abord choisis parmi les compagnons d’armes de Napoléon, appelés par lui au maréchalat ou désignés dans sa pensée pour recevoir prochainement cette dignité : Macdonald, Mortier, Gérard, Oudinot, Molitor, Excelmans, Ornano, Lebrun. Quand cette génération eut disparu, Napoléon III nomma pour quelques mois à la grande-chancellerie le vainqueur de Sébastopol, Pélissier, puis l’amiral Hamelin. Des motifs de plus d’un ordre firent choisir ensuite un vieillard qui, sous Napoléon Ier, avait été l’un des plus brillants et des plus séduisants jeunes officiers de l’état-major impérial, le général comte de Flahaut ; il mourut le lendemain de Sedan, c’est-à-dire la veille de la chute de l’Empire.
L’armée des Cent-Jours
… Eux aussi étaient en défiance les uns des autres, se suspectant facilement de tiédeur ou même de connivence avec l’ennemi ; les craintes étaient si folles à cet égard que Flahaut, de l’aveu de Napoléon, alla jusqu’à exercer une surveillance à peine dissimulée sur l’intègre et irritable Davout
Talleyrand évêque d’Autun
Chose plus grave, des rumeurs malsonnantes couraient sur ses moeurs. On lui prêtait plusieurs liaisons, parmi lesquelles une au moins ne peut pas être oubliée, tant elle défraya la cour et la ville, tant elle fut étalée et presque avouée : les Mémoires d’un Américain très parisien, Gouverneur-Morris, qui mêle les sujets graves aux cancans mondains, en ont récemment encore réveillé l’indiscret écho. Il s’agit de Mme de Flahaut qui, devenue, après son veuvage, Mme de Souza, a elle-même estompé et gazé ses aventures dans un assez joli roman. Adélaïde-Marie-Emilie Filleul était fille de concierges du château royal de Choisy, où souvent venait se reposer Louis XV. Tandis que sa soeur aînée était mariée au marquis de Marigny,, frère de Mme de Pompadour, elle, la cadette, épousait, toute jeune et fraîche sortie du couvent, un maréchal de camp un peu botaniste, frisant déjà la soixantaine, le comte de Flahaut de la Billarderie, qui fut nommé, au lendemain de ses noces, intendant des jardins du roi avec habitation au Louvre. L’abbé de Périgord fut bientôt l’ami de la maison. On jasa sur l’intimité publique de ses relations avec la jeune femme ; on en jasa bien davantage dans le monde, même dans la famille de l’accouchée, lorsqu’en 1785, un enfant naquit. (Le frère du comte de Flahaut, le comte d’Angeviller, dans une lettre du 2 septembre 1804 à la comtesse de Neuilly, dit expressément que son neveu était le fils de Talleyrand.
(Cf. Les femmes de M. de Talleyrand, p.31) De son côté, Gouverneur Morris affirme à plusieurs reprises la paternité de Talleyrand : il faut lire notamment, dans son Journal, le récit d’une conversation qu’il eut avec Mme de Flahaut, le 17 octobre 1789 (p. 102 de la traduction Pariset), et l’histoire d’un « dîner de famille » au Louvre le 28 octobre (p. 115) Voy. aussi Marcade, Talleyrand prêtre et évêque, p. 136)
– celui-là même qui devint l’aide de camp de Napoléon et le favori de la reine Hortense. Si tous ces bruits de Paris avaient raison, voyez l’étrange imbroglio : M. de Talleyrand grand-père de M. de Morny ! Et l’Empire des Bonaparte aurait été relevé, en 1851, par le petit-fils de l’homme qui l’avait renversé en 1814 ! Mais passons…
… L’observateur très délié dont nous avons déjà parlé, l’américain Gouverneur Morris, qui, presque chaque jour, rencontrait l’évêque d’Autun chez leur amie commune, Mme de Flahaut, prétend qu’il avait une « marotte » : l’éducation nationale. Au lieu d’une, c’est deux marottes, qu’aurait pu dire Gouverneur Morris. Non moins, en effet, que l’éducation, les questions financières absorbaient Talleyrand…
