" Je ne puis vous exprimer combien votre lettre m'a touchée et les larmes que j'ai versées sur vous, ma très chère Madame, et sur le sort de celui que je n'oublierai de ma vie, de celui dont les brillantes qualités et la jeunesse devaient vous promettre un avenir si satisfaisant.
" Le courage de celui que nous pleurons pouvait promettre une glorieuse carrière.
" Mais moi qui, depuis vingt-cinq ans, connaît tout ce que l'esprit de parti a de cruel, je n'ai pas espéré un instant pour lui dès qu'il a été arrêté.
" Vous le savez, je n'ai jamais espéré.
" Je suis charmé qu'il ait écrit à sa mère, qu'elle doit souffrir ; je n'ai pas trouvé le courage de lui écrire, et cependant j'ai été bien occupée d'elle.
Mme de L.V. est toujours arrêtée ; (Mme de La Valette. Après être demeurée longtemps en prison, elle fut transportée dans une maison de santé, d'où elle fut élargie après acquittement. Son mari, compromis dans un complot impérialiste à Lyon, fut incarcéré à son tour, puis condamné à dix ans de bannissement et dix ans de surveillance (cf. Journal des Débats. 4 septembre 1816, Vaulabelle, op. cit., IV, p. 94, etc.). Sans ressources, les La Valette s'expatrièrent et partirent pour l'Amérique. Après de tragiques aventures, M. et Mme de La Valette y moururent bientôt de la fièvre jaune ainsi que plusieurs de leurs enfants. Un de leurs fils qui survécut fut le marquis de La Valette, né à Senlis en 1806, ambassadeur à Londres, puis ministre des Affaires étrangères sous le second Empire, qui épousa Mlle de Flahaut, sa cousine, fille de Charles de Flahaut.) on ne veut pas lui rendre les 10.000 francs en or, qu'elle portait sur elle le jour où, si celui que nous pleurons avait voulu y consentir, il vivrait encore.
" On a ôté à son mari sa place, mais elle ne regrette pas ce qu'elle a fait.
" Avec quelle joie et quel orgueil (m'a-t-elle écrit) je l'aurais rendu à sa femme et à sa famille.
" Si dans quelque temps Monsieur votre frère (Le comte de Chastellux, marié à la comtesse de Vogué née Damas. On sait que la famille de Chastellux était tout entière dévouée à la monarchie.) aîné veut parler pour qu'on rende à son mari sa place ou une équivalente, je pense que ce ne sera que justice et d'ailleurs une bien bonne action, car ils ont cinq enfants et aucune fortune !
" Je n'ai point encore reçu de lettre de mon fils. Qu'il sera malheureux !
" C'est seul qu'il apprendra cette perte affreuse dont son coeur saignera toute sa vie.
" Ce qui peut vous donner une espèce de consolation (s'il en peut être), c'est l'intérêt général que votre mari a inspiré. Excepté deux personnes, deux femmes, tout le monde en a dit du bien, tout le monde a pleuré sur lui et sur vous ; mais celles-là sont folles.
" Dans le moment où chacun devrait rallier tous les esprits, tous les intérêts autour du Roi, on ne s'occupe qu'à récriminer, à aigrir, et ce sont les personnes qui se disent les plus attachées à sa cause qui, en professant des haines irréconciliables, éloignent tous ceux qui voudraient de bonne foi servir le Roi et n'être que Français.
" Adieu encore ! Que je vous plains ! Que je sens toutes les peines qui doivent briser votre pauvre coeur. Donnez-moi quelquefois de vos nouvelles, de celles de ce pauvre petit enfant qu'il aimait tant. Permettez-moi de vous embrasser et de vous assurer que personne au monde n'a plus partagé tous vos sentiments que moi. Avec quelle profonde douleur je l'ai pleuré ! Ah ! que je souffre et que j'ai souffert de cet horrible malheur ! "
* Madame de Souza et sa famille (baron André de Maricourt / Emile-Paul frères / p.299-301)
30 août 1815 | Madame de Souza à Madame de La Bédoyère | compassion
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