lettre de Madame de Souza à la comtesse d’Albany | Paris, le 22 décembre 1823

La Comtesse d’Albany
Lettres inédites de Madame de Souza (et d’autres…)
(Le Portefeuille de la comtesse d’Albany : 1806-1824, par Léon-G. Pélissier)


 Les annotations (en italique) sont de Léon-G. Pélissier ; Les passages [entre crochets] sont dans Saint-René Taillandier ; « Néné » est le surnom que Mme de Souza a donné à Charles de Flahaut, son fils ; les sujets concernant Charles de Flahaut sont reproduits en rouge ; l’orthographe ancienne est respectée.

 lettre de Madame de Souza à la comtesse d’Albany
Paris, le 22 décembre 1823

 

[Ma très bonne amie, je vous souhaite une bonne année un peu à l’avance, afin que ma lettre vous arrive à temps. Personne, pas même Félicité, ne vous chérit plus que je ne le fais, ne forme plus de voeux pour votre bonheur, pour votre santé. Ce dernier point surtout m’occupe et pèse sur mon coeur : car votre bonheur est assuré dans votre caractère, dans votre raison qui vous ne manquera jamais ; et quoiqu’elle vous laisse voir les gens et les choses comme ils sont, votre bonté, votre indulgence, vous portent à vous accomoder de tout. Quand vous avez levé une de vos épaules, votre humeur est passée : il n’y faut pas plus de tems, l’autre épaule ne bouge même pas. Vous ne vous êtes jamais apperçue de cela, mais je l’ai remarqué plusieurs fois, en bénissant cette aimable bienveillance.]

Ma santé est comme vous l’avez laissée, celle de mon mari est toujours bien faible. Cependant il est mieux cet hiver que l’année dernière. Il s’occupe, il travaille, et ne se ronge plus par des ruminations inutiles sur les affaires de son pays où il ne peut rien. Qui sait ? devroit âtre la devise de tous les hommes ; peut-être y seroit-il bien empêché s’il étoit dans le gouvernement.

Nous avons eu ici de belles fêtes pour le retour de M le duc d’Angoulême, dont tout le monde dit du bien. Je voudrois qu’il le sçut, sans pouvoir soupçonner la flatterie de se mêler aux louanges qu’on lui donne : c’est ce qui lui arriveroit, s’il s’avisoit de voyager déguisé comme le sultan.

Nous avons un abominable hiver ; c’est un tems gris au ciel, crotté sur terre, et pas encore du froid. Le fameux hiver de 1709 n’a commencé qu’au 6 janvier. Il faut encore craindre, mais je ne sais pas si je ne préferrais (sic) point la gelée aux brouillards, qui nous empeschent d’y voir et de respirer.

Je vous ai écrit une grande lettre il y a trois semaines, mais je crains que vous ne l’ayez pas reçue. Car j’ai découvert qu’un nouveau laquais, pour s’éviter d’aller jusqu’à la poste, l’a remise dans une boete près de chez moi. J’ai bien grondé, mais qu’y faire ? Il soutient toujours que la lettre a dû vous arriver (La lettre est en effet arrivée. Voir plus haut). Je vous mandois que la galerie achetée par le prince Eugène étoit la galerie Arese ; mais d’après toutes sortes d’informations, il paroit que ce tableau est un Murillos (sic) ; et en cela je rends encore hommage à M Fabre qui, du premier mot m’a dit que c’étoit de l’école espagnole. Comment va sa goute par ce vilain tems ? Je le crois mauvais à tout.

[Adieu encore, ma très chère amie, dites-moi que vous vous portez bien : c’est le plus grand plaisir que vous puissiez me faire, et l’annonce d’un petit voyage à Paris serait les plus belles étrennes que vous pourriez me donner. J’aimerais mieux voir entrer dans ma chambre cette figure si sereinne, ces yeux qui rient, que tous les tableaux de Raphaël, car je vous aime bien sincèrement et d’une affection bien tendre, ma vraie amie.]

ADELE

[Le portefeuille de Mme d’Albany]