Adélaïde Filleul, comtesse de Flahaut, puis comtesse de Souza

Adélaïde Filleul
Comtesse de Flahaut, puis comtesse de Souza

Ses origines
Sa jeunesse
Premier mariage
Son portrait
Sa liaison avec Talleyrand
Exilée et romancière
Deuxième mariage
Nourrice de Morny
Fin de vie tourmentée
articles


Ses origines

Née le 14 mai 1761, fille de François Filleul, fermier général, commissionnaire en vin de la région de Falaise et d’Irène de Longpré, très belle et noble dame, Adélaïde fut orpheline dès son jeune âge.

Mais son origine est douteuse, mêlée au mystère du Parc aux Cerfs, « la maison de Versailles où le roi calfeutrait ses maîtresses de passage pour y accoucher dans le mystère, avant de les en extirper nanties d’une dot et mariées, à titre de dédommagement, avec tel ou tel personnage désigné par Sa Majesté. » (1)

En effet, beaucoup prétendirent qu’elle serait la fille de Louis XV ; ce qui laissa supposer que le sang des Bourbons serait mêlé chez Flahaut à celui des Périgord, et à Morny à celui des Beauharnais. Mais la plupart des contemporains pensent que la naissance « royale » concernerait plutôt sa soeur aînée Julie, qui épousa Abel Poisson, marquis de Marigny et frère de Madame de Pompadour.
Georges Bordonove, dans son ouvrage sur Talleyrand et Pierre de Lacretelle, dans son ouvrage « Secrets et malheurs de la reine Hortense » prétendent qu’Adélaïde pourrait être la fille du fermier général Bouret.
Emmanuel de Waresquiel donne plus de détails sur la question : « Son marchand de père, obscur drapier à Falaise, Charles-François Filleul, avait trouvé le moyen d’acheter une charge d’écuyer secrétaire du roi, grâce à la « fraîcheur » de sa jeune femme, Louise Dubuisson, qui très vite troquera sa petite ville de province pour Paris où elle se fera remarquer du richissime fermier général Etienne-Michel Bouret, le trésorier général de la maison du roi, dont elle deviendra la maîtresse et par lui sans doute celle du roi lui-même. De Bouret, elle aura deux filles. L’aînée, « la belle Julie », épouse en 1767 le frère de Mme de Pompadour, le marquis de Marigny, directeur des bâtiments du roi, qu’elle trompera abondamment, entre autre avec le cardinal de Rohan … » (2)
Le baron de Maricourt, biographe des familles Marigny, Flahaut et Morny, reste plus prudent : « Que faut-il croire de cette méchante histoire? Rien sans doute, puisqu’aucun document n’est là pour la confirmer. Là où les textes ne parlent point – inexorables – il est préférable de ne point accréditer la tradition, surtout lorsqu’elle nuit à la réputation d’une femme. Parmi les historiens, les uns la recueillirent et les autres la repoussèrent. La légende cependant demeura tenace, puisqu’elle était scandaleuse. » (3)

Sa jeunesse

Mariés le 20 janvier 1747 dans la chapelle du château de Longpré, ses parents donnèrent naissance à sa soeur Julie (15 juillet 1751), puis à Adélaïde (14 mai 1761).
Ses deux parents succombèrent la même année (1967) ; sa mère d’une fièvre lente « qui avait pour cause une humeur âcre dans le sang » et son père, ruiné et sans ressources, délaissé par sa famille, d’un suicide dont on ne connaît même pas la date exacte.
Orpheline à l’âge de 6 ans, Adélaïde sera placée dans un couvent de Paris. Sa personnalité en sera marquée à toujours : « Dans l’atmosphère calme et pure du cloître, elle recueillit comme un précieux dépôt qu’elle livra sans jalousie au public, en les plaçant dans ses livres plus que dans son orageuse existence, ce je ne sais quoi de très délicat, très frais et très reposant qui se pourrait appeler l’estampille de la vie conventuelle. » (4)
Chaque année, elle se rendait au Mesnil de Longpré pour les vacances, chez un vieil oncle. Ce fut l’école de la nature, développant ses émotions et sa créativité.
Elle quitta la pension à l’âge de 15 ans et fut accueillie par deux femmes : Mme de Séran et Mme de Marigny ; elle apprit les bonnes manières, mais aussi la corruption des moeurs. La vie tumultueuse des époux Marigny ne fut pas un exemple de premier choix, et elle assista à leur violente rupture. Elle suivit sa tutrice à l’Abbaye-aux-Bois, asile pour veuves de haut rang et femmes délaissées.

