1857 | Charles de Flahaut à Brialmont | campagne de 1815

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Contenu de la correspondance

Monsieur,
Je viens de lire la relation de la campagne de 1815, qui termine le 2è volume de votre histoire du Duc de Wellington, et je ne puis résister au désir de vous exprimer la satisfaction que, malgré la tristesse de ces souvenirs, j'ai éprouvé à la lecture de ce morceau d'histoire, qui se distingue par l'impartialité avec laquelle vous racontez les événements et jugez les hommes qui y ont pris part… J'espère que vous ne trouverez pas mauvais que je vous fasse connaître quelques faits qui ne pouvaient pas être parvenus à votre connaissance et qui sont de nature à modifier l'opinion que vous avez exprimée sur la part qu'ont eue les Maréchaux Ney et Grouchy dans les résultats de cette campagne.
Peut-être le meilleur moyen de parvenir au but que je me propose est-il de vous faire le récit de ce qui s'est passé sous mes yeux, ou dont j'ai eu connaissance personnelle. L'Empereur m'a, comme vous le dites, dicté à Chaleroi entre 8 et 9 hres du matin, une lettre pour le Maréchal Ney, dans laquelle il lui fesait connaître la manière dont il avait distribué l'armée sosu ses ordres et ceux du Maréchal Grouchy, et l'informait (autant que je puisse m'en souvenir) de l'opération qu'il allait entreprendre avec ce dernier, le corps du comte de Lobau, et la Garde Impériale, contre l'armée prussienne : mais quant aux ordres de mouvements, je fus chargé de les porter verbalement au Maréchal Ney. Je lui donnai donc de la part de l'Empereur l'ordre de se porter sur les Quatre-Bras, d'occuper fortement ce point important, et (si les forces qu'il rencontrerait le lui permettaient) d'appuyer le mouvement de l'Empereur sur l'armée prussienne avec toutes les troupes dont il pourrait disposer.
Après lui avoir donné cet ordre vers onze heures, ainsi que je l'ai dit dans ma lettre au duc d'Elchingen que vous citez, je me portai en avant et je rencontrai assez près des Quatre-Bras le Général Lefèvre Desnouettes avec sa cavalerie. Je restai avec lui en attendant l'arrivée des troupes du Maréchal Ney, et nous vîmes, assez loin, en face de nous, des états-majors anglais qui paraissaient examiner la position. Le Général Lefèvre Desnouettes fit tirer quelques coups de canon sur eux, bien qu'ils fussent hors de portée.
Enfin, le Maréchal Ney parut et l'affaire s'engagea, mais il n'y eu point d'ensemble dans les dispositions. On attaqua comme on dit, le taureau par les cornes, lançant des troupes successivement à mesure qu'elles arrivaient, et malgré la bravoure qu'elles déployèrent , on n'obtint aucun résultat.
La nuit venue, chacun garda sa position. Je soupai avec le Maréchal Ney et me mis ensuite en route pour rejoindre l'Empereur. J'arrivai à Fleurus entre 6 et 7 heures du matin. Le Maréchal Ney n'ayant pas eu le temps de faire son rapport, m'avait chargé de rendre compte à l'Empereur de ce qui s'était passé. Mon récit ne lui causa pas une grande satisfaction.
Vers 10 heures nous montâmes à cheval et après avoir parcouru le champ de bataille, nous rejoignîmes la chaussée. Là, l'Empereur prit congé du Maréchal Grouchy en lui adressant ces paroles, dont je me souviens comme si cela s'était passé hier. " Allons Grouchy, poursuivez les Prussiens, l'épée dans les reins ; mais communiquez toujours avec moi par votre gauche. "
Vous voyez donc, Monsieur, que quant au Mal Grouchy, il était impossible de chercher à le pénétrer davantage de la nécessité de ne pas perdre de vue l'armée prussienne et de se tenir, le cas échéant, en mesure de se porter vers l'Empereur ; et l'on comprend que Sa Majesté ne dut pas s'attendre à voir arriver les Prussiens sans être suivis par Grouchy. Quant au maréchal Ney, il a su le 16 à 11 heures du matin, l'importance que l'Empereur attachait à ce qu'il s'emparât de la position des Quatre-Bras. Et quant au mouvement de cavalerie, que vous signalez avec raison (page 422) comme ayant eu une influence funeste sur l'issue de la bataille de Waterloo, j'ai l'honneur de vous envoyer copie d'une réclamation contre des assertions mensongères du Maréchal Marmont que j'ai cru devoir faire publier dans le Moniteur et qui vous dira la manière dont cela s'est passé…
 
* The First Napoleon / Some unpublished documents from the Bowood papers / The Earl of Kerry / p. 313 à 315