… Le chapitre de ses relations féminines s’allongeaient : un nom, déjà mêlé à des aventures, et que les lettres allaient bientôt rendre célèbre, y prenait place ; et les jalousies de Mme de Flahaut égayaient ce Paris où s’amoncelaient tant de sujets de deuil et d’effroi. Talleyrand, qui passait pour volage, faisait cependant effort pour paraître fidèle. Gouverneur-Morris raconte que, le 1er janvier 1790, étant allé au Louvre souhaiter la bonne année à Mme de Flahaut, il la trouva dans sa chambre avec la migraine ; elle prenait un bain de pieds chaud, une bonne tenait la serviette, tandis que Talleyrand bassinait le lit. « Moi, ajoute l’Américain narquois, je regarde, car c’est assez curieux de voir un révérend père de l’Eglise engagé dans cette pieuse opération. » (Journal de Gouverneur Morris, p.164)…
… Talleyrand a-t-il dit à La Fayette passant sur son cheval blanc le mot indigne : « Ah ! ça, ne me faites pas rire ! » La Fayette ne le mentionne pas dans ses Mémoires, et Sainte-Beuve lui-même, tout prévenu qu’il soit contre Talleyrand, le laisse à « l’impure légende. » (Monsieur de Talleyrand, p. 19. – Je range également dans l’impure légende dont parle Sainte-Beuve une prétendue lettre que Talleyrand aurait adressée le 15 juillet à Mme de Flahaut. Elle es dénuée de toute authenticité, et invraisemblable.)…
… Talleyrand eut peur. Peur de quoi ? De sa conscience ? Des reproches des siens ? Des condamnations suprêmes de l’Eglise qu’il prenait comme plaisir à défier ? On ne sait trop. Il eut peur pour sa vie : peur d’être assassiné. On prétend même que, dans son angoisse, il songea au suicide ; il avait déjà rédigé son testament en faveur de Mme de Flahaut que, par ses apprêts funèbres, il mettait aux champs. Il se promenait avec un petit pistolet… D’autre part, il exposait à Mme de Flahaut en larmes que les adversaires de la constitution civile du clergé se préparaient à l’égorger, et que, afin d’éviter leurs mauvais coups, il recourrait à son arme…
(Bernard de Lacombe)
1904
Journal inédit du baron de Hubner
Dimanche 21 novembre. – Plébiscite aujourd’hui et demain… Louis-Napoléon a donné ce soir un petit bal à Saint-Cloud. La compagnie était mêlée : le corps diplomatique, les femmes des ministres, la marquise de Contades, la jeune et belle Mlle de Montijo, fort distinguée par le Président, la comtesse de Bernsdorff, femme du ministre de Prusse à Londres, quelques Bonaparte et une foule d’êtres inconnus et rien moins qu’élégants. Même Flahaut, ce louangeur fervent du fils de la reine Hortense, trouva que c’était par trop démocratique.
Jeudi 25. – Persigny, Morny, Flahaut, le nouveau ministre de la guerre le général Saint-Arnaud, le nouveau ministre de la police M. de Maupas, probablement aussi Carlier, qui s’est rapproché du Président dans ces derniers temps, étaient seuls initiés dans l’entreprise…
1907
Un compagnon de Cadoudal – Journal d’une soeur
Mardi 12 juin, 7 heures du matin. – Que penser de l’étrange aventure de cette nuit ? Il était environ minuit ; j’étais depuis deux heures dans mon lit, y cherchant en vain un repos qui me fuit depuis longtemps, lorsque j’ai été tirée d’une sorte d’assoupissement où je venais de tomber par le bruit de plusieurs chevaux parcourant la petite et paisible rue que j’habite et par celui de quelques voix prononçant mon nom ; sans trop savoir ce que je fais, ni ce que je dis, je donne ordre d’ouvrir ; ma jardinière des Clobilles, qui est ici depuis peu de jours, m’obéit, et, après avoir fait entrer dans la maison ceux qui demandent à me parler, sans le laisser le temps de m’habiller, introduit dans ma chambre un grand et beau jeune homme en uniforme tout chamarré de broderies, couvert de décorations et traînant après lui un sabre long et pesant qui frappait avec fracas chacune des marches de mon très modeste escalier. C’est donc en me renfonçant dans mes draps que je donne audience au brillant, quoique nocturne messager.
