Les Salons d’autrefois souvenirs intimes Mme la Comtesse de Bassanville

Les Salons d’autrefois
souvenirs intimes

Mme la Comtesse de Bassanville

J.Victorion / Paris

p.146
… Mais que nous voilà loin du salon de la place Vendôme, où il est grand temps que nous revenions un peu car la réunion y est brillante et animée ! Mêlons-nous au premier groupe. C’est la comtesse de Flahaut, non notre charmant auteur français, mais sa belle-fille, lady Margaret Elphenstone, qui tient la clé de la concersation, et quoi qu’anglaise, elle le fait marcher à ravir.
Lady Margaret qui n’avait pas hérité de la haine que l’amiral Keith, son père, avait pour Bonaparte, et dont il donna tant de preuves durant sa vie politique et militaire, causa au noble lord un des plus grands chagrins domestiques qu’un père puisse éprouver, en se mariant sans son consentement à un aide-de-camp de l’Empereur. Lady Margaret avait vingt-sept ans quand le général de Flahaut vint chercher un asile en Angleterre, brillant de la double auréole de la gloire et de la proscription.
M. de Flahaut, simple gentilhomme français, était le fils de cette charmante femme de beaucoup d’esprit qui, sous le nom de madame de Flahault et de madame de Souza, a composé de petits romans pleins de grâce, d’esprit et de sentiment ; elle était fort amie de M. de Talleyrand, et l’on peut presque dire que le jeune Charles de Flahault a fait ses premiers exercices de cavalerie à califourchon sur la béquille du grand diplomate.
Qualques années après il prit du service, fut aide-de-camp de Murat, et, plus tard, du prince de Neufchâtel. Si la carrière de M. de Flahault n’a pas été éclatante, elle a du moins été honorable, et quelques actions assez brillantes justifient son titre de général de division et de grand-officier de la Légion-d’honneur. Ses fonctions d’aide-de-camp de l’Empereur lui ont valu une sorte de réputation militaire dans l’armée, et sa longue commensalité chez M. de Talleyrand le fait passer dans le corps diplomatique pour un homme politique.
Mais, pour arriver au voyage que M. de Flahault fit en Angleterre et qui fut l’occasion de son mariage avec l’héritière de la pairie d’Elphenstone, il est indispensable de dire que l’aide-de-camp de Napoléon suivit, en 1814, la nouvelle fortune de M. de Talleyrand et adhéra à la déchéance de son ancien maître ; il répudia sa baronnie de l’Empire pour reprendre sa couronne de comte de l’ancien régime et il plaça à sa boutonnière la croix de Saint-Louis à côté de ses décorations impériales. Les Cent-Jours le revirent auprès de l’Empereur qui oublia son ingratitude, et le nomma pair en 1815. Après la seconde Restauration, M. de Flahault dut à M. de Talleyrand de ne pas être sur la liste des 22, on mit à sa place le colonel Marbot. M. de Flahault quitta cependant la France et alla grossir le nombre des fidèles qui se groupaient au château de Prégny, en Suisse, autour de la reine Hortense qui était le ministre dirigeant de ce petit Coblentz bonapartiste. Il suivit la reine de Hollande à Aix, en Savoie, où le roi de Sardaigne lui fit l’honneur de le croire dangereux, et lui rendit le service de l’éloigner de ses états. C’est à cette époque que M. de Flahault se retira en Angleterre, où il parvint à se soustraire aux conséquenxces de l’allien-bill en se faisant naturaliser Anglais, après avoir placé quelques fonds dans la banque d’Ecosse, usant ainsi du bénéfice d’une ancienne loi presque tombée en désuétude et que le Parlement se hâta bien vite d’abroger pour n’en être plus la dupe.
L’opposition bonapartiste anglaise adopta M. de Flahault comme un des martyrs de la Restauration ; lady Holland en fit son Mentor, et la Minerve britannique ouvrit à ce nouveau Télémaque les portes des bals aristocratiques d’Almack, où commença cette séduction puissante qui devait amener une pairesse d’Angleterre à la cour de Louis-Philippe. Lady Margaret ne put pas plus résister à M. de Flahault, que lady Hamilton n’avait résisté au chevalier de Grammont, et lady Barymore au duc de Lauzun : il y a une fascination irrésistible qu’exerce l’oeil d’un gentilhomme français sur le coeur d’une Anglaise, fascination qui se termine toujours par la perte de son âme. L’incendie fit des progrès rapides dans le coeur de lady Margaret : les filles mûres pour le mariage, dont parle Virgile, sont encore plus incandescentes que les veuves mêmes ; aussi, malgré les répugnances paternelles, la majorité venant en aide au contrat et constatant que lady Margaret-Mercer Elphenstone était, comme la dame de Vertallure, fille de tous ses droits usante et jouissante, le mariage fut conclu en dépit de l’opposition du vieil amiral. Par rancune, lord Keith déshérita sa fille et ne lui laissa que le schelling que la loi oblige le père à laisser à l’enfant exhérédé, et qui doit lui servir, selon le proverbe anglais, à acheter une corde pour se pendre de regret, ce qui justifie la devise un peu obscure des armes de la famille d’Elphenstone : Cause caused it.
Lady Margaret devenue comtesse de Flahault, se crut obligée de devenir en même temps une femme politique ; elle passait pour très-active, très-remuante et très-habile dans les intrigues de salon : elle jouissait d’une réputation de femme d’esprit dans le Grovesnor-Square, dans St-James-Square, et surtout à Calton-House ; alors elle se jeta à corps perdu dans les relations diplomatiques, devint l’amie intime de madame de Lieven, alors femme de l’ambassadeur de Russie à Londres, et de la comtesse Bourke, femme du ministre du Danemark. Elle admit aussi dans son petit sanhédrin politique lady Oxford et madame Hutsckinson.
La haine des Bourbons n’était pas implacable ; aussi M. de Flahault eut-il la permission de rentrer en France avec sa femme, qui fut admise dans la société intime de l’hôtel de la rue Saint-Florentin. M de Flahault avait renoncé à être un homme politique, Madame de Flahault se chargea de ce rôle : elle entretint des correspondances très-actives avec Madame de Lieven, et retrouva à Paris son amie, la comtesse Bourke. Elle fut réduite, les dernières années de la Restauration, à une vie de coterie, d’opposition, et la révolution de juillet la trouva toute disposée à meubler un des fauteuils du Palais-Royal, où elle fut accueillie avec empressement.
Madame de Flahault qui n’a jamais eu la prétention d’être une jolie femme, a mérité la réputation de femme d’esprit : les personnes de sa société ont eu à se plaindre de l’amertume de ses plaisanteries, des traits malins de sa conversation et des caprices de son imagination : mais seulement avant 1830, car depuis elle avait renoncé dans la nouvelle cour à ces petites perfidies de la Restauration ; si bien qu’elle fut citée pour la bonté de son caractère, la tolérance de ses opinions, l’indulgence de ses jugements : alors elle trouvait tout parfait, hommes et choses ; si bien que la reine Marie-Amélie l’avait surnommée familièrement la bonne dame Marguerite.