(Le Portefeuille de la comtesse d’Albany : 1806-1824, par Léon-G. Pélissier)
Paris, le 10 juin 1823 |
Ecoutés-moi, ma très bonne amie, je vous donne ma parole d’honneur, ma foi d’ancienne et véritable amitié, que je n’ai reçu qu’une seule lettre de vous, depuis votre départ, et le petit mot que votre Hélène m’a apportée. Pendant que vous m’accusiez, je vous boudois, je m’affligeois et m’écriois : « O mes amis, il n’y a plus d’amis ! »
Je ne sais qui s’est amusé à garder vos lettres, mais si celle-ci lui passe par les mains, qu’il sache qu’il m’a fait une vraie peine, et que je lui permets de lire toutes les lettres qui me sont adressées, mais que je le supplie de ne point les jetter au feu après.
[Je suis charmée que mes petits romans figurent dans votre vieille bibliothèque, il me semble que votre libraire a été bien longtemps à vous les envoyer.]
Nous venons de passer par un assaut terrible. Le fils de M de Souza (Le comte de Villaréal) s’était joint à M d’Amarante (Le comte d’Amarante, chef du parti absolutiste, souleva le Traz-os-montes contre la Constitution de 1820, dont personne ne se souciait. Les absolutistes donnant la victoire, les dispense de recourir à la guerre civile.) et jusqu’à ce que ce parti l’ait emporté, vous devez juger les angoisses que nous avons eues ; mon mari ne vivoit pas, et il s’affaiblissoit à vue d’oeil. Enfin, le voilà hors de peine : son fils est réintégré dans sa place de ministre à Londres.
Votre Hélène est charmante, gaie, naturelle ; enfin elle me convient tout à fait. Je n’ai pas encore vu son mari. Est-il aussi aimable ?
[Je félicite bien M Fabre des belles acquisitions qu’il a faites, et je l’envie. Son Raphaël surtout me va au coeur. Que je voudrois qu’il me tombât du ciel assés de fortune pour aller vous voir d’abord, et puis aller glâner après lui, dans cette belle et riche Italie.]
[On dit que Rome est le pays de la terre où l’on est le plus tranquille ; que chacun y prie Dieu dans sa croyance, (Cf. dans une des lettres suivantes de Mme d’Esmangard, ce qu’elle dit des mesures vexatoires prises contre les Juifs.), et que votre ami, le cardinal G… (Consalvi) et son souverain le Saint-Père (Pie VII, alors âgé de plus de quatre-vingts ans.) entendent vraiment la liberté civile et religieuse. Tous les Anglais qui repassent par ici les portent aux nues, ainsi que votre grand-duc. Florence, Rome, voilà la terre promise au milieu de cette belle Italie, que le ciel et les arts devroient rendre si brillante et si heureuse.]
[Donnez-moi de vos nouvelles, ma très chère amie.] Parlez-moi avec détails de votre santé ; ce petit accident que Moreau appele un catharre continue-t-il ? [L’été lui sera favorable, à ce que j’espère. Je suis charmée que M Fabre soit guéri de la goute, et qu’il ait recommencé à travailler. C’est un grand plaisir, et nous jouirons de ses ouvrages.]
Et vous, ma très chère amie, [passez-vous toujours votre tems à lire ? Moi, j’ai un roman dans la tête, mais pendant la saison des roses, je ne suis occupée que de mon jardin et cette occupation est une niaiserie, une muserie, une perte de temps dont je devrois être honteuse, si on pouvait l’être de ces petits bonheurs si simples, et dont on jouit s’en (sic) presque s’en apercevoir. Je vous embrasse. Je vous aime de tout mon coeur, et il en sera de même jusqu’à mon dernier jour. Félicité se porte bien. Ecrivez-moi, et parlez-moi avec détails de votre santé. Voilà ce qui m’intéresse vraiment. Quant à vos injustes reproches, je les aime mieux que du silence ; mais je ne les mérite pas, ma bonne et chère amie. Souvenez-vous de moi, et dites mon Adèle comme vous dites mon Hélène. J’ai un droit d’ainesse que je ne lui cède point.] Mille complimens à M Fabre.