Premier mariage

Mme de Marigny tenait salon à l’Abbaye-aux-Bois. Parmi les hôtes assidus, se trouvait une homme d’une cinquantaine d’année : Alexandre-Sébastien de Flahaut de la Billarderie, comte de Flahaut, né à Nesle au diocèse de Beauvais, le 18 janvier 1726, maréchal de camp et enseigne des gardes du corps de Sa Majesté dans la compagnie de Villeroy.
Il fut séduit par la jeunesse d’Adélaïde, et déclara sa flamme auprès de Mme de Marigny qui profita de l’opportunité en encourageant ce projet d’alliance entre un officier général, jouissant des honneurs de la Cour et sa jeune soeur, sans naissance et sans fortune.
Les éventuels désagréments liés à la différence d’âge et de condition sociale furent dissipés, et le mariage fut célébré à Paris en l’église Saint-Jacques du Haut-Pas, le 30 novembre 1779.
Par la suite, Adélaïde garda un amer souvenir de cette union sans amour. Elle retranscrit ses sentiments dans l’un de ses ouvrages romanesques : « On célébrait au couvent le mariage d’une jeune personne qui avait été élevée dans cette maison. Adèle était parée avec éclat et couverte d’argent et de diamants. Cette magnificence contrastait fort avec son extrême pâleur. Immédiatement après venait un vieillard goutteux, se traînant appuyé sur deux personnes qui avaient peine à le soutenir et, s’il n’avait pas eu l’air très souffrant, son extrême parure l’aurait rendu bien ridicule… Que de réflexions ne suggèrent pas ces mariages d’intérêt où une malheureuse enfant est livrée par la vanité ou la cupidité de ses parents à un homme dont elle ne connaît ni les qualités ni les défauts. Alors il n’y a point l’aveuglement de l’amour… » (5)
Bien entendu, il s’agit d’un roman, la vérité est quelque peu exagérée par rapport à sa situation personnelle. M de Flahaut fut aussi un homme droit, soucieux du bonheur de son épouse. (voir sa page biographique)
Le couple s’installa au Louvre, vaste caravansérail envahi par une foule de personnes attachées à la Cour. Ils y restèrent pendant 12 années pendant lesquelles Madame de Flahaut développera une existence mondaine, en tenant un salon.

Son portrait

« Elle est mieux que jolie. Elle est charmante… La bouche petite, aux lèvres minces, est inquiétante, décelant une tendance marquée à l’ironie qu’atténue, il est vrai, l’expression d’intelligente bonté du regard.  Ce regard, il est profond, il est attachant…
Chez Mme de Flahaut, le moral est aussi attirant, aussi complexe que l’expression du visage… Les qualités qui, à tous les âges de sa vie, la caractérisent entre toutes sont sa bonté extrême et le rare et parfait équilibre de son esprit et de son coeur… Ame compatissante, affective, âme sensible, elle avait une soif intense de se dépenser en dévouement et en tendresse jointe à une indulgence souvent exquise et parfois excessive pour les faiblesses humaines, car, ne jugeant point pour n’être point jugée, elle ne condamnait personne. » (6)


portrait miniature appartenant à Mme la marquise de Rio Maior

Sa liaison avec Talleyrand

Dès l’ouverture de son salon au Louvre (salon plus intime que très fréquenté), elle sut attirer la sympathie des plus grands, grâce à son intelligence et son esprit raffinés. Un esprit libéral et constitutionnel dominait les échanges de ce salon.
On y retrouva la princesse et le prince de Beauvau, le comte de Luxembourg, le comte Louis de Narbonne, le duc de Lauzin (Biron) le marquis de Montesquiou-Fezensac, le comte Louis-Philippe de Ségur, le comte de Chastellux et sa femme, la comtesse d’Albany (voir leur correspondance).
Se joignirent de même au salon : Vicq-d’Azyr, M de Buffon, M de Condorcet, M et Mme Lavoisier et peut-être l’abbé Morellet et M Suard.
Parmi eux, l’abbé de Périgord, habitué des salons aristocratiques et littéraires ne quittait presque plus Adélaïde, reléguant le comte de Flahaut au rôle de figurant, position dont il s’accommodait. Il l’accompagnait lors de visites, spectacles ou l’emmenait danser.
Le Journal de Gouverneur Morris explicite de façon régulière cet attachement réciproque qui eut pour conséquence prévisible la naissance d’un garçon, le 21 août 1785, qui fut nommé Charles de Flahaut de la Billarderie.