Il me dit être le comte de Flahaut, aide de camp du prince Murat, venant de la part de la princesse Caroline, soeur de l’empereur, m’informer que Son Altesse m’attend, à 9 heures du matin, dans son château de Villiers-la-Garenne, à 2 lieues de Paris, pour de là me conduire et me présenter à l’empereur…
(Robert d’Humières)
1908
Notes inédites de Napoléon
On connaît la Correspondance de Napoléon Ier en trente-deux volumes in-4°, publiée de 1858 à 1869, en vertu d’un décret de Napoléon III, daté de Boulogne, 7 septembre 1854. Deux commissions collaborèrent successivement à ce monument historique. La première, présidée par le maréchal Vaillant fut composée de sept membres : baron Charles Dupin, comte Boulay de la Meurthe, Prosper Mérimée, général Aupick, Armand Lefèvre, Chabrier, Chassériau et Perron, auxquels vinrent s’adjoindre successivement Cucheval-Clarigny. La seconde, instituée le 3 février 1864, sous la présidence du « bien-aimé cousin » le prince Napoléon, fut composée de cinq membres : le comte Valewski , Amédée Thierry, le comte de Laborde, Sainte-Beuve et le colonel Favé.
1909
A travers notre épopée militaire
… Quelques jours avant le passage du Niemen, il (Napoléon) reçut Belliard à Koenigsberg, en présence de Murat et de Flahaut, et parla avec abandon de ses vues politiques sur la Pologne.
1912
L’abrogation des lois d’exil en 1871
… Cela a été de plus une immense satisfaction pour moi de me sentir en communion avec celui qui représente si dignement et qui sert si bien ici notre pays dans un pareil moment. Pour comprendre ce sentiment, il faut avoir été pendant de longues années en face des Flahaut, des Persigny, etc… , et s’être toujours trouvé obligé de regarder comme des ennemis implacables ceux qui portaient à l’étranger le drapeau de la France. (Lettre inédite au feu comte d’Haussonville)
1913
Pendant la première Restauration
… Soit par esprit de contradiction, soit par faiblesse pour son ami Flahaut, Hortense n’en continua pas moins à recevoir de jeunes colonels qui ne dissimulaient point la persistance de leur fidélité napoléonienne, et qui, comme Lawoestine et la Bédoyère, déblatéraient contre les cosaques en présence de l’ambassadeur Pozzo di Borgo…
1925
Le secret du coup d’Etat du Deux décembre
Sous ce titre, nous arrive d’Angleterre, par un singulier ricochet du hasard, un livre tout débordant de curieux détails sur les événements de décembre 1851 à Paris…
Dans les derniers jours de décembre 1851, il y eut, à l’Elysée, des conciliabules entre trois hommes que n’unissait aucun lien de famille, et qui, cependant, étaient proches de sang. Ces origines mystérieuses, inavouées, douteuses du reste pour l’un d’eux, les avaient rapprochés. Le coup d’Etat, préparé de loin par tant d’autres circonstances, sortit de là, tout monté, dans sa forme dernière. Deux de ces hommes en étaient connus depuis longtemps comme les machinateurs principaux : le Prince-Président et Auguste de Morny. Le troisième, le comte Charles-Auguste de Flahault de la Billarderie, se découvre aujourd’hui comme un acteur important du drame. Pourquoi cette révélation si tardive ?
Le comte de Flahault avait épousé une Anglaise. Il passa, à partir de 1815, une partie de sa vie en Angleterre. Sa correspondance et tous ses papiers y restèrent aux mains de ses héritiers. Le rôle qu’il avait joué en 1851 ne le satisfaisait lui-même qu’à demi. Il ne flattait pas outre-mesure sa famille. Flahault en parla peu dans la suite ; sa famille pas du tout. Les papiers s’endormirent au fond de quelque bibliothèque. Il fallut un hasard, le zèle de M. Philip Guedalla pour l’histoire de notre Second Empire, la connaissance qu’il eut de cette source d’informations, l’empressement du comte de Kerry, arrière-petit-fils de Flahault, à la lui ouvrir, pour provoquer la découverte. Ces messieurs s’avisèrent alors qu’ils avaient entre les mains des documents dont on n’avait pas, jusqu’à présent soupçonné l’intérêt. Ils les publient aujourd’hui.
Ces papiers sont d’abord des lettres écrites de Paris par le comte à sa femme, restée en Angleterre. Ce sont aussi des lettres de Morny au comte ; celles-ci malheureusement trop peu nombreuses. Il est évident que beaucoup d’entre elles n’ont point été conservées. Ce sont encore quelques pièces émanant d’hommes d’Etat anglais. C’est enfin le rapport adressé par M. de Maupas, préfet de police, au Prince-Président, le 25 décembre 1851, au sujet du nombre des victimes du coup d’Etat. Ce rapport était resté introuvable jusqu’à présent, justement parce qu’il était dans les papiers de Flahault.
