La reine Hortense et la chambre enchantée

La reine Hortense et la chambre enchantée


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La reine Hortense et la chambre enchantée
(extraits de l’article de Ledeuil d’Enquin / Le Palais Beauharnais / 1915)

Le roi Louis ne se contente pas de fermer toutes les portes qui donnent de son appartement dans celui de la reine Hortense. Il les fait murer – dit Fr. Masson. De fait, elle est en quarantaine. (Napoléon et sa famille, t V, p.226)
Après un séjour relativement long dans ce palais, Hortense partait le 21 d’Amsterdam pour le château de Loo, résidence d’été de la famille royale afin, disait-elle, d’y passer la belle saison. C’était sa fuite qu’elle préparait. Ayant franchi la frontière avec deux dames de son entourage, elle gagnait les eaux de Plombières le 28 mai 1810. Elle prend des bains, elle se promène ; bientôt elle reçoit Mme de Souza remariée et son fils Charles Flahaut. C’est Flahaut (Voici longtemps déjà qu’une pensée l’occupe, elle aime, sans le dire, un des plus jolis officiers de l’armée, un camarade de son frère, un ancien hussard qui depuis Marengo a fait son chemin. En 1807 il était avec l’état-major de Murat, en 1808 avec Davout, puis il vient à Paris. Il ne comprend pas les faveurs qui lui arrivent. Hortense le rencontre dans les bals et fêtes officiels. C’est un mystère que nul ne perce… (Fr. Masson, Napoléon et sa famille, t IV, p.474)) bien plus que Joséphine (Joséphine pendant la belle saison se rendit à Aix ; puis à Genève pour voir Eugène et sa femme qui vinrent de Milan passer quelques jours avec elle. Flahaut l’ami d’Eugène s’y trouve.) qu’elle vient de Plombières retrouver à Aix-en-Savoie sur la fin de juillet. (Fr. Masson, Napoléon et sa famille t VI, p.283)
Entre temps le roi Louis d’un coup de tête a abdiqué le 1er juillet et la Hollande est alors purement et simplement réunie à la France (11 juillet 1810). Napoléon retire à Louis son hôtel de la rue Cerutti et sa propriété de Saint-Leu. Il autorise la séparation de Louis et d’Hortense, confie la garde des enfants à leur mère, la reine (20 juillet 1810) à qui il assure un douaire de deux millions de revenu, l’hôtel de la rue Cerutti (aujourd’hui rue Laffitte, hôtel du banquier Rothschild.) et la propriété de Saint-Leu.
Cette nouvelle comble de joie Hortense : « J’aurai maintenant, disait-elle, le plaisir de faire de la musique. Le rôle de reine honoraire a bien son agrément. »
Après la belle saison des villes d’eaux elle va rejoindre ses enfants à Fontainebleau, fin septembre, puis rentre à Paris pour s’y fixer définitivement. Hortense avait besoin de la capitale et de s’y organiser pour respirer librement et vivre dans une grande indépendance de fait. Mécontente de son logement de la rue Cerutti, surtout de sa chambre à coucher sans soleil et hantée des souvenirs d’une union exécrée, toujours rêvant d’une maison que baignerait la gaie lumière, elle songe alors à la grande chambre qu’Eugène lui avait destinée rue de Lille. (Hortense écrit dans ses mémoires : Eugène est son ami, son soutien, le frère le plus parfait, le plus tendrement aimé. cette affection fut largement partagée par Eugène.) Là, avec ses deux grandes fenêtres sur les quais de la Seine où le soleil brille, elle va pouvoir respirer un air plus pur en entendant chanter les oiseaux du jardin qui est à ses pieds. Elle n’en habitera pas moins officiellement l’hôtel de la rue Cerutti, où se feront ses réceptions et ses fêtes.
Cette chambre enchantée du palais d’Eugène, avec ses médaillons et ses emblèmes mystiques, était bien choisie pour en faire la confidente de ses secrets intimes. C’était là, en effet, qu’Hortense devait recevoir peu après, le jeune et élégant colonel Flahaut, l’intime ami d’Eugène qui venait dêtre autorisé à rentrer à Paris en 1810, à la suite d’une blessure. Il venait d’avoir vingt-six ans. Hortense en avait vingt-sept. Le constant et généreux attachement d’Hortense se dérobait à tous les yeux, sous les dehors d’une amitié toute fraternelle. cette liaison débutant au moment même de la séparation de Louis et d’Hortense paraît avoir été acceptée par tout le monde comme une sorte d’union morganatique. (Fr. Masson, Napoléon et sa famille, t. VI, p.289.)

