lettre de Madame de Souza à la comtesse d’Albany | le 18 janvier 1811

La Comtesse d’Albany
Lettres inédites de Madame de Souza (et d’autres…)
(Le Portefeuille de la comtesse d’Albany : 1806-1824, par Léon-G. Pélissier)

 Les annotations (en italique) sont de Léon-G. Pélissier ; Les passages [entre crochets] sont dans Saint-René Taillandier ; « Néné » est le surnom que Mme de Souza a donné à Charles de Flahaut, son fils ; les sujets concernant Charles de Flahaut sont reproduits en rouge ; l’orthographe ancienne est respectée.

 lettre de Madame de Souza à la comtesse d’Albany
le 18 janvier 1811

 

D’ici à quelques temps il est inutile, ma très chère, d’écrire à la personne qui vous a envoyé du chocolat d’essais pour mon mari. Quand nous en aurons besoin, nous vous en demanderons ; mais c’est du chocolat de santé qu’il nous faut, et celui dont vous prenés est trop fort, je vous assure. En tout (sic) cette double vanille est bien mauvaise pour les nerfs ; et sans y renoncer tout à fait, puisqu’une longue habitude vous y fait tenir, au moins mettez y quelqu’intervalle. Demandez à M Fabre si je n’ai pas raison. Moi, je suis pour la gourmandise comme pour tout : modération, et prudence.

Que je vous aime pour oser vous donner ainsi des conseils de docteur, et qui, je suis sûre, vous déplairont. Mais je vous aime de tout mon coeur, et avec cela tout s’excuse.

Il fait un temps affreux. Néné a pris l’éméthique aujourd’hui. Il était jaune de bile, et je suis sûre que cela lui a évité une vraie maladie : c’est l’opinion de Bourdais (Celui qu’elle appelle ailleurs le grand médecin ; le petit médecin est Moreau.)

Nous ne sommes occupés qu’à acheter des manchettes de dentelles et des habits habillés. On ne parle pas d’autre chose. J’ai peur que cela ne nuise au brillant de la cour, car ces costumes étaient superbes. Mais cela encouragera et alimentera les manufactures de Lyon, et c’est un grand bien. Et puis, nous autres dames d’un moyen âge quand nous avons dit : « On fesait comme cela autrefois, nous sommes contentes. »

Je ne veux point de vos Christ, ni de vos martyrs, mais bien de ces belles figures ascétiques qui respirent antre ciel et terre.

La vierge à la table de marbre blanc avec sa guirlande de fleurs, voilà ce qui m’est resté dans la tête. Sil y avait quelques-uns de ces Louis de Bavière à dix-huit louis, ce serait bien beau : mais voilà tout ce que je désire, car pour ces vraies beautés qui font frémir, je les regarde comme des cochemars qui me font frissonner. En tout, ma chère amie, rien de noir, pas même du chocolat. Ce n’est bon qu’au grand soleil et l’été.

Adieu, ma bonne, ma vraie amie, je vous aime de toute, toute mon âme. Ne me répondés point sur le chocolat de mon mari, car il croirait que je vous manque de respect en ajournant ainsi vos bontés.

On m’a donné le petit tableau de Richard (François Fleury-Richard (1777-1852) ; cf les Annales de Landon, IV, p.13, Guizot, Salon de 1810, et Benoît, L’art français sous l’Empire, p.354) représentant Gil Blas dans la cuisine de Begard, M Fabre se le rappelle-t-il assez pour me dire si c’est digne de ma superbe collection ? Je suis folle avec mes tableaux.

Adieu, ma bonne et vraie amie, toute la casa vous chérit, vous honore, et n’a qu’un cri après vous. Mille mille reconnoissances et remerciemens pour le souvenir de l’alchermès. Vous flattés toutes nos gourmandises, mais l’on m’a déjà signifié que je n’en goûteraispas. En tout, on croit que ce qui me contrarie me fait du bien. Je dirais presque comme Notre Seigneur : « Pardonnez leur, mon Dieu, ils ne savent ce qu’ils font. » J’accepte le mariage pour la petite ; cependant, l’aticle de la religion fera un grand effet sur la grand mère, à laquelle on ne parlera que lorsque vous croirez la chose fesable. Mais que vous êtes bonne, excellente, de pensez ainsi à tous mes intérêts.

[Ma chère amie, je me sens d’un tranquille, d’une certitude, de pouvoir toujours m’appuyer sur votre coeur, me réfugier près de vous si j’avais des peines. Près de vous mes déf auts trouveroient de l’indulgence, mes qualités de l’affection : enfin, avec vous, je suis moi, telle que Dieu m’a faite, sans crainte de perdre votre amitié, sans désirer me faire meilleure que je ne suis, sans le faux semblant de me dire plus mauvaise que je ne crois l’être ; je suis moi, et vous pourriez voir mon coeur à jour sans que je voulusse être connue par vous autrement que je ne me connais moi-même. Ma bonne amie, quel bien votre amitié me fait ! et quel bonheur de se dire à tous les instants : « Il y a une âme qui recevra toutes les impressions de la mienne ! » Adieu, chère, chère amie, au mois de juin. Ah ! C’est pour moi cette année que le printems sera vraiment la saison des roses.]

Mille complimens à M Fabre. La casa lui dit mille choses.


[Le portefeuille de Mme d’Albany]