On ne saurait trop remercier les deux éditeurs d’avoir mis au jour cette précieuse information, entièrement inédite. Le public français leur en sera particulièrement reconnaissant. Il regrettera seulement que les nécessités de la publication en Angleterre les aient contraints à traduire dans leur langue des pièces rédigées originairement en français. C’est le cas pour toutes les lettres de Morny. Flahault écrivait à sa femme en anglais. Les pièves traduites sont marquées d’un astérisque.
Le comte de Flahault était né en 1784 ? (plutôt 1785 !) d’un vieux gentilhomme de l’Artois et d’une très jeune femme qui ne le rendit pas heureux. L’abbé de Talleyrand, sur le point de devenir évêque d’Autun, fréquenta assidument le ménage. Il marqua pendant longtemps un vif attachement pour le fils qui en était né. De là des suppositions qu’on devine . Le vieux gentilhomme périt sous la guillotine, à Arras, en 1792. La jeune femme émigra, tint pendant quelques temps, en Suisse, compagnie au duc d’Orléans, devenu professeur sous le nom de « M. Corbie », puis épousa un diplomate portugais, M. de Souza. Les relations variées de la mère furent utiles au fils. Elevé en Angleterre, puis en Allemagne, le jeune homme fut introduit par Talleyrand dans l’armée de Bonaparte. Il y fit une carrière rapide. En 1815, il était, à Waterloo, aide de camp de l’Empereur.
Il n’avait pas réussi seulement dans l’armée. Sa belle prestance et son esprit lui avaient valu de grands succès mondains. Il devint l’amant d’Hortense de Beauharnais, reine de Hollande. Un fils leur naquit, en 1811, dont on cacha soigneusement l’origine. M. de Souza lui trouva une famille d’adoption dans Jean-Hyacinthe de Morny et Emilie Coralie, sa femme. On prétendit encore que Flahaut était le père du Prince Louis, le futur Empereur Napoléon III. C’était, du moins, un bruit répandu dans la famille Bonaparte elle-même, car un jour, en 1849, le prince Napoléon, le fils de Jérôme, au cours d’une scène violente, jeta tout crûment l’injure au visage de son cousin. L’écho de cette algarade parvint de Flahault qui, de Londres, écrivit à Morny (lettre du 4 mai) en démentant le fait en termes voilés, qui ne sont peut-être pas décisifs.
Réfugié en Angleterre en 1815, le jeune général, de retour de Waterloo, y épousa, et c’est bien cela du roman, la fille de l’amiral Keith, qui venait d’embarquer avec allégresse l’empereur Napoléon sur le Bellerophon. Ce fut, pendant quinze ans, la vie de grand seigneur anglais ou de laird écossais. En 1830, « M. Corbie » étant devenu roi des Français, fit de Flahault un ambassadeur à Berlin, puis le premier écuyer du jeune duc d’Orléans, puis son ambassadeur à Vienne. La révolution de 1848 les renvoya tous les deux en Angleterre.
C’est à cette date que commence la correspondance actuellement publiée. Son titre est un peu ambitieux. On n’y trouve pas, il faut le dire tout de suite, le secret du coup d’Etat. Celui-ci n’en a plus pour nous, semble-t-il, depuis longtemps. Mais elle nous livre quantité de détails curieux qui nous remettent, avec la vivacité et la netteté d’impression du témoin oculaire, dans l’atmosphère du moment et elle nous donne des précisions qui nous manquaient. Flahault occupe, à cet égard, une situation unique : père de l’agent principal du coup d’Etat, confident de son bénéficiaire, intime de la famille d’Orléans, qui va en subir bientôt le rude contre-coup, répandu dans la société anglaise et écouté de certains ministres de la reine Victoria dont l’attitude devant l’événement importe tant, il est au carrefour où se croisent toutes les actions du drame. Cela donne à son témoignage une incomparable valeur.
Il y eut cependant un secret du coup d’Etat, avant le Deux-Décembre. On avait cru, jusqu’à présent, que cinq personnages seulement l’avaient partagé, avec le Prince-Président : Saint-Arnaud, de Persigny, de Maupas, Mocquard et de Morny. Il faut désormais joindre à eux le comte de Flahault.