La moralité d’Hortense, dit d’Arjuzon (Madame Louis Bonaparte, p. 165) n’était ni meilleure ni pire que celle de la plupart des femmes de sa génération. Tant qu’elle se considéra comme la compagne de Louis Bonaparte, on put la trouver imprudente, légère, mais elle ne trahit pas la foi conjugale ; plus tard, lors de la rupture, Hortense se jugea déliée de ses serments envers lui et disposa de sa personne… Ces raisons ne tendent pas à l’innocenter, mais elles peuvent du moins expliquer sa conduite.
Le 15 novembre 1810, Hortense inaugure à l’hôtel de la rue Cerutti, son quant à elle, par une fête d’intimité. On célèbre la sainte Eugénie (il n’y a pas d’Hortense au calendrier). Flahaut est de la représentation, car il est établi en titre dans la maison (Masson, Napoléon, t. VI, p. 283). C’est de la part d’Hortense, quelque chose de définitif, une union raisonnée, contractée après réflexion et devant durer la vie. Quant à Flahaut, c’est pour lui tout pareil à un mariage de convenance.
Cette chambre incomparable de la rue de Lille sur laquelle pèse tant de souvenirs, que l’usage a consacrée sous le nom « de la reine Hortense », fut pour elle un séjour de bonheur. Dans une union intime, elle y a laissé les souvenirs les plus cachés de son coeur. L’Histoire ne doit se nourrir que de réalités sérieuses, où existent des faits certains, clairs, évidents. Or, c’est Hortense, qui la première habita cette chambre où seul pénétra Flahaut. Le prince Eugène, nous l’avons dit, ne fut autorisé à habiter son palais, par Napoléon, qu’en décembre 1810.


« … cette chambre où seul pénétra Flahaut. »
(Cliché de l’Illustration)

La chambre notoirement féérique qu’Eugène avait destiné à sa soeur, est une merveille digne des contes des Mille et une nuits. Lorsqu’on pénètre dans cette salle imitée de l’âge dor, on est frappé par son aspect éblouissant. Ornée de toutes parts d’allégories riches et poétiques appropriées au caractère de cete femme rieuse et gaie, harmonieuse dans ses mouvements quand elle faisait les honneurs des salons de l’Empire, on est forcé de reconnaître que l’artiste qui entreprit une telle décoration avait étudié la nature d’âme de celle qui peu après devait être reine de Hollande. Partout on trouve des sujets aimables, badins, s’identifiant à la nature même de celle à qui était destinée cette chambre. Le génie du peintre, dont le nom est oublié, a réuni tout ce qu’il y a de plus frais, de plus riant, de plus coquet, de plus moelleux. Il y a multiplié les sujets pour charmer l’imagination. Enfin, la décoration rappelle, par la délicatesse des peintures, les idées de grâce jointes à celle des plaisirs, en un mot tous les côtés de la vie luxueuse et princière. En étayant ses recherches sur des ornements symboliques avec reminiscences mythologiques, l’artiste a constitué par ses allégories une manifestation éclatante du style Empire. Nous donnerons, du reste, à la fin de cette notice, une description de cette chambre féérique, inspirée par Cupidon.
Ce asile enchanteur qu’Hortense rêvait pour les baisers secrets de celui qu’elle désirait, personne aors n’en connaissait le bien aimé. Le gentil Flahaut ne fait qu’inventer pour elle mille tendres folies. L’amour croit et vit d’illusions. Bientôt dans cette chambre d’une suavité pénétrante, où la vie devenait une longue respiration de bonheur, on devait s’oublier. Hortense eut enfin le coeur plus docile, elle succomba. Chénier a dit : Celle qui n’aime point ne connaît pas quelles fleurs sont les roses !…
Faible et légère, adulée et courtisée sans relâche, elle résista longtemps et c’est de son intimité avec le comte de Flahaut, que vers la fin de mars 1811, elle devait bientôt penser à élargir sa fragile ceinture !… En des lignes pleines de délicatesse, Fr Masson (Napoléon et sa famille, t. VI, p. 367) le dévoile ainsi : Par quel prodige d’habileté, en ces temps de robes collantes qui dessinent et montrent toutes les formes de la femme, Hortense a-t-elle, au milieu de ces fêtes dont elle n’a point manqué une seule, dissimulé à tous les yeux, une grossesse de cinq mois ? (Juillet 1811) Nul contemporain, ni dans les lettres, ni dans des mémoires, n’y fait la moindre allusion. Est-elle à ce point servie par le hasard que sa taille n’a rien perdu de sa native sveltesse ? A-t-elle trouvé des couturiers si habiles, qu’ils aient imaginé une formule de toilette appropriée, ou bien, par une sorte d’universelle complicité, ferme-t-on les yeux sur elle, et l’Empereur ne veut-il rien voir et rien savoir ? En tout cas, rien ne transpire.
Tout après le baptême du roi de Rome, à la mi-juin 1811 (Où Eugène est témoin et Hortense marraine.) , la reine Hortense laisse ses deux enfants à Saint-Cloud, au Pavillon d’Italie et part à Aix-les-Bains et en Suisse cachant sa grossesse ; enfin, fort hâlée et très amaigrie, elle reparaît à Saint-Cloud à la mi-novembre, soit après cinq mois d’absence. (Le 14 septembre 1811, Hortense écrit de Genève : « Je vais faire un petit voyage pour voir mon frère. je serai à Paris du 10 au 15 octobre ; ne m’écrivez plus à partir du 20 septembre, car je serai toujours en course. » Le petit voyage conduisit, dit-on, Hortense dans une maison de la rue d’Anjou, où elle accoucha d’un enfant mâle qu’un médecin accoucheur, 137, rue Montmartre, déclara le lendemain à la mairie comme né chez lui de Louise-Emilie-Coralie Fleury, épouse de Jean-Hyacinthe Demorny, propriétaire à Saint-Domingue et domicilié à Villetaneuse (Seine). (F. Masson, Napoléon, t. VII, p.157)
De son intimité avec le comte de Flahaut, était né le 21 octobre 1811, un fils qui devait jouer un rôle considérable pendant le second Empire sous le nom de Morny.
Hortense, au printemps de 1812, part avec ses deux fils aux Eaux d’Aix-la-Chapelle, puis revient à Saint-leu y donner ses fêtes et enfin à Paris.
En 1813, Hortense disparaît pendant quatre à cinq mois ; à son retour en septembre, elle fait transforemer son hôtel de la rue Cerutti, et ouvre ses salons fin octobre de la même année. Enfin, le 30 mars 1814, elle s’enfuit gagnant Rambouillet et la Normandie en enlevant ses fils. L’Empire s’écroulait, emportant avec lui toutes les splendeurs du trône de Napoléon.
Hortense est morte le 5 octobre 1837 à Arenenberg et ses restes mortels ont été transportés auprès de sa mère, dans l’église de Rueil (19 novembre 1837).
Quant à Flahaut, il fut comblé de faveurs par Napoléon : général, 1812 ; aide de camp de l’Empereur, janvier 1813 ; comte de l’Empire, etc. Exilé, par mesure de sûreté, il épousa, en 1817, la fille de Lord Keith, riche héritière. Il vint se fixer à Paris en 1827 et fut ambassadeur en Angleterre sous Napoléon III. Il est mort à Londres le 1er septembre 1870, jour de la catastrophe de Sedan.