Mme de Flahaut et son fils Charles, par Mme Labille-Guiard. (B.N. – Plon)

Le vieux mari reconnut la naissance de cet enfant, et le couple continua à vivre en bonne intelligence apparente.
Gouverneur Morris, ambassadeur des nouveaux Etats Unis d’Amérique, fut un ami intime pour elle. Ses relations avec lui furent assez troublantes, la jalousie tenaillant les prétendants et le mari officiel.

Exilée et romancière
Elle joua un rôle discret mais important en 1789. Son caractère mesuré et son allergie aux extrémismes, elle soutenait la cause révolutionnaire, tout en défendant les intérêts de la famille royale. Gouverneur Morris puisait dans son salon toutes sortes d’informations et s’évertua à aider à élaborer une Constitution favorable à la fois au peuple et à la Monarchie.
De même elle se spécialise dans l’intrigue, comme « conseillère » de Talleyrand, spéculant sur son avenir personnel.
Mais ses efforts n’aboutirent point : elle perdit sa pension, son mari perdit son emploi au Jardin du Roi pour des raisons de diminutions budgétaires, mais sans doute aussi parce qu’il était passé au rang des suspects.
En 1792, la mort guette les aristocrates, la vie de salon disparaît. Beaucoup émigrent ou cherchent à se faire oublier.
C’est le départ pour Londres, avec son fils Charles. Elle ne peut plus compter sur Talleyrand, parti vers d’autres conquêtes, Mme de Staël en particulier.
Son mari connut une mort tragique et héroïque. Il fut emprisonné pour une affaire de faux assignats, mais sa famille monnaya son évasion. Son défenseur officieux fut arrêté à sa place. Il ne souffrit pas qu’un innocent puisse périr à sa place, et se livra à la justice le jour même. (voir sa condamnation)

Elle trouva alors dans l’écriture un moyen de subsister et d’assurer une éducation correcte à son fils Charles. Elle écrivit successivement :
Adèle de Sénange, 1794
Emile et Alphonse, 1799
Charles et Marie, 1802
Eugène de Rothelin, 1808
Eugénie et Mathilde, 1811
La Comtesse de Fargy, 1822
Mademoiselle de Touron, 1822

(voir la notice de Sainte-Beuve sur Madame de Souza et ses ouvrages)

En octobre 1794, Mme de Flahaut rejoint le général Montesquiou à Bremgarten, en Suisse, après une escale en Hollande, puis à Utrecht.
Elle fit la connaissance d’un jeune professeur, un certain M de Corbie, qu’elle reconnut aisément : il s’agissait en fait du duc d’Orléans, que protégeait Montesquiou. Mme de Flahaut fut sa confidente ; certains affirment que leur relation fut plus qu’une amitié.  » Il s’est dit de plus à cette époque, que le jeune prince n’avait pas été insensible à la grâce, à l’amabilité de la comtesse de Flahaut, qui, plus âgée que lui, unissait alors à toutes les séductions de l’esprit les charmes non moins sûrs de la seconde jeunesse. » (7)
Gouverneur Morris proposa d’aider le duc à se rendre en Amérique. Mme de Flahaut l’accompagna jusqu’à Hambourg, puis à Kiel.
Elle vécut à Hambourg de 1795 à 1797. Puis c’est le retour de l’exil. Elle fut radiée de la liste des émigrés, sous la protection vigilante de Talleyrand. Charles de Flahaut, son fils, est toujours avec elle, enrichi de compétences linguistiques, puisqu’il parle déjà couramment le français, l’allemand et l’anglais.
Elle se consacra alors à nouveau à l’écriture.

Deuxième mariage

Elle fréquenta à nouveau les salons parisiens, les soirées fastueuses, où elle cotoie le monde diplomatique.
Elle y rencontra un de ses admirateurs, M de Souza, gentilhomme et diplomate de Portugal, ministre plénipotentiaire en Suède. Il était veuf depuis 1785.
Le mariage fut célébré le 17 octobre 1802. Ils s’installèrent 12 rue d’Anjou, puis, après plusieurs déménagements, M de Souza acheta un hôtel particulier, situé 6 grande rue Verte.

