Chère Mme de Flahaut
J'ai répondu en partie à vos questions politiques par quelques éclaircissements que M. de Flahault a dû vous donner et par l'envoi de la Constitution (On étudiait alors la révision de la Constitution de 1848).
Vous devez bien comprendre aujourd'hui quelles sont les chances légales qu'a le Président pour sa réélection. A mon avis, il n'en a aucune, et la solution ne peut être que extra-légale. Ainsi que vous avez pu en juger, les pouvoirs du président expirent avec ceux de l'Assemblée, et si l'Assemblée actuelle n'a pas déclaré la constitution révisable, elle préside elle-même à l'élection présidentielle et veille à l'application rigoureuse de la loi. De sorte qu'elle peut étouffer la volonté populaire en déclarant nuls tous les bulletins anticonstitutionnels. Donc il fait qu'aux trois quarts des vois de l'Assemblée actuelle la Constitution soit déclarée révisable, ou bien qu'un conflit arrive qui supprime un des deux pouvoirs. Je ne crois pas que les trois-quarts des voix puissent se trouver d'accord dans notre Assemblée, ou une simple majorité est déjà difficile à former. (Morny avait raison. Bien que la majorité de l'Assemblée se fût prononcé, plus tard (le 19 juillet), en faveur de la révision, le nombre de voix requis n'était pas atteint) ; donc il faut tout attendre du hasard. J'ai l'idée qu'après le refus de la révision, l'Assemblée sera devenue si impopulaire qu'elle sera obligée à se retirer sous les imprécations du pays - mais enfin c'est toujours une mort violente.
Je vois que vous commencez aussi à entrer dans de grands embarras et j'avoue que je ne comprendrais pas la formation, ou au moins le durée d'un ministère tory. Avec les éléments de la Chambre des Communes et les circonstances qui ont précédé et causé la chute du ministère whig, je comprendrais plutôt une alliance entre Palmerston et les radicaux. Je crains que l'Angleterre n'entre dans de grandes difficultés, mais, malgré l'inquiétude générale, j'ai toujours foi dans le bon sens des habitants. je voudrais pouvoir en dire autant de mes compatriotes !
" Ainsi, M de Flahaut a refusé l'ambassade de Londres. A-t-il été sage ? Si sa conscience dit "oui", je n'ai rien à ajouter. Mais plus je pèse ses motifs, moins je les trouve bons… (plus je réfléchis à ses raisons, moins je les trouve bonnes) D'abord celle de Palmerston disparaît, je ne la discute plus (Lord John Russell venait de démissionner ; il retira d'ailleurs sa démission quelques temps après). Je pense que ses scrupules n'existeraient pas à l'égard de Lord Aberdeen ou de tout autre. Sa situation n'est-elle pas tout à fait différente de celle des autres serviteurs de l'ancien roi ? (Maintenant n-est-il pas une exception parmi ceux qui ont servi le dernier roi ?) Son attachement pour l'Empereur et pour la reine H. (Hortense) ne serait-il pas une justification suffisante pour qu'il témoignât un dévouement particulier au prince Louis ? Quant à (son objection de) servir la République, elle ne peut être prise au sérieux. Cavaignac ou Ledru-Rollin étaient la république, mais depuis l'établissement de la présidence la république n'existe plus que de nom… (La République c'était Cavaignac ou Ledru-Rollin. Depuis la Présidence, la République n'est plus qu'un mot, qu'une forme, qui ne répugne que par son instabilité, mais qui n'est plus qu'une objection pour ceux qi préfèrent la Monarchie.) (puisqu'au fond,) c'est le prince Louis qui gouverne (qui représente le gouvenement). On peut lui faire certains reproches - sa personnalité, les souvenirs qu'il évoque, les espoirs qu'il éveille - mais ce ne sont pas eux qui troublent M de Flahaut, au contraire ! (C'est sa personne, les souvenirs qu'il rappelle, les espérances qu'il fait naître, qui sont les vraies objections. Or ce n'est pas ce qui arrête M de Flahalt, c'est le contraire.) Le prince regrette infiniment son refus. (Le Prince a beaucoup regretté son refus) S'il pouvait, en raison (considération) de la gravité de la situation intérieure, de l'importance des bonnes relations entre la France et l'Angleterre (de l'utilité extrême des bons rapports entre la France et l'Angleterre) et du fait qu'il est en son pouvoir de rendre de si grands services, reconsidérer la chose, je vous en prie, faites-le moi savoir. (S'il revenait sur son refus, dites-le moi.) Le prince serait charmé et l'enverrait immédiatement à Londres. (Cela enchanterait le Prince qui lui confierait l'ambassade de Londres immédiatement.)
Adieu, chère Madame de Flahaut. Je ne sais si [vous] pourrez lire ma mauvaise écriture ! Croyez à ma bien sincère et bien profonde affection.
AUGUSTE
Je finis ma lettre lundi, 24 février (L'anniversaire de la Révolution du 24 février 1848). Quelle date ! pardonnez-la-moi.
* Flahaut (Françoise de Bernardy / Perrin / p.305-306)* Le secret du coup d'Etat (Guedalla-Kerry / Emile-Paul 1928 /p.118-119)