lettre de Madame de Souza à la comtesse d’Albany | Paris, le 10 juillet 1812

La Comtesse d’Albany
Lettres inédites de Madame de Souza (et d’autres…)
(Le Portefeuille de la comtesse d’Albany : 1806-1824, par Léon-G. Pélissier)


 Les annotations (en italique) sont de Léon-G. Pélissier ; Les passages [entre crochets] sont dans Saint-René Taillandier ; “Néné” est le surnom que Mme de Souza a donné à Charles de Flahaut, son fils ; les sujets concernant Charles de Flahaut sont reproduits en rouge ; l’orthographe ancienne est respectée.

 lettre de Madame de Souza à la comtesse d’Albany
Paris, le 10 juillet 1812

 

Que je suis triste, mon excellente amie, de vous écrire encore, lorsque je devrois vous attendre, et recevoir de vous toutes les consolations que votre amitiés me donneroit, j’en suis bien sûre, et que votre raison me feroit concevoir. J’ai reçu des nouvelles de Charles du 24 juin après le passage du Niémenn. (Le passage du Niémen commença à la minuit du 23 au 24 juin. Cf. Vandal, op. cit., p.180.) Je n’en ai pas depuis quatre jours et les premières me font trembler. Ils souffroient beaucoup de la chaleur. Pour nous, nous souffrons du froid, et Bertrand lorgne la cheminée vide, regarde avec inquiétude les portes ouvertes, et va fermer les fenêtres, si, par une sorte de respect pour le mois de juillet, on s’avise de les ouvrir.

Papa est dans un accès de mélancolie, et non seulement j’ai mes inquiétudes que je renferme, mais j’ai les siennes à consoler, et (Malheureusement effacé) ce sont toutes les certitudes passées, tous les probables à venir, qui le tourmentent. Enfin, enfin je souffre bien, je vous assure. Et je ne le die qu’à vous. Ne me répondés même pas sur cet article, mais jugez, mon excellente amie, combien je serois heureuse de vous avoir, et de faire avec vous des promenades où le grand air et l’exercice me redonneroient de la force pour le reste de la journée. Au moins envoyés-moi votre portrait que vous m’avés promis et envoyés-moi aussi ce Carlino que vous m’avés donné, et que vous dites qui ressemble à Néné. Vous et Néné, voilà de quoi me faire bien plaisir, et je vous certifie qu’il y a longtems que je n’ai eu un mouvement de plaisir. Ma figure ne rit plus, comme vous disiez.

Mme votre soeur se porte à merveille. L’impératrice Joséphine part le 15 pour (Milan où effacé) aller assister aux couches de la vice-reine. (Sa belle-fille, la princesse Auguste, femme d’Eugène de Beauharnais. V. Masson, Joséphine répudiée, p.276) Pendant ce tems, Mme d’Arberg ira à Bruxelles.

Mille complimens à M Fabre. Quand il aura fini son grand tableau, j’espère qu’il regagnera Paris et je regrette bien de ne pas voir le Sallon avec lui. On dit que son tableau de la famille du duc de Feltre (Voir les lettres de Mme Clarke à Fabre, actuellement inédites à la Bibliothèque de Montpellier et réservés pour une prochaine publication.) gagne tous les jours. C’est qu’il sait faire de la chaire, ce qui nous manque à présent.

Ma bonne amie, que j’aye un beau portrait de vous, que je l’aye le plus tôt possible, puisque vous retardés encore votre arrivée, voilà ce que mon coeur vous demande.

La princesse de Neuchatel a eu des nouvelles du 26 (Le passge du Niémen ne s’achevait que ce jour-là), et il n’y avoit pas eu de battailles encore.

Le cardinal Albani est-il marié ? Avez-vous des nouvelles de votre ami ? (probablement le cardinal Consalvi) Votre pension vous est-elle bien payée ? Adieu, chère, chère et bonne amie, croyés-vous revenir ? Dites-le moi en conscience ; faudra-t-il que je vous aye retrouvée pour ne plus vous revoir ? ce me seroit une peine bien sensible, je vous assure, car je vous aime de tout, tout mon coeur, ma bonne, mon excellente amie : la casa vous offre hommage et respect. Priez pour Charles, ce sera prier pour moi.

La voisine a été malheureuse de la mort de Mme de Fitz-James. Quelle perte ausssi que celle d’une amie qu’on voyait tous les jours depuis quarante ans ! Elle est allée à la campagne voir son fils. – Je lui dirai votre souvenir à son retour, qui sera dans une huitainne. Elle y sera bien sensible, car elle sait toute votre bonté.

[Le portefeuille de Mme d’Albany]