Hôtel de la Légation (1815-1863)
de l’Ambassade de Prusse (1863-1871)
Palais de l’ambassade d’Allemagne (1871-….)

Après la vente du Palais Beauharnais, la métamorphose en Légation du royaume de Prusse fut rapide et simple. Il n’était resté de la construction ancienne, antérieure au régime impérial, que les façades extérieures et le grand escalier au bas duquel se trouvait une statue de Léda ornant le vestibule d’entrée. Les salons et les chambres d’apparat somptueusement décorées et meublées, intérieurs complets de onze salles diverses, ne comportaient aucune restauration. Mais il fallait donner à la façade l’empreinte d’un hôtel de Légation. (Jusqu’en 1863 ce fut un ministre plénipotentiaire qui fut envoyé en France ; mais à partir de cette année 1863 le gouvernement prussien se fit représenter par un ambassadeur extraordinaire.) Le portail extérieur fut surmonté de deux aigles en pierre, l’un à angle droit, l’autre à l’angle gauche.
Par la suite, l’empire d’Allemagne transformant l’hôtel de la légation en palais de l’Ambassade, ajouta au sommet de la grand porte cochère l’écusson germanique en pierre représentant une aigle couronnée et éployée ; deux hercules forment les tenants de l’écusson.
… Les salles de ce palais constituent un document vivant de l’aménagement des intérieurs de l’Empire et nulle part ailleurs, ils ne s’y présentent plus avantageusement.
Au rez-de-chaussée : Bibliothèque – Salon Vert – Salon Rouge.
Premier étage : Vestibule – Ancien antique salon, dit actuellement salle du Trône, où se trouve un grand portrait en pied de Guillaume II – Salon des Saisons – Salon Rose – Grande chambre dite « de la Reine Hortense » – Salon de musique – Boudoir (où se trouve retracé sur la frise, avec un grand luxe de détails, une suite de scènes de harem, dans des costumes éblouissants, d’une décoration unique au monde) – Salle de Bain du Prince Eugène – Galerie – Salle à manger.
Voilà ce qui existe à Paris et qui appartient à l’Allemagne !