C’est par Morny, son fils, qu’il y fut introduit.
… Morny était en relations constantes avec la famille de Flahault. Sous la Restauration, le comte avait fait plusieurs voyages à Paris, accompagné parfois de sa femme et de ses enfants…
… La date envisagée pour le coup fut changée à plusieurs reprises. On l’avait placée d’abord en septembre, pour la reculer en octobre, puis au 20, puis au 25 novembre. On la fixa enfin au 2 décembre. Flahault arriva à Paris le 5 novembre et descendit chez son fils, chez « Auguste ». Jusqu’au 3 décembre, les lettres qu’il écrivit en Angleterre, à sa femme, furent naturellement insignifiantes :
– Vous ne pouvez vous imaginer la confusion qui règne ici dans les affaires et dans les esprits (11 novembre)
– La situation devient grave et je serais bien étonné si cela pouvait aller longtemps sans conflit entre les pouvoirs (13 novembre)
– Vous ne pouvez pas vous imaginer combien les parlementaires ont l’oreille basse [après le rejet de la proposition des questeurs.] On raconte que Thiers est furieux contre tout le monde. On le dit malade ; la langue de nouveau couverte d’aphtes. Il est puni par où il a péché (19 novembre).
– Le fait est que la situation s’échauffe trop pour que l’incendie n’éclate pas prochainement, je dirai même très prochainement. L’Assemblée est un répugnant ramassis d’intrigants (24 novembre)
– L’agitation dans laquelle on vit ici m’eût beaucoup convenu quand j’étais jeune, mais ne me convient plus maintenant. Et cependant cela ne peut qu’aller crescendo. Les anciens chefs de la majorité perdent chaque jour du terrain et je ne crois pas que Broglie et Molé puissent disposer d’une douzaine de votes. Il serait vain de songer à combiner quoi que ce soit avec eux. Si, avec Changarnier, ils avaient tenu pour le Président, ils seraient devenus les maîtres du pays. Actuellement ils ne sont plus rien. Vous avez été mal informés au sujet de l’artillerie ; elle est aussi bien disposée que l’infanterie et que la cavalerie. Tout ce monde a plus besoin d’être retenu qu’excité. Chaque jour l’Assemblée tombe dans un plus grand discrédit. Bref, elle est à l’état de dissolution. (30 novembre)
Tout ceci mêlé au petit détail des commissions conjugales : bas, camisoles, chapeaux, échantillons pour un costume. Le conspirateur a le temps de visiter le magasin de Mlle Palmyre et de compter le nombre des volants d’une robe.
Il va aussi dans le monde. Le 30 novembre, l’avant-veille du coup, il dîne chez Mme de Vatey :
Nous étions dix, dont deux députés et un colonel (un très beau militaire), et voici la conversation qui s’échangea. Je dois vous dire d’abord que quelqu’un avait rappelé comment, quinze jours auparavant, deux régiments revenant d’une revue et passant devant la Chambre avaient, de parti pris, bousculer un groupe de représentants qui se tenaient sur les trottoirs. Un des deux députés du dîner s’en plaignit : Le colonel, qui ignorait sa qualité, dit : « Que voulez-vous, c’est l’esprit de nos soldats. Nous n’aimons pas les bavards, et, au lieu de les bousculer, nous aurions préféré les jeter dans la Seine. » Le Député : « Mas, permettez, colonel, j’ai l’honneur d’être député, et ce que vous dites là ne serait pas aussi facile que vous voulez bien le croire. » – Le colonel : « Monsieur, je vous demande bien pardon. Je ne savais pas que vous étiez député, sans quoi je ne me serais pas permis de dire une chose qui a pu vous être désagréable. Mais enfin c’est dit, et tout ce que je puis ajouter, c’est que j’espère que vous savez nager ! » (Lettre du 1er décembre)
Enfin voici le récit du coup. Il est daté du 3 décembre. On y sent toute l’émotion de l’entreprise, et un peu de remords.
