" Je n'ai point passé un seul jour sans penser à vous, mais, bon ami, je suis devant ma table et je ne respire pas, tant je m'inquiète. J'aime cet enfant comme le dernier bien que j'ai pu faire, comme la dernière feuille sur laquelle j'appuyais mes frêles espérances. Mais, à mon âge, l'espérance n'est jamais sans crainte, et heureux ceux que les souvenirs ne viennent pas encore affliger! Auguste est mieux, mais il a toujours de la fièvre quoiqu'elle diminue. Sa cholérine et son ancienne gastrite vont toujours leur train. C'est bien de la faiblesse à ajouter à de terribles saignées pour le sauver de la fluxion de poitrine. Je vous aime bien sincèrement. Dites-vous-le, mon vrai ami, quand vous n'avez pas de mes nouvelles, mais je suis en convalescence, quoique mes forces ne reviennent pas. On dit que c'est tant mieux. J'y consens, pourvu qu'Auguste me revienne. Voilà tout ce que je demande à Dieu et à la médecine. Pardonnez-moi mon long silence, mon bon ami, et voyez-moi devant ma table, ne respirant pas et ne pouvant m'occuper à rien, disant toujours : A demain, j'aurai eu des nouvelles.
Ne pensez-vous pas que nous sommes en enfer sans nous en douter ? Je le crois aux chagrins qui ont agité ma vie. Encore, si nous nous rappelions pourquoi on nous punit ; ce serait quelque chose ! Parlez de moi à M. et à Mme de Nugent. "
* Morny et son temps (Parturier / Hachette / p.27)* Madame de Souza et sa famille (baron André de Maricourt / Emile-Paul frères / p.370-371)