Note curieuse de M. de Monmerqué sur M. et Mme de Flahaut

Cette note, qui était intercalée dans l’exemplaire des Mémoires de Bertrand Molleville, de la bibliothèque de M. de Monmerqué, nous appartient aujourd’hui (M. de L.)
Les autographes et le goût des autographes en France et à l’étranger …(par Mathurin Lescure)

Madame la marquise de Souza me racontoit que M. le comte de Flahaut, son premier mari, s’étoit gravement compromis vis-à-vis des révolutionnaires par sa belle conduite au 10 août. Le marquis de Viomesnil y avoit été blessé, et M. de Flahaut lui donna le bras à travers le jardin des Thuileries pour le conduire chez l’ambassadeur de Venise (rue Saint-Florentin, aujourd’hui l’hôtel Talleyrand). Il n’eut plus qu’à se cacher, et il écrivit à sa femme d’aller de très-bonne heure chez Mehée de la Touche et de tâcher de lui obtenir un passeport. (Mehée de la Touche étoit secrétaire adjoint de la commune du 10 aôut. Voyez la Biographie des vivants de Michaud.) Quand Mad. de Flahaut se présenta, Mehée étoit en peignoir entre les mains de son coiffeur. Cet homme se retire et Mad. de Flahaut annonce l’objet de sa visite ; Mehée dit qu’il n’a pas envie d’être guillotiné, qu’aucune considération ne pourrait le déterminer à délivrer un passeport à M. de Flahaut. « Voilà bien des passeports, dit-il en mettant la main sur un paquet de papiers, mais vous n’en aurez pas ; ma vie seroit compromise. » Peu d’instant après, il demande la permission de passer dans une autre pièce pour ôter son peignoir, et Mad. de F., se voyant seule, porte rapidement la main sur les passeports dont elle prend une poignée. « J’espère que vous m’en laisserez » s’écrie Mehée, qui avait tout vu à travers une porte vitrée. « Mais, ajouta-t-il, cela ne peut pas vous servir, il n’y a pas de signature ; en voilà un qui la porte, je vous le confie à la condition que vous me le remettrez demain. » Les passeports furent pendant la nuit revêtus de fausses signatures, et M. de Flahaut se rendit à Boulogne.
Ce fut un de ces passeports que Mad. de F. donna à M. Bertrand de Molleville qui s’embarqua à Boulogne, comme il le raconte ; mais ce qu’il ne dit pas, c’est que, par ses imprudences, il causa la perte de M. de Flahaut. Un jour que ce dernier étoit avec le perruquier, on apporte une caisse venant d’Angleterre et envoyée par M. Bertrand. Ignorant ce qu’elle pouvait contenir, M. de Flahaut l’ouvre devant le coiffeur ; elle étoit remplie de faux assignats de la fabrique des princes. M. de Flahaut fut aussitôt dénoncé, arrêté, et il périt révolutionnairement.