"Mon cher ami,
A la veille de partir pour la séance du Conseil d'administration en Belgique de la Vieille Montagne, j'ai été surchargé de besogne. Une affaire entre autres m'a pris beaucoup de mon temps, parce que les réunions ont eu lieu chez moi ; mais je le regretterais peu si elle aboutit (comme j'ai tout lieu de le penser) à la combinaison qui nous est favorable - et vous n'en serez pas fâché non plus. C'est tout simplement les cérusiers qui demandent à traiter avec les blocs de zinc pour substituer notre produit au leur, et proposent au gouvernement d'interdire l'usage de la céruse. Vous concevez facilement quel coup cela porterait à la céruse dans le monde entier et quels bénéfices en résulteraient pour la Vieille Montagne et le blanc. Je n'ose encore me bercer de cet espoir, cependant, c'est très avancé, car les cérusiers sont tous d'accord et je les ai reçus chez moi. Ils sont très abattus, très effrayés de la guerre que leur fait l'administration et sentent que leur fin est proche. Ils préfèrent mourir avec indemnité que gratis ! Si tout cela arrive, je reverrai mes affaires comme autrefois.
Je ne devrai rien à personne et je ne commettrai plus les mêmes fautes. Je liquiderai bel et bien ma fortune de façon à être à l'abri de tout événement. Je vais rembourser Coutts ces jours-ci et faire venir ici mes tableaux, que je vendrai mieux à Paris qu'à Londres, à l'occasion de la vente du Maréchal Soult (19 mai 1852 - Soult était mort le 26 octobre 1851). Les amteurs de tous les pays y viendront.
Le tribunal de première instance s'est déclaré compétent avant-hier (Il s'agit de la confiscation des biens des d'Orléans : les d'Orléans avaient interjeté appel de la décision présidentielle) C'est une grosse affaire moralement parlant. Cela a remué l'opinion publique. C'est bien malheureux - l'oubli est ce que le Président peut espérer de mieux. Quelle malheureuse idée, et bien coupables sont ceux qui la lui ont inspirée. Il ne sait pas quel tort celui lui a fait à l'étranger et à l'intérieur et quelle belle situation de confiance aveugle il a perdu.
Lavalette est de retour à Paris, très glorieux de son succès diplomatique. Je ne connais pas assez la question pout le juger, seulement il paraît qu'il l'a trouvé engagée tellement qu'il ne pouvait reculer sans honte ; il ne l'aurait jamais [exhumée ?] Prenez garde que Valewski (sic) soit un peu trop anglais et ne nous brouille avec la Porte, tout en nous faisant perdre notre influence en Egypte ; - et qu'est-ce que les Anglais font pour nous sur un point quelconque du globe ? Rien !
Voilà Thiers parti. - J'en suis ravi. Je devais partir moi-même hier pour Bruxelles. J'ai été si souffrant que j'ai passé la journée dans mon lit. Je n'irai que demain. J'irai peut-être vous voir après.
Je vous embrasse tous tendrement.
AUG."
Morny, l'homme du second empire (Dufresne / Perrin /p.182)
Le duc de Morny (Gerda Grothe / Fayard / p.133)
Le secret du coup d'Etat (Guedalla-Kerry / Emile-Paul 1928 /p.297 à 299)