Ledeuil d’Enquin.


Annexes
… La Grande Chambre dite de la Reine Hortense sera décrite par nous, telle que nous l’avons trouvée le 21 juin 1914, c’est-à-dire à une date très rapprochée du départ de M de Schoen.
A la suite du Salon Rose se trouve la Chambre bleue dite de la « Reine Hortense ». Tenture bleue ; deux fenêtres sur le jardin l’éclaire. Quatre portes richement décorées servent de dégagement ; chaque battant est divisé en quatre cases : celles du haut sont ornées d’un cygne aux ailes ouvertes, le cou courbé avec grâce, la tête dominée d’une étoile et le corps appuyé sur un fleuron qui repose sur un arc. Celles du bas représentent des Nymphes ailées, sous forme de jeunes femmes demi-nues, une draperie voile le bas du corps greffé sur un fleuron ; elles tiennent des attributs musicaux. Ces motifs sont séparés par de petits amours ailés, aux joues vermeilles, sagittaires ou virtuoses mutins tout frais pondus du Nid de Cupidon.

Au fond de la salle, on voit sur les panneaux le beau Pâris, modèle de grâce, Vénus, la déesse qui tourne les coeurs, et l’Amour aux ailes inconstantes. Plus loin d’innocentes colombes au vol caressant s’ébattent sur un fond d’air pur.
L’alcôve. Le Lit. L’objet décoraif principal es l’alcôve. Des colonnes au fût entouré de couronnes de lierre en bronze doré ; aux côtés un carquois, attribut d’amour de même métal ; le devant des socles orné d’un groupe représentant un jeune Adonis aux cheveux bouclés, type de la beauté efféminée, qui enveloppe de ses bras deux cygnes dont les têtes mollement inclinées par sa main, donnent des coups de bec sur une grappe de raisin.
Au centre, le lit, meuble épais et pesant avec un motif ingénieux peint à l’aquarelle et sous glace, représente la déesse « La Nuit » aux ailes et aux vêtements noirs étendant de ses mains ses voiles sombres qui voltigent au gré des vents dans un ciel de vapeurs épaisses.
Une glace est au fond de l’alcôve. Une balle, dont la trace reste visible, l’a traversée à la fin de mai 1871, lors de la répression des insurgés de la Commune.
Le plafond de la chambre est peint avec une rosace dorée en relief sur fond bleu ; la corniche est rose, or et blanc.
A l’une des fenêtres une tête de Diane, la déesse d’une éternelle virginité, sert d’espagnolette ; le crochet est formé par un cygne au col ondulé.
Dans la pièce se trouve une belle armoire basse formant toilette avec de grands panneaux ornés de femmes drapées et ailées ; au-dessous des cygnes aux ailes éployées, le tout entouré d’une branche flexible qui se déroule garnie de fleurs et de feuilles formant un effet agréable.
Le linteau divisé, représente par parties : une Vénus mollement inclinée faisant sa toilette ; des cygnes (oiseaux tant aimés des décorateurs de l’époque) se jouant avec des cordons de verdure et de fleurs, enfin des papillons voltigeant çà et là.
Sur le montant une sphère supportant un Amour tenant un corbillon où deux colombes fidèles se baisent bec à bec. En haut du motif, une rose, la fleur consacrée à Vénus.
La cheminée en marbre gris et rose incrustée de mosaïque est parée d’une Pendule ornée d’un aimable sujet dans le style de l’ancienne Grèce qui représente une jeune fille svelte, le cou et le haut de la poitrine découverts en costume d’aspect léger à long pli d’une grande smplicité.
Elle élève son bras avec une expression de surprise d’une délicieuse ingénuité, car elle vient d’apercevoir de l’autre côté de la colonne qui porte le cadran, un petit Amour enchanteur malin, bien modelé, qui met un doigt sur la bouche pour lui recommander la discrétion. On n’a pas été à l’eau sans avoir quelque aventure. Une cruche cassée gît à terre… ô innocence ! qu’êtes-vous devenue ?
Dans ce motif règne une grâce et une naïveté délicieuse.
De chaque côté de cette pendule on voit deux vases d’albâtre avec des chars et des personnages en rouge peints à l’antique.

Ledeuil d’Enquin.

A voir aussi ..
correspondance de J. Mayor : à propos de l’hôtel Beauharnais
site de l’ambassade d’Allemagne en France