Monsieur le comte,
Autorisé de S.A.I. Monseigneur l'Archiduc, j'ai l'honneur d'adresse à Votre Excellence les réponses suivantes aux questions qu'Elle a bien voulu me communiquer :
ad 1. Les forces de l'ennemi n'étant pas encore réunies, et le corps du maréchal Davoust étant en mouvement pour opérer cette réunion, l'Archiduc compta le battre pendant sa marche pour affaiblir par là les forces qui se portoient contre lui, et s'emparer de Ratisbonne pour établir sa communication avec les troupes venant de la Bohême.
ad 2. Les vues de l'Archiduc étoient de rester maître de la rive gauche du Danube, de repasser ce fleuve si l'occasion s'en présentoit, et d'attaquer l'ennemi. Obligé de faire un détour pour éviter la partie fourrée et inaccessible des montagnes appelées le Böhmerwald, voulant attirer à lui pendant sa marche une partie des nouvelles levées qui s'organisoient en Bohême pour réparer ses pertes, et ayant perdu à Ratisbonne son équipage de pont, Napoléon le prévint de vitesse en gagnant Vienne par la ligne droite et la plus courte.
ad 3. En arrivant ainsi plus tard que les français dans le rayon de Vienne, l'Archiduc conçut le plan d'attendre que Napoléon exécutât le passage du Danube pour l'aborder pendant cette opération. C'est à cet effet que le rive du Danube ne fut occupée que par un corps volant, et l'armée campée derrière les hauteurs du Bisamberg, afin qu'elle fût dérobée à la vue de l'ennemi.
ad 4. Le trajet de l'armée française fut ignoré de l'Archiduc jusqu'au moment où les avant-postes engagés sur la rive gauche du Danube lui en firent le rapport. Les français après la bataille d'Aspern étoient d'autant plus à l'abri de toute attaque sérieuse derrière le petit bras du Danube, que les Autrichiens se trouvoient épuisés par la perte de 26 000 hommes sur le champ de bataille, et par une grande consommation de munitions ; tandis que Napoléon fut incessament renforcé par l'arrivée de 45 000 combattans.
ad 5. Ces mêmes raisons expliquent pourquoi l'Archiduc étoit hors d'état de faire la manoeuvre par Presbourg sur Ebersdorff.
ad 6. Après la bataille d'Aspern ou d'Esslingen, l'Archiduc pensoit que la position respective des deux adversaires en face du Danube ne permettoit à aucun d'eux de s'en éloigner sans danger par une manoeuvre quelconque. L'Archiduc en se portant vers la Hongrie abandonnoit à l'ennemi ses communicaions avec la Bohême et la Moravie, d'où il tiroit toutes ses ressources, surtout dans un moment où les Russes envahissoient la Gallicie, et où tout ce qui étoit disponible en Hongrie accouroit à l'insurrection. En marchant sur le haut Danube, qui d'ailleurs ne présente que peu de passages favorables aux Autrichiens, ils risquoient que Napoléon, passant sur la rive délaissée vis-à-vis de Vienne, ne les poussât dans la partie occidentale de la Bohême. De leur côté les français en remontant le Danube exposoient leurs communications avec l'Italie, et en le descendant ils compromettoient celles (pour eux plus intéressantes encore) avec l'Allemagne et la France. Il s'ensuit de là que les deux armées se tenoient en échec, que la question ne pouvoit être résolue que par une bataille décisive, et que cette bataille ne pouvoit avoir lieu que sur le terrain occupé par l'une des deux. Il étoit probable alors que la victoire appartiendroit à celle qui auroit la supériorité numérique. Les deux généraux en chef mirent tout en oeuvre pour se la procurer, mais les moyens de Napoléon furent bien plus puissants que ceux de son adversaire. Il parut en effet avec 160 000 hommes à la bataille de Wagram pendant que les Autrichiens n'avoient que 94 000 sabres et bayonnettes à lui opposer.
On avoit retranché légèrement l'espace entre Aspern et Esslingen, bien plus pour observer l'ennemi que pour lui faire une résistance vigoureuse. L'isle de Lobau est d'une forme circulaire, Napoléon avoit fait de si grands préparatifs pour masquer son passage, qu'on n'étoit pas sûr de l'endroit où il l'effectuerait, et qu'en s'opposant à lui d'un côté il pourroit déboucher de sa position centrale avec rapidité sur un autre point et prendre en flanc tout ce qui se seroit approché du Danube.
Effectivement après qu'il eut fait jeter ostensiblement un pont entre Aspern et Esslingen, le passage de l'armée eut lieu dans un grand rentrant que forme le bras du Danube en contournant l'isle pour rejoindre le grand courant de ce fleuve. L'Archiduc a cédé le champ de bataille sans que ses troupes furent mises en déroute.
Je remercie Votre Excellence de m'avoir procuré une occasion de Lui renouveler l'assurance de ma haute considération, avec laquelle j'ai l'honneur d'être,
Monsieur le Comte,
de Votre Excellence,
le très humble et très obéissant serviteur,
le Comte de Grunne.
Baden, le 29 juillet 1846
Ayant remarqué que la lettre adressée à Votre Excellence n'étoit qu'une copie, j'ai pensé qu'il étoit inutile de la Lui envoyer.
29 juillet 1846 | Le Comte de Grunne à Flahault | campagne de 1809
Contenu de la correspondance