« Hier fut un jour plein d’événements et d’inquiétudes, non seulement à raison de l’incertitude sur le tour que les choses pourraient prendre, mais aussi à raison de celles qui devaient être exécutées : car ce n’est pas sans regret qu’on entreprend d’arrêter d’honnêtes gens dont le seul crime est d’être vos adversaires politiques. Enfin telle était la décision et quand je vous aurai dit que depuis jeudi dernier tout ce qui a été fait était résolu, vous comprendrez que ceux qui étaient dans le secret aient éprouvé quelque anxiété. Du nombre étaient non seulement Auguste [de Morny], Saint-Arnaud, Maupas, (je crois Persigny) et moi-même, et jamais secret ne fut mieux gardé ni plan mieux exécuté. [Puis la fibre paternelle s’émeut :] Auguste a été héroïque, rien ne peut dépasser son courage, sa fermeté, son bon sens, sa prudence, son calme, sa bonne humeur, sa gentillesse, son tact pendant que tout cela se passait. Et en même temps très simple ; une absence totale de vanité ou de suffisance. Ceux qui l’aiment peuvent être fiers de lui. [Au surplus, tout va bien : ] Les choses marchent aussi bien qu’on puisse le souhaiter et paraissent maintenant simples et faciles, mais je vous assure que, lorsque nous nous levâmes, à cinq heures, et allâmes à l’Assemblée au moment où elle fut occupée, cela n’était rien moins que rassurant.
L’ancien aide de camp de Napoléon Ier fut donc bien du coup dont il connaissait le secret vraisemblablement dès le milieu de novembre. Il y participa activement par ses conciliabules avec le Prince, par sa présence à l’Assemblée aux premières heures de la journée historique. A sept heures du matin, il rentre chez son fils, après avoir accompagné celui-ci de l’autre côté du pont de la Concorde, vers le ministère de l’Intérieur dont il allait prendre possession, et écrit à sa femme un court billet pour lui annoncer l’événement. A huit heures, il est à cheval, dans la cour de l’Elysée, à la disposition du Prince, qui, par un mot daté du 2 dès le matin, l’a invité : « Mon cher général, je vous verrai avec grand plaisir venir avec moi à cheval ce matin… » Il figure dans la cavalcade qui, le Président en tête, vers onze heures, parcourt la rue Royale, la place de la Concorde, le Carrousel, le Quai d’Orsay, pour visiter les troupes qui y sont massées. Durant les trois premiers jours de l’action, il ne quitte pour ainsi dire le ministère de l’intérieur, « pour aider Auguste et parce que lui et ses collègues m’ont prié d’assister à toutes leurs délibérations ». Depuis que le calme est rétabli, il n’y va plus que de temps en temps. « Ils auraient voulu me voir du Conseil, mais je leur ai dit que cela était impossible » (Lettre du 10 décembre)
Le comte de Flahault a donc tout su et il a participé à tout. Que son fils l’eût gagné à l’idée du coup, la suite l’a bien prouvé, mais quelques passages de la correspondance révèlent qu’il était venu à Paris avec une autre idée et qu’il travailla d’abord à l’élaboration d’un plan différent. Le 6 décembre, il écrivait à sa fille, lady Shelburne :
« Quand je me résolus à venir ici, j’avais pour but de ménager une réconciliation entre les chefs de la majorité et le Président, de telle sorte que le coup d’Etat, que tout le monde considérait comme indispensable et inévitable avant 1852 (si l’on voulait sauver le pays) fut l’acte concerté des pouvoirs exécutif et législatif. Je trouvai la plupart des membres de la majorité bien disposés et le Président m’autorisa à donner son assentiment ; mais il ajouta en même temps que, le moment venu, je trouverais les chefs, que j’avais vus et jugés hésitants, incapables et sans autorité. Je persistai cependant, mais survinrent alors successivement la proposition des questeurs, puis la loi sur la responsabilité du Président, dans laquelle la