« Vous aviez parfaitement raison et vous avez encore raison d’éprouver de l’alarme pour ce qui se passe. Il s’agissait de jouer un jeu formidable, que seule la nécessité pouvait justifier.
Quand je me suis décidé à venir ici, mon but était d’essayer (je me proposai d’essayer) de réconcilier les chefs de la Majorité et le Président, afin (de telle sorte) que le coup d’Etat, que chacun considérait comme indispensable et inévitable avant 1852 si l’on voulait sauver le pays (si le pays devait être sauvé), fût l’acte commun (fut une action concertée) des pouvoirs exécutif et législatif. Je trouvai la plupart des membres de la majorité bien disposés et le Président m’autorisa à donner son accord (assentiment), mais il ajouta (en même temps) que, quand on en viendrait au fait, je trouverais les chefs que j’avais vus ou envisagés, indécis, incapables ou impuissants (je ne rencontrerai qu’incapacité ou impuissance chez les chefs que j’avais vus et jugés pleins de mauvais vouloir. Je poursuivis cependant ; mais survinrent successivement les propositions des Questeurs et la loi sur la responsabilité présidentielle, dans laquelle devait être insérée la proposition des Questeurs.
Toutes ces mesures furent blâmées par Broglie et ses amis ; pourtant ils votèrent pour leur adoption. Puis, malgré le rejet de la proposition des Questeurs (donnant à l’Assemblée le commandement direct des troupes), – et cela en raison de la répugnance de la Montagne à confier ce pouvoir au Président ou à l’Assemblée, car il aurait été sans doute remis par elle entre les mains de Changarnier, – on apprit toutefois qu’une entente s’était réalisée : Cavaignac serait le généralissime ; on rallierait ainsi les suffrages de la Montagne alors que cette proposition avait été d’abord rejetée. Le résultat eût été une guerre civile entre une armée présidentielle et une armée parlementaire, la capitale et le pays noyés dans le sang et l’inévitable triomphe de la république démocrate et sociale. On apprit en même temps que, le jour où fut repoussée la proposition des Questeurs, on adoptait une proposition tendant à décréter d’accusation le Président et à le conduire à Vincennes. Au surplus, il existait une conspiration en faveur du Prince de Joinville, qui n’attendait que le moment opportun pour éclater.
Tout ceci était déjà passablement mauvais, mais ce qui le rendait pire était la confusion, l’anarchie et l’effusion de sang que pareille situation devait fatalement engendrer. L’armée en effet ne se soucie aucunement des généraux africains et n’éprouve d’enthousiasme que pour le nom de Napoléon. Le danger cependant devenait pressant, car les complots étaient mûrs et pouvaient éclater à tout moment ; dans ces conditions, il fallait prendre une résolution. Devait-on permettre à l’Assemblée de poursuivre ses menées séditieuses jusqu’à ce qu’elle eût émis un vote qui aurait été la négation des pouvoirs du Président, – ce qui eût justifié l’expulsion des représentants hors de l’enceinte parlementaire, au risque de verser du sang, – ou fallait-il agir comme on a agi ?
Quant à moi, je n’hésite pas à approuver la résolution qui a été prise et exécutée à la satisfaction et à la joie de toute la partie paisible et honnête de la population. Je crois que tous les amis de leur pays qui ont plus de patriotisme que d’esprit de parti sont tenus de soutenir et d’appuyer les braves gens qui ont risqué leurs vies pour sauver ce pays.
Pour l’amour de Dieu, mon enfant, renoncez à juger les événements de l’étranger, avec des idées anglaises, qui ne s’appliquent vraiment pas aux gens ou aux choses d’ici. »
* Le duc de Morny (Grothe / Fayard / p.102)
* Flahaut (Françoise de Bernardy / Perrin / p.308)
* Louis-Napoléon à la conquête du pouvoir (Dansette / Hachette / p.380-381)
* Le coup du 2 décembre (Henri Guillemin / Gallimard / p.411)
* Le secret du coup d’Etat (Guedalla-Kerry / Emile-Paul 1928 /p.167 à 170)