Nourrice de Morny

Charles de Flahaut connut alors une carrière militaire fulgurante. Sa rencontre « organisée » avec la reine Hortense fut concrétisée par la naissance « secrète » du duc de Morny.
Le jeune enfant fut élevé par sa grand-mère, Mme de Souza. C’est ce que prévoyait en effet le testament du sieur Demorny, le père fictif. (voir le testament de Jean Demorny) En effet, la reine Hortense tenait à préserver la clandestinité de ce fils illégitime, et Charles de Flahaut particiait alors aux plus grandes campagnes napoléoniennes.
Elle l’éleva avec beaucoup de tendresse et veilla particulièrement sur son éducation.
Elle écrivit à son fils Charles : « Je vis presque seule, tu devines combien il m’est nécessaire d’avoir Auguste et comme je l’aime (.) Quand tu reviendras, nous le mettrons en pension. D’ici là, comme dit papa [M de Souza] avec raison, le mal, si tant est qu’il y en ait, est fait et il n’y a plus que la consolation d’avoir auprès de moi un petit être qui m’aime et que j’aime. » (8)
M de Souza lui donna ses premières leçons de latin. Charles de Flahaut demanda à sa mère de placer le jeune Auguste dans la pension Muron. Il parla le grec et l’anglais avec facilité.
Gabriel Delessert fut ensuite choisi comme tuteur.
En 1823, Charles de Flahaut revient en France et s’occupe des études du jeune Auguste.

Fin de vie tourmentée

Son fils Charles fut la fierté de sa vie. Elle n’était pas étrangère à ses parcours (militaire et sentimental).
Les campagnes napoléoniennes la faisaient vivre dans une crainte perpétuelle. Elle s’en entretenait très souvent avec son ami M Le Roi, et avec la comtesse d’Albany, avec laquelle elle échangea de nombreux courriers.
A la chute de l’Empire, son fils échappa de peu à la mort grâce sans doute à l’intervention de Talleyrand, ce qui ne fut pas le cas de son ami La Bédoyère.
En 1817, elle eut la joie d’assister au mariage de son fils avec miss Mercer Elphinstone, fille de Lord Keith, une des plus grosses fortunes d’Angleterre.
La santé du couple Souza s’étiola peu à peu. Ils terminèrent leur vie au milieu de leurs familles et de leurs fidèles amis. leurs dernières forces furent consacrées à des travaux littéraires.
Mme de Souza perdit sa soeur aînée Julie dans une horrible agonie, son amie Mme d’Albany en février 1824, son mari M de Souza la même année, puis sa petite-fille Clémentine-Marie-Hortense décédée à Paris le 5 janvier 1836. Elle vit disparaître de même
Elle écrivit « la duchesse de Guise », une tragédie qui n’eut pas un grand succès, puis « Louis XII » un roman historique qui ne fut jamais terminé.
Elle s’installa à l’hôtel de Hollande.
Epuisée et malade, elle mourut le 19 avril 1836.
Le caveau funéraire de la famille de Souza est situé dans le cimetière du Père-Lachaise, section 30, ligne 8.


Ouvrages et articles sur Mme de Flahaut – Souza :

Le portefeuille de la comtesse d’Albany
Un roman de l’émigration :Mme de Flahaut peinte par Mme de Souza (article de A. Esmein / Revue politique et parlementaire n°164 Tome LV – année 1908)
Mémoires de Bertrand-Molleville (émigration grâce à madame de Flahaut)
Souvenirs de madame Vigée-Lebrun
Histoire de la Littérature française (1879) Les Romanciers
Mémoires de l’abbé Morellet
notice de Sainte-Beuve sur Madame de Souza et ses ouvrages


(1) Christophe Robert, Le Duc de Morny (Hachette 1951)
(2) Emmanuel de Waresquiel, Talleyrand le prince immobile (Fayard 2003)
(3) Baron de Maricourt, Madame de Souza et sa famille (Emile-Paul Frères 1914)
(4) Baron de Maricourt, Madame de Souza et sa famille (Emile-Paul Frères 1914)
(5) Adèle de Senange, Madame de Souza (Charpentier 1840)
(6) Baron de Maricourt, Madame de Souza et sa famille (Emile-Paul Frères 1914)
(7) Dr Véron, Mémoires d’un bourgeois de Paris (Librairie nouvelle 1857)
(8) Jean-Marie Rouart, Morny, un voluptueux au pouvoir (Gallimard 1995)