proposition des questeurs devait être de nouveau insérée. – Toutes ces mesures furent critiquées par Broglie et ses amis et cependant ils les votèrent, et, quoique la proposition des questeurs [de donner à l’Assemblée le commandement direct des troupes] eût été repoussée, à cause de la répugnance de la Montagne à donner au Président ou à l’Assemblée ce pouvoir, ce qui eût été le mettre aux mains de Changarnier, on sut cependant qu’un accord était intervenu par lequel le général aurait été Cavaignac, ce qui assurait le vote de la Montagne et l’adoption du projet primitivement repoussé. Le résultat eût été la guerre civile entre l’armée présidentielle et l’armée parlementaire, la capitale et le pays inondés de sang et le triomphe inévitable de la République démocratique et sociale. On savait aussi que, le jour où la proposition des questeurs fut repoussée, il avait été décidé que le Président serait décrété d’accusation et envoyé à Vincennes ; et, de plus, une conspiration en faveur du Prince de Joinville n’attendait qu’une occasion pour éclater… Le danger pressait. Les complots étaient mûrs et pouvaient éclater d’un moment à l’autre. C’est dans ces circonstances qu’il fallut prendre une résolution. Devait-on permettre à l’Assemblée de poursuivre son agitation factieuse jusqu’à ce qu’elle eût voté la destruction du pouvoir présidentiel, puis le chasser, en risquant l’effusion de sang, du lieu de ses séances, ou était-il nécessaire de faire ce qui a été fait ?…
Le problème politique de novembre 1851 est posé, dans ces lignes, avec une netteté qu’on n’a pas toujours trouvée ailleurs. On en voit les données et l’on saisit la thèse des bonapartistes : l’Elysée a conspiré pour déjouer les trames qui le menaçaient de droite et de gauche. Y eut-il, en effet, à cette époque, un complot orléaniste ? Une lettre de lady Palmerston à Mme de Flahault, du 21 janvier 1852, le donnerait à penser (lire cette lettre) : « L’un des étrangers, écrit-elle, qui étaient à Claremont au moment du coup d’Etat, m’a dit que la princesse de Joinville s’écria, dans son chagrin et ses lamentations sur la ruine de ses espérances : « Et moi qui croyais être à Paris le 20 ! »
L’une des pièces les plus curieuses de la publication est le second rapport adressé par Maupas, le 25 décembre, au Prince-Président, sur le nombre des victimes de ce que l’on devait appeler plus tard » une opération de police un peu rude. » Il avait disparu de nos archives. On sait maintenant pourquoi : Morny l’avait envoyé, dès le début de janvier, à Flahault, afin que celui-ci pût démentir les bruits exagérés qui circulaient à Londres à ce sujet. Il n’y réussit qu’imparfaitement. Le Times refusa l’insertion et le Morning Post reproduisit le texte inexactement, en grossissant le chiffre des morts, volontairement ou non, d’une centaine [315 au lieu de 215] . Le document resta ensuite enseveli dans les papiers de son détenteur occasionnel. En voici le passage essentiel :
« Je n’ai point encore la statistique du ministère de la guerre que j’ai réclamée et qui complettera (sic) mon travail. En dehors donc de la troupe, le nombre des morts est de 215, dont 127 tués sur les barricades et 88 morts des suites de leurs blessures ou tués accidentellement sans avoir pris part à l’émeute. Le nombre de ces regrettables accidents est de 8 à 10 environ. Le nombre des blessés est de 115, sans compter ceux que la crainte des poursuites a pu soustraire à nos recherches. »
Mais il faut nous hâter dans cette lecture si débordante d’informations. Arrivons à la question qui mot aux prises les complices de la veille et opposa, dans Flahault, son affection pour le Prince-Président à l’attachement qu’il marquait à la famille d’Orléans, les célèbres décrets du 22 janvier confisquant les biens de celle-ci.
