"J'ai vu hier matin Lord John Russell et Lord Granville, et j'ai eu une longue conversation avec chacun d'eux.
Il n'y a pas de doute que le renvoi de Palmerston, car c'est d'un renvoi qu'il s'agit (car c'est ainsi qu'il faut l'appeler), est dû au fait que Turgot (le ministre des Affaires étrangères français) ait cmmuniqué à Normanby (l'ambassadeur anglais) le contenu des dépêches et lettres confidentielles qu'il avait reçues de Walewski (notre envoyé à Londres)…(a été la conséquence de la communication par Turgot à Normanby des dépêches et lettres confidentielles qu'il avait reçues de Walewski). Cette communication ne pouvait être d'une grande utilité, car il n'y a aucun avantage à éclairer Normanby sur les dispositions de son gouvernement, et en le faisant, on n'avait pour résultat que de le rendre mécontent de n'avoir pas reçu directement les instructions lui-même. Il est tout naturel qu'il s'en soit plaint.Lorsque Lord John Russell a découvert ce que Palmerston avait dit à Walewski, il a été très irrité (extrêmement blessé) de voir que le ministre (le secrétaire) des Affaires étrangères avait, sans son avis (sans y avoir été autorisé par lui), parlé au nom du gouvernement de Sa Majesté, et comme c'était une habitude depuis longtemps prise par ce ministre, qui avait déjà été la cause de dissentiments dans le Cabinet et avait causé un vif mécontentement, comme il arrive que la goutte d'eau fait déborder le verre, cette nouvelle indiscrétion a décidé de sa retraite.
Actuellement doit-on en conclure que le gouvernement anglais soit animé de mauvaises dispositions pour le Président ou la France ? je crois pouvoir affirmer que cela n'est pas. Je ne veux pas dire que la nature du coup d'Etat, les atteintes à la liberté individuelle qu'il a rendues nécessaires, la suppression de la représentation nationale, la suspension de la liberté de la presse soient des mesures qui ne soient pas antipathiques aux idées, aux principes, aux préjugés anglais, mais d'après tout ce qui m'a été dit et tout ce qui peut former ma conviction, je n'hésite pas à affirmer que, sans vouloir exprimer d'opinion sur ce qui vient de se passer, le gouvernement anglais a la ferme intention d'entretenir avec nous les relations les plus amicales, et qu'il désire vivement que le Président triomphe dans son entreprise.
Voilà donc toute la vérité, les causes de la modification ministérielle qui vient de s'opérer et à quoi se bornera son effet. J'ajouterai qu'on blâme extrêmement Ld Normanby d'avoir exprimé aucune opinion sur les événements de Paris. On trouve qu'en le faisant il est sorti des devoirs de sa position, et Ld John m'a promis qu'il recevrait un avertissement très sérieux de ne rien se permettre de semblable à l'avenir. J'ai la même assurance de Ld Granville et de Ld Lansdowne (Normanby fut en effet rappelé en février 1852. Lord Cowley lui succéda.)
Si le prince me permet d'avoir une opinion (veut bien me permettre de donner mon avis), je lui conseillerais (l'engagerais) de se satisfaire (à se contenter) de ce qui est (ce que l'on est disposé à faire ici) , quels que soient ses regrets du renvoi de Palmerston, de ne pas paraître y attacher d'importance (à ce changement) et de faire confiance aux bonnes intentions qu'on lui exprime. Priez-le aussi de ne pas faire de démarches tendant à obtenir le rappel de Normanby, car cela aurait peu de chance d'être accordé, et il en résulterait un état tendu dans les rapports, qui nuirait à la bonne intelligence entre les deux gouvernements.
Une grande partie de tout ce qui est arrivé eût été évitée s'il y eût une plus grande expérience pratique des affaires chez les hommes chargés de les conduire, mais c'est, voyez-vous, que la théorie ne suffit pas et qu'il faut aussi de la pratique.
Je veux encore revenir sur ce que je vous ai écrit hier. Croyez-moi, en envoyant des missions extraordinaires pour annoncer le vote immense qui porte le Prince à la Présidence decennal et lui donne tous les pouvoirs constituants, c'est de l'éclat qu'il voudra donner à cette manifestation. Eh bien, l'étiquette établie dans toutes les cours, loin de remplir ce but, ne fera que l'affaiblir et il en résultera du désappointement qu'il serait sage d'éviter.
Je joins ici un article qui a un caractère officiel et qui a été inséré dans le Globe, afin de contredire tout ce qui avait été publié dans les autres journaux."
Le duc de Morny (Gerda Grothe / Fayard / p.103)
Morny et son temps (Parturier / Hachette p.95)
Flahaut (Françoise de Bernardy / Perrin / p.313-314)
Le secret du coup d'Etat (Guedalla-Kerry / Emile-Paul 1928 /p.211 à 214)