Il avait vu venir le coup de très loin. Dès le 10 décembre, il écrit à sa femme :
« Les d’Orléans ne sont pas prudents en agissant comme ils le font. En restant tranquilles et en exprimant leur respect pour toute décision prise par la France, ils auraient amélioré leur situation pour toute éventualité future. J’en suis fâché pour eux, mais il n’est pas possible de sacrifier le pays à leur intérête, sans la moindre chance de leur faire aucun bien. S’ils commettent quelque imprudence, ils mettront en danger leurs biens. »
Il revient à la charge le 17, sachant bien ce qu’il fait, car sa femme a assez de relations avec les hôtes de Claremont pour y pouvoir communiquer un bon avis :
« Je crois bien que Thiers va achever de tourner la tête des pauvres gens de Claremont et leur faire prendre une attitude hostile au Président, alors qu’ils auraient intérêt à se rallier au sentiment populaire et se réjouir de voir le pays sauvé. Ils ne devraient pas oublier qu’ils ont ici pour 200 millions de biens et qu’il ne manque pas de gens qui en conseillent la confiscation. »
Le Prince-Président écouta ces derniers. On a toujours cherché les motifs qui le déterminèrent. Flahaut crut pouvoir les donner à Palmerston au cours d’un entretien qu’il eut avec lui, en février 1852. Louis-Napoléon était convaincu que les d’Orléans employaient leurs revenus à soudoyer la presse anglaise contre lui et que c’étaient eux qui encourageaient l’hostilité de la reine Victoria et du Prince Albert à son égard. Palmerston observa :
« Je ne connais actuellement qu’une tentative de corruption, à l’égard du Times, et c’était simplement pour obtenir son silence qu’on lui payait 250 000 francs. Je doute que cette accusation portée contre les princes d’Orléans ait aucun fondement. Pourquoi auraient-ils eu besoin de payer le Times ? Il n’était que trop enclin aux attaques violentes et autres. Les pages en étaient remplies. »
Morny avait fait une vive opposition aux décrets. Il quitta le ministère à leur apparition. Quatre jours plus tard, il écrivait à son père (lettre du 26 janvier) :
« Vous savez que, dans le passé, je vous ai, à l’occasion, parlé très franchement au sujet du P[rince]. Depuis le 2 décembre j’ai appris à mieux connaître encore son caractère. Et d’abord il n’a de réelle amitié pour personne ; moins peut-être pour moi que pour d’autres, – et puis ma position particulière est une gêne pour lui, et la vôtre aggrave encore l’affaire. Je vous ai caché bien des choses. Au moment où vous pensiez à entrer dans le gouvernement, vous étiez animé du seul désir d’aider le Prince et d’affermir son pouvoir, et vous pensiez sans doute que votre suggestion lui serait agréable. Mais rien ne pouvait lui déplaire davantage et il n’y eût jamais consenti. Il supportait ma présence de mauvaise grâce, et mes services mêmes l’importunaient. Il n’a jamais été plus désagréable à mon égard qu’à ce moment-là. Il est méfiant et ingrat. Il n’aime que ceux qui lui obéissent servilement et le flattent. Quand il eut besoin de votre aide, en Angleterre, il vous la demanda, et il ne vous a jamais pardonné votre refus (de l’ambassade de Londres en février 1851). Il ne pouvait trouver personne d’autre, pour le 2 décembre, aussi s’est-il servi de moi. J’ai risqué ma vie ; j’ai accompli ma tâche, mais peu importe ; je barre la route ; je ne suis ni un esclave, ni un sycophante ; je suis congédié comme inutile. »
Le sens de l’honneur, chez les deux gentilshommes, s’était cabré devant l’acte grossier de spoliation brutale, conseillé et justifié, à grands renforts d’arguties, par des légistes à toutes besognes. Ainsi se dénoua, au moins pour un temps, l’union qui avait rapproché ces trois hommes du même sang, en décembre. Flahaut nous donne un curieux récit de l’explication qu’il eut à ce sujet avec le Prince. Il l’a dicté, vers 1865, à l’une de ses filles. Venu à Paris, en février 1852, après les décrets rendus, il fut reçu par le Prince à deux reprises, et fort longuement. Il conseilla avec véhémence la restitution des biens. Il invoqua l’opinion de l’Europe, celle de Palmerston. Le Prince fut inébranlable. Son interlocuteur né révèle pas les raisons qu’il invoqua. Peut-être se réfugia-t-il dans le silence doucement entêté dont il était coutumier. Il objecta cependant que, la décision étant prise, revenir sur elle paraîtrait faiblesse. le comte lui répliqua : « Je suis loin de croire que personne puisse vous accuser de faiblesse. Je crois, au contraire, que la colonne de la place Vendôme, qui a été érigée pour la statue de votre oncle, ne serait pas jugée assez haute pour supporter la vôtre. » – « Il me fut aisé de voir, poursuit-il, que ces paroles avaient produit sur lui un effet considérable, mais il ne voulut pas céder, et un long silence suivit. Enfin je lui dis tristement : « Eh bien ! Monseigneur, je regrette du fond du coeur que vous persistiez dans cette malheureuse idée. Je n’hésite pas à vous dire que vous la regretterez aussi quand il sera trop tard, et qu’elle sera pour vous ce que la condamnation du duc d’Enghien fut pour votre oncle. – Oh ! s’écria-t-il, ce fut une affaire bien différente. – Oui, Monseigneur, autant qu’un assassinat diffère d’un vol ».
En effet, dans Paris, à la même heure, Dupin allait parlant du « premier vol de l’aigle »
Maurice Claudel
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